"L'urgence de revenir à la terre". Itinéraire d'un ancien directeur de théâtre devenu éleveur de chèvres angora

C'est dans le petit village de Kerascoët, près de Brest, que Jean-François Martyn a installé son élevage de chèvres angora. Il y a cinq ans, le chevrier était encore assistant de direction du théâtre national de Chaillot, à Paris. Lui qui a grandi à la campagne ne supportait plus le tumulte de la ville. Il a tout plaqué pour écrire ici la suite plus paisible de son histoire. Voici le dernier volet de notre série d'été "Ils ont changé de vie".

L'essentiel du jour : notre sélection exclusive
Chaque jour, notre rédaction vous réserve le meilleur de l'info régionale. Une sélection rien que pour vous, pour rester en lien avec vos régions.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "L'essentiel du jour : notre sélection exclusive". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

À l’approche du portail en bois bleu, deux chèvres relèvent la tête, délaissant leur bout de prairie qui surplombe le bras de mer. Dans cet ancien hameau de pêcheurs, ouvert sur la rade de Brest, on pourrait entendre une mouche voler, si ce n’était le murmure d'un moteur de voiture. 

Sans plus se soucier de rien, les deux Alpines reprennent leur broutage. Des joggeurs remontent le chemin en courant. La vie paisible, alors que la grande ville n'est pas si loin, à vol d'oiseau.

Virage

C’est ici, à Kerascoët (Finistère), près de L’Hôpital-Camfrout, que Jean-François Martyn a jeté l’ancre. Il arrive d’ailleurs au rendez-vous accompagné de son fidèle berger australien. Lelo est du genre cabotin. Mais ne vous fiez pas aux apparences : il monte très bien la garde.

Ce jour-là, le chien va rester à la maison. Pendant que nous irons rejoindre, à pied, les chèvres angora que Jean-François élève depuis maintenant quatre ans.

Le virage est radical dans la vie de cet homme qui a officié durant seize ans comme assistant de direction du théâtre national de Chaillot, à Paris. "Je m’y suis bien plu, je pensais que je m’y installerais pour la vie, relate-t-il. Paris, si on a le temps et l’argent, c'est intéressant. Or, la ville peut vite devenir stressante et bruyante tout le temps. Je ne supportais plus le métro et de moins en moins la foule".

Changer de cap

Le natif de l’Yonne aspire à retrouver le calme de la campagne. Il a bientôt 40 ans et sent qu’il est temps de "changer de cap". Loin du tumulte d’une capitale dont il a fait le tour. Sur son balcon parisien, "le plus fleuri du quartier", il prend soin des oiseaux qui viennent nicher. Pour le potager, dont il rêve, c’est plus compliqué.

Etre éloigné de la nature devenait pesant. Cette envie d’y revenir, de la retrouver, a tout simplement pris de plus en plus de place

Jean-François Martyn

Eleveur de chèvres angora

Les années passent et avec elles, émerge l’urgence de renouer avec la nature. "Même si je ne renie pas ce que j’ai vécu à Paris, être éloigné de la nature devenait pesant. Cette envie d’y revenir, de la retrouver, a tout simplement pris de plus en plus de place".

Remontent également à la surface les souvenirs de l’enfance, près d’Auxerre. Au milieu des animaux, ceux de ses parents et d’une ferme voisine. Il y a aussi les grands-parents qui cultivent  "la vigne, les légumes, ils produisaient leur miel, raconte Jean-François. Ils étaient presque totalement autonomes et leur ingéniosité me fascinait".

Retour à la terre

Sa rencontre avec François-Guillaume, un Finistérien dont les racines sont à Logonna, va accélérer le mouvement. Jean-François démissionne et prend la tangente, direction la Bretagne. "Il suffit parfois d’un déclic" sourit celui qui opère ainsi son retour à la terre.

Lorsqu’il débarque à Brest, en 2018, il enquille les petits boulots dans les serres environnantes. "Je voulais déjà me poser pour réfléchir sérieusement à l'après". L'acquisition de deux vergers, d'un demi hectare chacun, et l'arrivée des deux Alpines signent le premier chapitre de cette nouvelle vie. Il ne part de rien, comme il dit, mais il a le cœur gonflé d'envie.

Je souhaitais travailler avec le vivant mais pas pour produire du lait ou de la viande. La laine, c'est en adéquation avec mes convictions

Jean-François Martyn

Gérer les réservations ou la communication du théâtre national de Chaillot est une chose, devenir éleveur en est une autre. L'ancien citadin entame donc sa reconversion professionnelle au lycée agricole de Fouesnant. Pendant sa formation, un stage chez une éleveuse de chèvres angora des Côtes-d'Armor fait mouche.

Anne-Marie Charles devient son mentor et lui ouvre la porte d'un monde qui fabrique de la laine. "Je souhaitais travailler avec le vivant, mais pas pour produire du lait ou de la viande, confie Jean-François. La laine, c'est l'équilibre parfait qui correspond davantage à mes convictions".

Transhumance

"Là, c'est le box des 4 fantastiques, s'amuse François-Guillaume qui assure les présentations avec le cheptel désormais composé de 56 chèvres aux mèches longues et frisées. "Ici, vous avez, Ratafia, la rebelle de la bande et là-bas, le clan des pots de colle !". Ces dernières ne manquent d'ailleurs pas une occasion pour grimper sur votre dos, lécher votre main et réclamer une caresse en tirant sur la manche de votre anorak. "Dans les box, on les met ensemble par affinités. C'est mieux. Il y a des fortes têtes, il ne faut pas croire".

Jean-François se met au travail. Depuis la naissance des chevreaux, les matins se confondent avec les nuits. "45 biberons par jour cette année, s'exclame l'éleveur. On a eu beaucoup de jumeaux et les chèvres angora ne sont pas de bonnes laitières. Du coup, on complète avec des biberons".

Il aime ça, ce temps partagé avec les animaux, à les chouchouter et à veiller à leur bien-être. "Je suis dans mon élément" dit le grand gaillard tandis qu'il scrute d'un regard doux les petits qui aspirent goulûment le lait.

Vient ensuite le moment de la transhumance quotidienne vers les pâturages.17 hectares de landes et de bois – dont une petite partie louée au Conservatoire du Littoral avec lequel l'éleveur a signé un cahier des charges -, voilà le terrain de jeu de ces caprins qui vivent au grand air, excepté en hiver.

Emmener le troupeau brouter les terres en friche ne passe pas inaperçu dans le village qu'il faut traverser pour rejoindre le garde-manger du jour. Le voyage n'est pas de tout repos : d'un côté, des chèvres qui escaladent les talus pour se rassasier, de l'autre, les voitures croisées sur la route bitumée. 

Gare au loup

Jean-François compte et recompte ses chèvres, court, siffle pour battre le rappel, épaulé par un colosse à poils blancs, un berger des Abruzzes qui vit 24 h sur 24 avec le cheptel depuis le mois d'octobre, à la manière du Patou dans les Pyrénées.

Au-dehors comme au dedans, la chienne est là pour protéger le troupeau de toute attaque, qu'elle provienne de chiens errants, d'humains ou du loup dont la présence dans les Monts-d'Arrée a fini par convaincre l'éleveur de son utilité. "On a refait toutes les clôtures, rehaussé et renforcé les grilles des bâtiments où dorment les animaux, car ils sont forcément très vulnérables" précise-t-il encore.

LIRE : Un premier "plan loup" en Bretagne après la confirmation d'attaques mortelles de brebis dans les Monts d'Arrée

Le pré n'est plus loin. Les chèvres angora connaissent le chemin et accélèrent le pas. C'est parmi les herbes hautes et sèches, entourées de buissons et d'arbustes, qu'elles s'égaillent, sous la surveillance du berger des Abbruzzes qui ne les lâchera pas d'une semelle tout au long de la journée." Il est encore jeune, observe Jean-François, il est un peu fou fou, mais il sait ce qu'il doit faire, comme discerner si elles sont menacées ou pas. Il adapte son comportement en fonction. Les chèvres sont comme sa famille"

Pulls, bonnets, chaussettes

Le métier laisse peu de temps aux vacances. Quelques jours grappillés par-ci par-là sur les 365 qui rythment l'année. Pas plus. Car il y a les marchés à parcourir sur lesquels Jean-François vend pelotes, gants, mitaines, chaussettes, pulls et autres bonnets aux couleurs chatoyantes, confectionnés à partir de la toison de ses animaux.

La tonte des chèvres se déroule en février et en août. Chacune produit en moyenne quatre kilos de mohair par an. "Le mohair est une fibre aérienne et brillante, de très grande qualité, réputée pour sa douceur, explique l'éleveur. Une fois lavée, triée, transformée et teintée dans une filature, elle est tissée et tricotée par des artisans français". 

Comme si les chèvres ne suffisaient pas, sept moutons Shetland sont venus agrandir le clan. Des rustiques élevés, eux aussi, pour leur laine qui est ensuite acheminée vers une micro-filature costarmoricaine. 

Tranquillité

Sur le village de Kerascoet, le soleil entame sa descente. C'est bientôt l'heure de rapatrier les chèvres dans le bâtiment où elles seront mises à l'abri pour la nuit. La transhumance du soir ressemble à celle du matin. Utopie, Sagesse, Nostalgie, Pacha, Rutilante, Hilarante et les autres rentrent au bercail, non sans quelques cabrioles.

Parmi ses animaux, le chevrier est un homme heureux. Dans ce coin du Finistère, baigné par une brise marine, Jean-François Martyn savoure sa deuxième vie. Son retour à la terre a le goût du bonheur simple. L'éleveur est comme ses chèvres : il aime la tranquillité.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information