Déconfinement: les châtelains, pressés de partager à nouveau leur patrimoine pour le sauvegarder

Fort la Latte, Château de Josselin, Château du Rocher-Portail, voilà des joyaux du patrimoine breton. Tous inaccessibles depuis le 17 mars. Mais leurs propriétaires privés s'inquiètent: quand pourront-ils accueillir de nouveau du public? Il en va de la survie de ces monuments historiques. 

Les herbes sont hautes, les buis ont pris leurs aises, les branches détachées par les récents coups de vent gisent ça et là… Jamais Antoinette de Rohan, épouse du 14ème duc du nom n’avait observé le parc dans un tel état d’abandon. « Les jardiniers ne sont pas venus depuis le 16 mars. On est loin des rigueurs du jardin à la française. »

Depuis le début du confinement, le couple propriétaire de ce château majestueux du XIVème siècle qui domine la vallée de l’Oust dans le Morbihan, n’a pas quitté les lieux. « Jamais, je n’avais passé autant de temps sur place, ni aussi isolée. Cela a été l’occasion de ranger, de nettoyer, de trier. C’est une vraie maison de famille depuis 1850. Nous avons rouvert des vieux tiroirs, retrouvé des souvenirs. C’est un privilège d’être confiné dans un lieu aussi beau. » 

 


 

L'incertitude de la date de réouverture autorisée


Un privilège certes, mais teinté d’anxiété. Quand le château et son parc pourront-ils être réouverts au public ? «C’est notre plus grand souci : que ce site retrouve une vie normale », lui qui accueille habituellement 60 000 visiteurs chaque année. « Si on ne pouvait pas rouvrir d’ici fin juillet, c’est la moitié du chiffre d’affaires qui serait perdu. Des recettes qui font vivre trois employés et demi par an et une quinzaine de saisonniers. »

Une inquiétude que partage Manuel Roussel, le récent propriétaire du château du Rocher-Portail, situé à une demi-heure de Rennes, à Maen-Roch en Ille et Vilaine. « On est un peu en sursis, nous n’avons pas de visibilité, et aucune date sur une possible réouverture de nos monuments historiques ». 
 

Et les banques refusent de nous accorder le prêt garanti par l’Etat, car un château ce n’est pas considéré comme rentable.
 

Cet entrepreneur dans l’environnement a racheté, il y a quelques années, ce domaine de 60 hectares et son château dessiné par l’architecte royal Salomon de Brosse (architecte également du Parlement de Rennes).

Réalisant un rêve d’enfant, il l’a ouvert au public depuis 2017 et espérait atteindre un équilibre financier d’ici deux ans. « Nous n’avons aucune rentrée de chiffres d’affaires et des charges fixes énormes. Ici c’est 100 000 euros de charges à l’année. Là, j’estime déjà les pertes entre 70 et 100 000 euros. Et les banques refusent de nous accorder le prêt garanti par l’Etat, car un château ce n’est pas considéré comme rentable. »

Pour réduire au maximum les charges, le voilà désormais qui endosse le costume de jardinier, de paysagiste… Une vidéo humoristique, mis en ligne par son épouse sur les réseaux sociaux, en témoigne. 
 
 


Isabelle Joüon des Longrais a, elle aussi, fait ses calculs. La propriétaire du Fort-La-Latte, ce château féodal à proximité du Cap Fréhel dans les Côtes-d'Armor, craint 600 000 euros de perte d’ici mi-juillet. « On va mettre trois ans à s’en remettre, et de nombreuses phases de travaux vont être reportées. »

Chaque année, 150 000 visiteurs se pressent pour découvrir ce site grandiose de la côte d’Emeraude mais là, l’incertitude est grande. « On n’a aucune information et on est à l’affût de ce que vont dire les autorités. Apparemment les châteaux inconnus qui reçoivent peu de public vont pouvoir ouvrir à nouveau, mais ils ont moins d’expérience que nous sur l’accueil des visiteurs. »

 

Ce qu’espère la châtelaine, c’est ouvrir en juin. « Ce serait un moindre mal, d’autant qu’on va perdre les visiteurs étrangers, ce qui représente 20% de nos 150 000 visiteurs habituels. »
 

Des châtelains fin prêts pour accueillir à nouveau des visiteurs


Dans cette perspective, tout est prêt : gel hydroalcoolique,  masques pour le personnel, aménagement des espaces d’attente et de la caisse. « Bien sûr, il n’y aura pas de visites guidées, ni d’événements comme les Médiévales. Nous accueillons d’habitude mille personnes par jour en juillet et en août, mais sur une amplitude horaire de 10h30 à 19h30. Pour le donjon, nous devrons filtrer l’accès. »

A Josselin, Antoinette de Rohan se prépare pour une ouverture le 5 juillet, au début des vacances scolaires. « Nous sommes en train de préparer un dossier sanitaire que nous allons soumettre à la préfecture du Morbihan. Nous savons déjà qu’il y aura bien sûr des contraintes. Nous ne ferons pas de visites guidées, nous ne ferons entrer que 70 à 75 personnes à la fois à l’intérieur du château. Tout ça va demander de la régulation et bien sûr plus de personnel.»

 
 

Notre cauchemar, c’est de ne plus être en mesure d’entretenir ces domaines et d’être obligés de les vendre.
 

Au château du Rocher-Portail, tout a été aussi pensé pour proposer des visites guidées, uniquement à l’extérieur. «Avec un site de 60 hectares, et un parc de 2 hectares autour du château, aucun problème de distanciation sociale!» sourit Manuel Roussel avant de reprendre son ton plus sérieux. 
 « Notre cauchemar, c’est de ne plus être en mesure d’entretenir ces domaines et d’être obligés de les vendre. Or des propriétés comme celles-ci sont en général rachetées par des étrangers qui ne les ouvrent plus au public. »

Le monument historique, un moteur pour l'économie rurale


Et un monument historique, ce sont aussi des retombées économiques pour le territoire. « C’est important sur l’économie rurale locale » estime Manuel Roussel. « Dans la petite ville de Josselin, il y a beaucoup de commerces et la reprise du tourisme est très attendue aussi » confirme Antoinette de Rohan. 

On ne demande pas de subventions mais des prêts


D’où l’appel à l’aide de Manuel Roussel, un appel en direction de la région notamment. « On ne demande pas de subventions mais des prêts pour faire face aux charges fixes, des avances sur trésorerie. Il faut changer l’image de ces propriétaires nantis, la majorité d’entre nous, avons des emprunts, nous nous occupons des châteaux par passion. Mais les équilibres sont très fragiles. »

 

Des gestionnaires et entrepreneurs de monuments historiques privés et ouverts au public tirent la sonnette d’alarme suite au confinement



En attendant sa réouverture, c’est sur les réseaux sociaux que le château du Rocher-Portail sera à découvrir avec une visite en direct le 16 mai.

 
 
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