"Je ne lâche pas ! " 35 ans après la mort d’un joggeur, Pierre Philippe, ancien médecin urgentiste à l’hôpital de Lannion, a écrit au ministre de la Justice pour demander le rapport d’autopsie d’un jeune homme décédé sur une plage bretonne au milieu des algues vertes.
C’était l’été 1989. Pierre Philippe était médecin aux urgences de Lannion. Un jour, on lui a amené le corps sans vie d’un jeune homme de 28 ans. Le joggeur avait été retrouvé dans un amas d’algues vertes sur la plage de Saint-Michel-en-Grève dans les Côtes-d’Armor. Quand il ouvre la housse dans laquelle le corps est enfermé, l'odeur des algues en décomposition est si insupportable qu'il doit tout arrêter.
Le médecin ne comprend pas comment un sportif, jeune, apparemment en pleine forme, a pu succomber. Il soupçonne les algues vertes et demande une autopsie.
Les algues tueuses ?
Lorsqu’elles se décomposent sur les plages, les algues vertes dégagent du H2S, sulfure d'hydrogène. Un gaz qui peut se révéler très dangereux, notamment, en cas d’effort. "On l’a vu depuis", constate le médecin.
En 1999, un ramasseur d’algues perd connaissance dans la même baie de Saint-Michel. Il reste cinq jours dans le coma. En 2008, deux chiens trouvent la mort sur la plage d’Hillion. En 2009, un autre ramasseur d’algues, Thierry Morfoisse décède à bord de son camion après une journée à transporter des algues en putréfaction. Quelques semaines plus tard, c’est un cheval qui tombe, asphyxié, sous son cavalier qui lui, a fait un malaise. En 2011, 36 sangliers sont découverts dans l’estuaire du Gouessant. En 2016, un autre joggeur est retrouvé envasé et sans vie sur la plage d’Hillion.
"Aujourd’hui, les autorités reconnaissent que "peut-être", en ce qui concerne le cheval ou les sangliers, les algues vertes sont en cause, mais aucun décès humain n’est officiellement attribué aux algues. On a l’impression que si on l’admettait, on franchirait un cran. Alors qu’en fait, il faut être aveugle pour ne pas se rendre compte, s’irrite le médecin. Mais on recule, on recule."
Première salve de courriers il y a 15 ans
En 1989, l’autopsie du jeune joggeur a bien eu lieu. Pierre Philippe a été en contact avec un des deux médecins qui l’a pratiquée. Mais il n’en a jamais eu les résultats. Il vient encore une fois de les demander, en s’adressant cette fois au ministre de la Justice !
Je ne lâche pas, quitte à paraître pénible, je ne lâche pas ! Je veux clore cette histoire.
Pierre Philippe
Le médecin avait déjà réclamé ces documents à la justice, il y a 15 ans… Il avait adressé différents courriers : d’abord au tribunal de Guingamp, puis à celui de Saint-Brieuc, à la cour d’appel de Rennes. Au bout de six ou sept lettres sans réponse, il avait renoncé.
À l’époque, il souhaitait publier un article scientifique sur la dangerosité des algues, pour que les médecins confrontés à des décès dans les mêmes conditions, soient informés. L’article est sorti sans l’autopsie. Il y fait référence, mais… a laissé un sentiment d’inachevé à Pierre Philippe.
Un silence assourdissant
À l’occasion de la sortie du film Les algues vertes, inspiré par la bande dessinée d’Inès Léraud, Algues vertes, l’histoire interdite, le médecin a eu envie de mettre un point final à cette triste histoire.
"Je me suis dit, maintenant, la messe est dite. Cette mort, ce n’est plus un mystère. Ce jeune homme est décédé à cause des algues vertes. Comme le cheval, les sangliers, il n’y a plus de doute sur les causes du drame…"
Il a repris sa plume et recommencé à expédier ses lettres. Une première missive en juillet au procureur de la République de Saint-Brieuc, puis une autre avec accusé de réception, puis une troisième à Rennes. Chaque fois, ses lettres sont restées sans réponse.
En mémoire de ce jeune homme
"Ce silence ne fait qu’engendrer de la méfiance et de la défiance vis-à-vis des autorités, regrette le médecin. C’est Kafka, Ubu… je ne sais plus."
Cela ne me satisfait pas de savoir qu’un jeune homme est mort il y a 35 ans et que des éléments nous soient toujours cachés.
Pierre Philippe
"Je n’ai rien à gagner dans cette histoire-là, tous les éléments sont suffisants pour dire que les algues vertes ont tué. Mais cela ne me satisfait pas de savoir qu’un jeune homme est mort il y a 35 ans et que des éléments nous soient toujours cachés."
"C’est un peu comme un cold case, compare-t-il. Parfois, on finit par trouver ce qui s’est passé. Cela ne fait pas revenir la victime, ça ne change pas le cours des choses mais au moins, on sait ce qui s’est passé."
L’urgentiste aimerait des réponses et continuera de se battre en mémoire de ce jeune joggeur et des autres victimes des algues vertes.
Pierre Philippe et l'association des victimes des marées vertes ont demandé à l'ARS une enquête épidémiologique sur les ramasseurs d’algues vertes. "On sait qu’en cas de forte concentration, les algues vertes peuvent tuer, mais on ignore ce qui se passe dans les organismes qui sont en contact régulier avec les algues."
Les années passent, mais l’urgentiste n’entend pas baisser les bras. Il attend des réponses à toutes ses questions.