Agriculture. Jules Hermelin, de la thèse à la traite

Il y a quelques jours, Jules Hermelin a soutenu sa thèse en anthropologie sur l’élevage laitier dans le Finistère. Le jeune homme a passé six années aux côtés des agriculteurs pour les écouter parler de leur métier. Il souhaite maintenant poser son crayon et son carnet de notes pour prendre, comme eux, la clé des champs et s’installer dans une ferme près de Douarnenez.

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Ce sont les agriculteurs colombiens qui ont fait germer l’idée dans l’esprit de Jules Hermelin. A l’époque, étudiant en Master d’anthropologie, il travaille sur le commerce du café. Les colombiens le questionnent sur leurs homologues bretons. Comment ils vivent ?  combien ils gagnent ? Jules, petit-fils d’agriculteur breton ne sait pas leur répondre.

Il décide donc de consacrer sa thèse de l’ École des hautes études en sciences sociales  aux producteurs de lait du Finistère. Entre 2014 et 2020, il a passé ses journées avec les éleveurs. Souvent, le matin, il travaillait avec eux. Quand on fait la traite ou qu’on soigne les animaux, la parole est libre. Jules a ainsi tourné dans une soixantaine de fermes et a mené plus de 80 entretiens. L’après-midi, il transcrivait ses notes.

Ses premières rencontres ont eu lieu en septembre 2014, quelques mois avant la fin des quotas laitiers qui ont définitivement disparu le 1er avril 2015. Il a essayé de comprendre quel serait l’impact de cette disparition. Et très vite, il a réalisé que les quotas n’avaient disparu que sur le papier.


Jusqu’en 2015, l’administration autorisait les éleveurs à produire un certain volume de lait. Depuis 2015, ce sont les laiteries qui déterminent les quantités. Donc, " en fait, résume Jules Hermelin, les agriculteurs sont juste passés d’une régulation publique à une régulation privée !"

"Mais, précise-t-il aussitôt, cela a eu des conséquences : puisqu’elles n’étaient plus limitées par les quotas, les laiteries ont voulu partir à la conquête de marchés internationaux. Pour remporter ses marchés, elles ont baissé leurs prix et donc celui qu’elles payaient aux producteurs !  Et cela fait des années de cours ridiculement bas ! "

Les laiteries ont pris le pouvoir

" Les laiteries sont devenues les reines : elles décident du prix et du volume, et personne ne peut rien leur dire" s’étonne Jules Hermelin. Pendant la grève du lait en 2009, les éleveurs demandaient la création d’Organisations de Producteurs au niveau régional. " Elles auraient pu servir de contre-pouvoir, mais elles n’ont jamais pu voir le jour ", regrette-t-il.  

Un malaise palpable

Au cours de ses rencontres dans les fermes, Jules Hermelin a vu un sentiment de malaise s’installer. " Les éleveurs ne maîtrisent presque plus rien déplore-t-il. Ils n’ont pas le choix du volume qu’ils vont livrer, ils ne fixent pas leurs prix et subissent les fluctuations de leurs charges. "

"Les agriculteurs restent des travailleurs indépendants, mais l’univers des contraintes se resserre de plus en plus. Car dans une ferme, explique l’anthropologue, quand on fait un choix, il est difficile de revenir en arrière, les investissements sont tels qu’il n’y a pas d’autres solutions que d’avancer. Un jeune qui s’installe en lait, entre les terres, les bâtiments, le troupeau, il a besoin d’investir moins 350 – 400 000 euros. S’il veut arrêter, changer de production, ou de mode de production, il lui faut rembourser cette somme. Il en a au moins pour 15 ans ! "


Jules Hermelin ne cache pas qu’il a rencontré de nombreux agriculteurs heureux, mais qu’il a aussi croisé des éleveurs en souffrance." Les finances de la ferme conditionnent la vie sociale de l’exploitant analyse l’anthropologue. Quand on est endetté auprès de son voisin, entrepreneur en travaux agricoles, et qu’on ne peut pas le payer, c’est une souffrance sociale et c’est un facteur d’accroissement de l’isolement. "

Des coopératives à la place des exploitations ?

Dans sa thèse, Jules Hermelin propose de transformer les fermes en SCOP, sociétés coopératives et participatives. Les agriculteurs prendraient des parts, pourraient ainsi ouvrir des droits au chômage et à la retraite. " Cela permettrait aux jeunes de s’installer et aux anciens de partir décemment souligne-t-il. Car aujourd’hui, c’est un cercle vicieux, ceux qui veulent se lancer doivent payer des sommes faramineuses pour compenser les retraites ridicules des agriculteurs."

Trouver l’équilibre

L’anthropologue a intitulé son travail, " La fuite en avant des troupeaux humains-bovins."" Les agriculteurs ont une connaissance intime de leur environnement explique-t-il. I ls passent beaucoup de temps avec leurs vaches, ils les voient à la traite, dans les champs, de leur naissance à leur départ et ils doivent transformer cette connaissance en chiffres."

" Quand un agriculteur passe dans une prairie ou dans un champ, il sait s’il y a suffisamment d’herbe, si le maïs sera beau, si les vaches vont bien et tout cela à un moment passe par des calculs

 
Après sa thèse, Jules Hermelin a passé un BTS agricole. Il rêve de devenir agriculteur dans une ferme près de Douarnenez. Il connait mieux que quiconque les difficultés du métier, mais il en connait aussi toutes les richesses.

Humblement, il conclue, on va essayer et on va essayer de faire des choix en sachant qu’on ne peut jamais dire si ce seront les bons avant de les avoir faits. Jules Hermelin sera sans doute éleveur demain, mais où qu’il aille, il aura sans doute un anthropologue dans un coin de la tête !

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