Face au déficit croissant des Ehpad publics et malgré les alertes répétées auxquelles l'Etat semble rester sourd, une quarantaine de maires des Côtes-d'Armor a choisi la manière forte pour se faire entendre. Les élus annoncent qu'ils ne paieront plus les factures d'énergie dont le prix a flambé. Et ce, pour ne pas prendre le risque de voir ces établissements qui accueillent des personnes âgées dépendantes fermer leurs portes.
Ne plus régler les factures d'électricité et de gaz des Ehpad publics pour ne pas plomber davantage leurs finances, déjà dans le rouge, c'est la seule alternative que les maires des Côtes-d'Armor ont aujourd'hui dans leur manche pour se faire entendre.
Ils ont choisi ce moyen pour engager un bras-de-fer avec l'Etat qui, selon eux, "ne joue pas son rôle de solidarité", malgré les alertes répétées sur les difficultés financières auxquelles ces établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sont confrontés.
Alors, pas question de les mettre encore plus en péril d'autant que, d'année en année, le déficit est croissant. "Cela fait une quinzaine d'années que l'on alerte sur la problématique, observe Benoît Lubin, directeur de la Résidence Germaine-Ledan, à Matignon. Le mode de fincancement des Ehpad est décalé par rapport à la réalité".
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"On n'y arrive plus"
L'homme, qui est aussi le représentant costarmoricain de la FNADEPA (fédération des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées), cite en exemple les recettes "que l'on ne maîtrise pas, dit-il, puisqu'elles sont données par l'agence régionale de santé et le Conseil départemental. Nous n'avons pas non plus la main sur ce que paie le résident car c'est le Département qui fixe les tarifs".
La hausse des factures énergétiques se combine à une augmentation des charges salariales, "sans avoir en face les recettes qui viendraient compenser cette augmentation, relève encore Benoît Lubin. L'Etat nous impose ces charges supplémentaires. Et quand on dit que l'on n'y arrive plus, l'Etat répond qu'il comprend mais ça ne va pas au-delà". Dans l'Ehpad qu'il dirige, les charges salariales ont augmenté de 29 % en deux ans, à la faveur notamment du Ségur de la santé.
"125.000 euros de facture"
Faire réagir l'Etat, c'est aussi le sens de l'action menée par la quarantaine de maires des Côtes-d'Armor. "Nous sommes entrés en résistance, clairement" affirme Xavier Compain. Le maire de Plouha explique que pour l'Ehpad de sa commune, la facture d'électricité a été multipliée par 6. "125.000 euros de facture cette année, on ne va pas y arriver, lâche-t-il. Est-ce que vous connaissez quelque chose qui a été multiplié par 6 à la charge des collectivités ? Dans la bataille que l'on mène, vous voulez qu'on ne les chauffe plus ? Sur quoi on va rogner ? Sur la nourriture ? Le personnel ?".
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Il rappelle que "7 Ehpad sur 10 en France sont en déficit. Et le problème ne date pas de maintenant. Nous avons besoin que l'Etat vienne en soutien par des mesures immédiates pour les factures énergétiques et surtout par des propositions de loi sur le grand âge".
L'élu, qui souligne que ce "combat légitime" rassemble "des maires de toutes sensibilités politiques", déplore que "des petits malins, à coup de marketing, proposent de racheter des Ehpad pour un euro symbolique. Ce n'est pas notre vision du grand âge. Nous ne sommes pas dans le camp de ceux qui veulent faire de l'argent à tout prix".
Son homologue de La Roche-Jaudy estime que "l'Etat [leur] doit de l'argent", après la mise en place de mesures sociales pour les personnels que Jean-Louis Even estime "positives pour les salariés et ça c'est important, précise-t-il. Ce sont eux qui se battent pour maintenir nos anciens dans un confort de vie. Mais l'Etat ne finance pas totalement. Il nous oblige à dépenser et après il viendra nous dire que nous sommes des mauvais gestionnaires".
Le reportage de Fabrice Leroy et Jean-Marc Seigner
"Catastrophe humanitaire"
Ne plus payer les factures d'énergie pour mettre au grand jour les difficultés avec lesquelles les Ehpad doivent composer au quotidien va au-delà de la symbolique. Il s'agit ici de "tout faire pour éviter une catastrophe humanitaire, note Jean-Louis Even. Dans ma commune, l'Ehpad public a un an et demi devant lui. Et après, basta ! Qu'est ce que l'on fera de nos anciens ? Où iront-ils ? Il est plus que temps de réagir".
Xavier Compain souligne pour sa part que les maires qui tirent la sonnette d'alarme et bloquent le paiement des notes d'électricité et de gaz ne sont pas "des sauvageons. Nous allons évidemment provisionner l'argent", via la caisse des dépôts et consignation.
Les élus costarmoricains souhaitent être reçus à Paris, "par un ministre et pas par des conseillers du cabinet". Ils ont également pris contact avec un avocat "car, anoncent-ils, nous réfléchissons à attaquer l'Etat".