Pour surveiller l'évolution du trait de côte, des citoyens résidant sur le littoral breton sont appelés à fournir des données aux chercheurs de l'Université de Bretagne Occidentale. Enregistrées sur une application numérique, ces mesures constituent une base fiable pour évaluer l'érosion, qui s'accélère sous l'effet du dérèglement climatique.
Une fois par mois, Patrick prend en photo l'une des plages de Guissény, au Nord de Brest. Cet habitant de la région vient à marée basse, se poste toujours au même endroit, et cadre le paysage de la même manière. "Cela ne me prend pas longtemps", précise Patrick Calonnec, qui se plie volontiers à ce rendez-vous mensuel, agrémenté d'une balade sur la côte finistérienne.
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La photo prise sur la plage du Vougo est téléchargée sur une application numérique, "Coast Appli", développée par des scientifiques de l'Université de Bretagne Occidentale (UBO). Le retraité finistérien complète la collecte de données par des mesures : il déroule son mètre ruban à l'aplomb d'un rocher, ce qui permet d'évaluer l'épaisseur de la couche de sable, qui a tendance à s'amoindrir. La profondeur de la dune est également mesurée. Ce qu'on appelle le trait de côte, la limite entre la terre et la mer, recule progressivement, la mer "grignotant" toujours plus de terre, sous l'effet du dérèglement climatique. Depuis les années 1960, le territoire de la France a perdu 30 km2 de sa superficie, soit un terrain de football tous les 4 à 5 jours.
Science participative
La démarche, qui relève de la "science participative", produit aussi des effets pédagogiques auprès des "ambassadeurs du trait de côte", selon l'agent du Conservatoire du littoral, Nicolas Loncle. "Participer à cette observation, cela permet de mieux comprendre le phénomène de l'érosion du trait de côte. Et mieux le comprendre, ça permet à chacun de s'y préparer, dans le long terme."
D'après une étude publiée en 2024 du Céréma, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, d'ici à quatre ans, 1000 bâtiments résidentiels et commerciaux, pour une valeur de 240 millions d'euros, sont menacés par l'avancée de la mer. D'ici à 2050, les constructions concernées par la destruction sont évaluées à 1,2 milliard d'euros.
Données fiables
Le protocole à suivre pour prendre les mesures de l'érosion a été édictée par les chercheurs de l'Université de Bretagne Occidentale (UBO). Il garantit la fiabilité des données." Cela permet de quantifier la perte de sédiments", résume Riwalenn Ruault, la chercheuse qui a participé à la création de Coast appli. "Elle est ensuite analysée, dans des articles scientifiques".
Des données, pour quel impact ?
L'application va étendre son domaine de recherche au littoral de Concarneau. Reste que la somme de données scientifiques sur les conséquences du dérèglement climatique pèse modérément dans la balance, lorsque des décisions politiques doivent être prises.
Une sociologue qui étudie la place des sciences exactes dans l'action publique, le soulignait il y a quelques jours dans une chronique du journal Le Monde. "S’il existe un programme de stabilité pour les dépenses publiques, il n’en existe pas pour l’empreinte carbone," remarque Dominique Méda. Bien que le dérèglement climatique coûte déjà très cher à la société, "peu d’économistes proposent d’accorder autant d’attention aux variations de températures ou de tonnes de CO2 qu’à celles du produit intérieur brut (PIB) ", ajoute-t-elle.