"Dans les années 70, la Bretagne compte plus d'attentats qu'en Corse" : il y a 50 ans, l'attentat du Roc'h Trédudon coupait le son et l'image dans les foyers bretons

Dans la nuit du 13 au 14 février 1974, l'émetteur du Roc'h Trédudon est visé par un attentat, revendiqué par le Front de libération de la Bretagne. L'antenne, installée dans les Monts-d'Arrée, permet aux Bretons de recevoir les trois premières chaînes de télévision. Le plasticage détruit le pylône. Le Finistère, une partie des Côtes-d'Armor et du Morbihan sont privés de son et d'images pendant plusieurs semaines.

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En ce matin hivernal de 2024, la brume enveloppe l'émetteur du Roc'h Trédudon, dans les Monts-d'Arrée. Les 220 mètres de ferraille sont devenus, il y a 50 ans, le symbole de la lutte armée en Bretagne.

Dans la nuit du 13 au 14 février 1974, à 1h10, deux explosions retentissent. Le pylône s'écroule, privant les Bretons des trois premières chaînes de télévision qui existent à l'époque, dirigées depuis Paris par l'ORTF, l'office de radiodiffusion-télévision française, et contrôlées par l'État.

Le sabotage intervient quelques semaines après qu'un journaliste de la seule émission diffusée en langue bretonne a été censuré. L'attentat est revendiqué par le Front de libération de la Bretagne (FLB). Une plaque en bois est découverte sur place, sur laquelle figure ce message : "FLB-ARB, evit ar brezhoneg" (pour le breton, NDLR).

Aucune arrestation

"1974, c'est le moment où le FLB devient très révolutionnaire et d'extrême gauche, relate Erwan Chartier, rédacteur en chef du Poher Hebdo et auteur de "Roc'h Tredudon 1974 : la bombe et le pylône". Il se pose en défenseur du peuple breton contre ce qu'il qualifie d'oppression de la part de l'État central. Dans les années 70, la Bretagne compte plus d'attentats qu'en Corse. On est en plein dans les luttes sociales comme celle des ouvriers du Joint Français en 1972 à Saint-Brieuc, de la grève du lait, etc. Il y a une effervescence politique et culturelle avec l'émergence de propositions régionalistes, autonomistes voire indépendantistes. Le Roc'h Trédudon fait partie des quatre ou cinq attentats qui a marqué les esprits par son retentissement médiatique" ajoute le journaliste spécialiste des mouvements politiques bretons.

Si tout a été minutieusement calculé pour que l'attentat du Roc'h Trédudon ne fasse aucune victime, un homme décédera pourtant : Pierre Péron, le directeur du site, meurt d'une crise cardiaque le 14 février, en découvrant l'ampleur des dégâts. L'antenne est à terre. Une partie s'est écrasée sur les locaux techniques de l'ORTF et des PTT.

Le fait qu'il n'y ait jamais eu d'arrestations confère à cet attentat une part de mystère

Erwan Chartier

Auteur de "Roc'h Tredudon 1974 : la bombe et le pylône"

L'enquête piétine. Les plastiqueurs ne seront jamais officiellement identifiés. "Le fait qu'il n'y ait jamais eu d'arrestations confère à cet attentat une part de mystère, souligne Erwan Chartier. Et puis, après la mort de Georges Pompidou en avril 1974 et avec l'arrivée de Giscard au pouvoir, les faits sont amnistiés".

Les années de poudre

Au moment du sabotage de l'émetteur des Monts-d'Arrée, le FLB est sous le coup d'une dissolution prononcée le 30 janvier 1974 par le ministre de l'Intérieur, Raymond Marcellin. Ce dernier, baron de la politique en Bretagne (député du Morbihan de 1946 à 1997, président du Conseil régional de 1978 à 1986, maire de Vannes de 1965 à 1977), mène une bataille musclée contre les mouvements d'extrême gauche, qui lui vaudra le surnom de "Raymond la matraque". L'attentat du Roc'h Trédudon intervient dans ce contexte, lequel, plutôt que de freiner la lutte armée en Bretagne, l'accélère.

À l'été 1974, un autre attentat, imputé au FLB, a lieu dans le Finistère. "Celui, oublié, qui a détruit un avion de ligne sur le tarmac de l'aéroport de Quimper, précise Erwan Chartier. Le FLB y dénonce les liens des patrons bretons avec l'État oppresseur et colonialiste". S'ensuivent les années de poudre avec, notamment en 1978, le plasticage du Château de Versailles.

La vie sans télévision

La destruction de l'émetteur du Roc'h Trédudon impose aux Bretons, et plus particulièrement aux Finistériens, de vivre sans télévision pendant de longues semaines. "On lit, on écrit, on joue aux petits chevaux, mais cela ne remplace pas la télé" témoigne cette habitante en 1974. "Les gens sont complètement décontenancés" affirme cet homme. "La télé, c'est notre distraction du soir" confie un autre.

À l’époque, dans les foyers français, la télévision occupe une place prépondérante. On se retrouve en famille devant le poste comme autrefois autour d'une veillée. En Bretagne, la nuit du 13 au 14 février 1974 interrompt brutalement les programmes. Le FLB réduit l'ORTF au silence.

Ainsi que le raconte Erwan Chartier, des sociologues viennent même en Bretagne pour mesurer les effets d'un monde sans télévision. "Les gens ont ressorti leurs jeux de société, leurs dominos, indique-t-il. Mais ils se sont aussi rendus nombreux au Roc'h Trédudon pour voir le pylône au sol".

Des antennes-relais sont mises en place. Les Bretons retrouvent leurs chaînes de télévision petit à petit. La reconstruction de l'émetteur du Roc'h Trédudon s'achèvera en avril 1975.

(Avec Mathieu Herry)

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