Les volets roulants descendent doucement. Encore un instant et la petite maison qui surplombe la plage de la Grandville à Hillion sera close. André Ollivro a décidé de quitter les lieux. Les émanations de gaz issues des algues vertes en décomposition le rendent malade. Après 25 ans de lutte contre les marées vertes, celui que l’on surnomme le Che Guevara des Grèves, abandonne le bungalow qu’il avait construit de ses mains.
C’était son rêve d’enfance. Son petit paradis. Son coin à lui. La plage de la Grandville à Hillion dans les Côtes-d'Armor. Mais là, écrit-il, "Je n'en peux plus".
Un coin de paradis
En 1936, son grand-oncle y avait construit un hôtel-restaurant. Dans les années 60, sur un morceau de terrain que ce tonton lui avait donné, André Ollivro y a bâti son cabanon, "son havre de paix". Au fil des ans, il a coulé la dalle, monté les panneaux des murs, creusé les tranchées pour faire venir l’eau et l’électricité et tout aménagé.
C’était la maison des vacances… "À l’époque, se souvient-il, c’était magnifique, on faisait du bateau, on ramassait des coques, on allait à la pêche et on ramenait des bars, des soles, il n’y a plus rien de tout cela… il n’y a même plus de vers de vase."
Abîmé par les algues vertes
Le rêve d’enfance a viré au cauchemar à cause d’une algue : ulva armoricana. C’est le nom que lui ont donné les scientifiques quand elle a commencé à proliférer dans les eaux bretonnes dans les années 70. Nourrie par les nitrates rejetés par l’agriculture, l’ulve s’est développée dans les baies, notamment dans celle de Saint-Brieuc.
À Hillion, au pied du cabanon d’André Ollivro, les algues se sont petit à petit déposées. En se décomposant, elles dégagent de l’H2S, un gaz qui peut se révéler mortel à forte dose.
En 2008, deux chiens ont été retrouvés morts sur la grève juste en dessous du bungalow. Trois ans plus tard, c’est 36 sangliers qui périssaient au même endroit.
André Ollivro branche son détecteur qui commence aussitôt à biper. "Là, on monte à 0,7 - 0,9, plus on approche de la mer, plus ça monte. Les années précédentes, le compteur ne grimpait pas à ce niveau-là, constate-t-il. Pour avoir des chiffres comme cela, il fallait descendre sur la plage."
Il contemple, impuissant, la plage couverte d’un immense tapis vert. "Au-dessus de 1 PPM (partie par million), il faut fermer les plages et dégager… Là, on est à 1… donc il ne faut pas rester longtemps."
Depuis 2022, une surveillance régionale de la qualité de l'air à proximité des zones de putréfaction a été déployée en Bretagne. À Saint-Guimond, une des autres plages d’Hillion, l’accès a déjà été interdit à trois reprises depuis le début de l'été 2024.
Lire : Algues vertes, la lutte sans fin ?
25 ans de combat
De ses fenêtres, André Ollivro a vu la situation se dégrader année après année. Le cabanon de vacances s’est peu à peu transformé en quartier général de ses batailles contre les marées vertes et l’agriculture intensive. 25 ans de combat, "et je m’aperçois que rien ne change" soupire-t-il.
"Là, ce sont des vasières qui n’existaient pas avant. Mais maintenant, quand les algues vertes arrivent, elles pourrissent tout de suite parce qu’elles sont dans un milieu putride. On ne ramasse pas les algues donc elles pourrissent et dégagent un gaz toxique. Un gaz qui altère les intestins, qui pique les yeux, Non, ce n’est pas possible. On ne peut plus rester, sinon, c’est la santé qui en pâtit. Je ne veux pas vivre dans ces conditions-là, je m’en vais. "
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Le départ
Parodiant Georges Marchais (secrétaire général du Parti communiste qui avait expliqué sur le plateau d'Antenne 2, le 21 janvier 1980 : « J’ai dit à ma femme : "François Mitterrand a décidé d’abandonner le programme commun de la gauche, fais les valises, on rentre à Paris !"), André Ollivro écrit à son tour, "J'ai dit à Nelly : 'on fait nos valises, et on boucle tout ! ' "
Il a tout rangé dans ses sacs et mis la clé sous la porte. "Je reviendrai l’hiver pour revoir ce paysage magnifique", dit-il.
Son rêve d’enfance s’est évanoui. Il ne passera pas l’été à Hillion. Il a perdu une bataille, mais pas la guerre. Il entend bien continuer le combat !
(avec Gilles Le Morvan)