La chapelle du mont Saint-Michel de Brasparts a été sauvée des flammes qui ont détruit près de 1800 hectares dans les Monts d'Arrée, entre le 18 et le 24 juillet. C'était un des points sensibles, une des priorités des pompiers. Emblématique, le petit édifice occupe en effet une place bien particulière dans le cœur et le paysage bretons.
"C'est un crève-cœur, on se sent tous blessés." En voyant les landes et tourbières partir en fumée entre le 18 et le 24 juillet, beaucoup dans les Monts d'Arrée se sont sentis directement touchés.
"Nos montagnes bretonnes brûlent et nos cœurs aussi, on est catastrophés !" "Ça ira mieux quand le mont sera guéri"... Ici et là, les témoignages affluent. On parle du mont Saint-Michel comme d'un membre de sa famille. À son sommet, "heureusement, la chapelle a été sauvée", souffle Fabienne Le Gall, une habitante qui travaille de surcroît à l'office du tourisme de Huelgoat.
"Cerise sur le gâteau"
Comme elle, beaucoup ont ressenti du soulagement en apprenant que les flammes n'avaient pas touché l'édifice religieux qui culmine à 381 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette mer d'Iroise que l'on aperçoit quand le ciel est dégagé au-dessus des Monts d'Arrée.
Si Maël de Calan, le président du conseil départemental, remerciait chaudement dès le mardi 19 juillet, les pompiers d'avoir "réussi à préserver un des lieux les plus emblématiques du Finistère", c'est bien que l'attachement ne se restreint pas aux seuls habitants des alentours.
"On est sur un paysage complètement différent de ce qu’on peut retrouver ailleurs en Bretagne", confirme Céline Kergonnan, conseillère en séjour à l'office du tourisme des Monts d'Arrée. Il n'y a qu'ici qu’on trouve ce paysage de landes et de tourbières, avec en plus ce point culminant et cet édifice cultuel que l'on voit de loin : c’est la cerise sur le gâteau."
Un gâteau qui a pourtant été longtemps boudé...
Au moins 120 000 visiteurs par an
"Avant, personne ne voulait passer par les Monts d’Arrée ! se souvient Pierre Pinat. Il fait froid, il y a du vent, il y a de la brume… Aujourd’hui, le site est mis en valeur, mais ce n’était pas du tout le cas auparavant !" poursuit celui que l'on surnomme Pierre Le Guide. Selon lui, ce regain d'intérêt pour la Bretagne intérieure, longtemps méprisée, date des années 1970, "quand on a pris conscience de l'importance de nos enclos paroissiaux."
D'après l'office du tourisme des Monts d'Arrée, 120 000 visiteurs passent maintenant par là tous les ans. Un nombre sûrement sous-estimé : "Il y a un engouement certain ! Entre les réfugiés climatiques, les réfugiés pandémiques et la volonté politique de la région qui a déclenché les fameuses Dix destinations cœur de Bretagne"...
Céline Kergonnan confirme : en retrait du littoral plus fréquenté, le site présente des intérêts. "Les gens apprécient le moment passé sur le mont, et ceux qui sont vraiment fans, découvrent aussi les autres crêtes. Du haut, on a le panorama complet. Dans la chapelle, certains viennent pour méditer, se poser... On se retrouve comme dans un cocon parce que, même si il fait très beau, il y a toujours un petit peu de vent là-haut…"
"En haut de ce mont pelé, on ne voit qu'elle ! complète Fabienne Le Gall. Et le fait que la chapelle surplombe tout, on la sent bienveillante..."
Un édifice sacré ?
Erigée sur la commune de Saint-Rivoal, celle qu'on appelle pourtant communément la chapelle du "mont Saint-Michel de Brasparts" a été sacralisée en 1677. "En plein sous le règne de Louis XIV, pendant la révolte des Bonnets rouges, ces paysans bretons qui se sont révoltés contre le pouvoir royal", rappelle Pierre Le Guide.
"Mais il y avait sans doute autre chose avant ! Sans doute un temple, un lieu de culte païen avant la christianisation. Peut-être y a-t-il un lien à établir avec le site des noces de pierre ("an eured vein" en breton) qui est situé en contrebas ?" Et le guide de préciser que cet alignement compte exactement 77 menhirs. "Ils sont petits, pas impressionnants par leur taille, mais il y en a 77..." Chiffre parfois qualifié de magique, le 7 est supposé porter bonheur. Un chiffre considéré comme sacré dans de nombreuses religions.
"Le site de la noce est un alignement de pierres élevées au néolithique", précise Céline Kergonnan qui est aussi membre du réseau des sites préhistoriques de Bretagne. "La noce n'a jamais été fouillée mais quelques mesures ont été prises par Michel Le Goffic, un ancien archéologue du département du Finistère et le nombre de pierres qui la composent est bien plus important : il en a dénombré 88 et il y en a sans doute d'avantage. une fouille permettrait d'en connaître plus sur ce lieu."
Ce qui est certain, c'est qu'au 17ème siècle, la chapelle sert d'abri pour les bergers.
Son clocher, lui, date de 1820, la date est gravée sur le petit clocheton, "mais la Révolution étant passée par là, ça n’a plus eu lieu d’être une chapelle", précise le passionné. "C'est avec la Première Guerre mondiale, que la chapelle redevient un lieu de pèlerinage : on venait y prier l’archange Saint Michel, le "chef des anges", celui qui protège les enfants des famines, des conflits... Saint Michel, c’est la victoire du bien contre le mal" , raconte Pierre Pinat.
Lors de la Second Guerre mondiale, les Allemands occupent le sommet et y installent un système de radio et de navigation afin d’orienter les bombardiers se dirigeant vers Brest. "Les vestiges de la raie circulaire sont encore visibles, ainsi que deux blockhaus", commente le guide. "La chapelle aurait pu être détruite à ce moment-là, mais elle a été épargnée, encore une fois... Pour moi, ajoute Pierre Pinat, ça ne m'étonne pas : la chapelle a été sauvée des flammes cet été, parce qu'elle est protégée..."
Simplicité, humilité
Aujourd'hui, la chapelle est une étape de randonnée, un lieu où les gens viennent se recueillir, se reposer, discuter… "Dedans, il y a toujours des bougies, des offrandes, des prières, des fleurs et des vierges, décrit le guide. Ce que j’aime beaucoup, c’est la simplicité qui règne à l’intérieur. Il n'y a rien ! C’est vraiment l’humilité, entourée de cette immensité..." s'enthousiasme-t-il.
Refuge pour certains, point de vue pour d'autre, la chapelle attire pour différentes raisons. Un projet de valorisation est en cours, note Céline Kergonnan. "Les habitants ont été interrogés sur le côté symbolique de la chapelle, sur ce qu’elle pouvait représenter que ce soit d’un point de vue patrimonial, d’un point de vue spirituel. Et c’est vrai que c’est un lieu un peu particulier."
"Esthétiquement elle n'a pas grand chose d'extraordinaire, complète Fabienne depuis son bureau de Huelgoat. Elle est un peu comme l'âme des gens : elle est toute simple, c'est ce qui fait qu'on y est attaché : elle est rustique !"
De passage cette semaine sur le site avec préfet et président du conseil départemental du Finistère, l'ancien ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon a rappelé que François Pinault, dont il est le conseiller personnel, a proposé "d'aider financièrement à la reconstitution de la végétation et de faire les travaux de restauration de la chapelle". L'homme d'affaires est, on le sait, attaché au patrimoine régional.
Combien ? L'avenir nous le dira. En attendant, dans les landes et tourbières qui ont brûlé, quelques touffes de molinie reverdissent déjà. "La nature va de toutes façons reprendre vie, termine confiant Pierre Le Guide. C'est plus fort que tout, ça va prendre du temps, mais ça va revivre, et peut-être différemment."
"Les pompiers ont encore une fois fait du super boulot, on ne les remerciera jamais assez", complète-t-on à l'office du tourisme des Monts d'Arrée.