L'ancien secrétaire d'Etat à l'Intégration, le finistérien d'origine togolaise, Kofi Yamgnane, qui a quitté la politique en 2008, propose une réponse collective aux lettres anonymes reçues depuis son élection de maire de St Coulitz. Un livre qu'il présente à la Bibliothèque Vagabonde à Brest.
"J'ai 6 cartons de lettres, ça fait 30 ans que cela dure." Des courriers d'injures, d'insultes, le plus souvent anonymes. Voilà ce qui a atterrit dans la boîte aux lettres de Kofi Yamgnane après son élection comme maire de Saint-Coulitz dans le Finistère. C'était en 1989. Il était devenu sans le savoir, sans l'avoir rêvé, simplement poussé par les habitants de son village le premier maire noir issu de l'Afrique post-coloniale.
Bibliothèque vagabonde avec Kofi Kamgnane
Débarqué en 1964 du Togo à Brest pour y entrer en classe préparatoire aux grandes écoles d'ingénieurs, il ne s'attendait pas à un tel destin, considéré comme certains comme "un crime de lèse-majesté". "Je n'ai jamais pensé que cela pouvait être un crime, mais ceux qui m'ont écrit me l'ont dit, que je n'étais pas à ma place. "Sale nègre remonte dans tes arbres", "retourne chez toi, laisse la place à un vrai Breton pour devenir maire."
Ces missives, conservées dans son "musée des horreurs" l'ont choqué, l'ont aussi effrayé lorsque certaines formulaient des menaces à l'encontre de ses enfants. Kofi Yamgnane a alors même pensé renoncer, tout arrêter. Sa femme l'en a dissuadé: " Tu ne vas pas donner raison à ces gens-là alors que beaucoup de bretons t'écrivent pour te féliciter, pour se réjouir, tu ne peux pas faire ça. Rien que pour eux, tu ne peux pas faire ça."
La Bretagne est une région très singulière. Voilà des gens qui ont une culture, qui ont une terre, qui sont ancrés dans leur granit, qui sont voyageurs en même temps, marins, qui connaissent le monde et donc ils n'ont peur de personne et ça a beaucoup aidé à mon intégration.
Au fil de ses reponsabilités, de conseiller général, de député, et même de secrétaire d'Etat sous François Mitterrand, les envois se sont poursuivis. "Cela me dérange de recevoir un courrier et de ne pas pouvoir y répondre. Ces lettres étaient anonymes et je ne sais pas à qui m'adresser, je ne sais pas de qui elles viennent, d'où elles viennent, et donc je n'ai pas pu leur répondre."
Répondre pour faire réfléchir... voilà l'état d'esprit de Kofi Yamgnane. "Les courriers de félicitations, même les lettres d'injures signées, je leur ai répondu. J'engage le dialogue, je veux savoir qu'est ce qui peut bien justifier qu'un Français parce qu'il est blanc, né à Paris ou à Nic, peut se penser supérieur à des millions d'autres hommes, sous prétexte qu'ils ont la peau noire? J'aimerai bien en parler avec ces gens et je me suis dit un jour, je ferai une réponse collective."
Mais Kofi Yamgnane a hésité longtemps avant de coucher sur le papier cette fameuse réponse, craignant que ce soit inutile et que les concernés ne se donnent pas la peine de la lire. Un de ses amis l'a finalement convaincu.
L'écriture garde les preuves. Je suis issu d'une culture orale, les griots chez moi racontent les histoires et je suis persuadé que ça change au fur et à mesure du temps. Alors qu'écrire, ça reste.
"Mémoire d'outre-haine" (Locus-Solus) se présente sous la forme d'un conte en 52 veillées, croisement de la tradition orale africaine et de l'écrit occidental. Outre les fac-similés de lettres, d'enveloppes, les photos retraçant le parcours de l'homme politique, ces 52 chapitres abordent les thèmes du racisme, de l'immigration, de la décolonisation. Il y formule même un appel à la jeunesse africaine à prendre ses responsabilités, à s'engager... lui qui a essayé de retourner au Togo pour apporter son aide.
L'intégration est bien sûr également au coeur de l'ouvrage. Celui qui fut, sous François Mitterrand, secrétaire d'Etat à l'Intégration nous livre sa définition. "L'intégration: c'est situé à mi-chemin entre l'assimilation et l'exclusion. Les Français ne m'ont jamais demandé de m'assimiler, ils ne m'ont pas demandé de devenir blanc. Et cela a été d'autant plus facile que j'étais en Bretagne, que j'ai épousé une fille bretonne, une finistérienne. J'ai été baptisé, je sais servir la messe, et en Bretagne ça compte. Si j'avais été musulman, je suis persuadé que cela aurait été plus difficile. Je suis ingénieur diplômé d'une grande école, si j'avais été étripeur de poulets chez Doux, le n°1 du poulet, je suis sûr que cela aurait été différent."
A 75 ans, après 25 ans de vie politique et 13 ans après la fin de ses mandats, Kofi Yamgnane par ce témoignage continue d'apporter sa pierre à l'édifice du "vivre-ensemble", ce mot qui est son préféré dans la langue française. Avec toujours une conviction: "Ce qui m'est arrivé en Bretagne n'aurait jamais pu m'arriver ailleurs."
Le tiroir des jeunes lecteurs
La robe de Fatou, France Quatromme, Mercé Lopez (L'Ecole des Loisirs)
La morlaisienne d’adoption France Quatromme nous conte l’histoire d’une petit zèbrelle qui tout d’un coup réalise qu’elle est la seule à porter des rayures le jour où l’un de ses camarades de classe la traite de « cheval en pyjama ». La voilà qui tente de faire disparaître cette singularité qui la rend triste… Avec les illustrations de Mercè Lopez. C’est une édition de l’Ecole des loisirs.
La petite oie qui ne voulait pas marcher au pas, Jean-François Dumont (Flammarion Jeunesse)
Il est aussi question d’alterité dans cet album du rennais Jean-François Dumont. Zita se distingue sans le vouloir par ses bruits de palmes dans le défilé bien cadencé des oies qui descendent à la mare… Mais cette différence qui l’exclut en fera finalement la nouvelle leader de la ferme. Dessins splendides, humour et musique font de ce livre édité par Flammarion Jeunesse, un beau moment de lecture.
Akiro, Editions Art Terre
Coup de chapeau à l’album Akiro réalisé par les élèves de CM1-CM2 et l’unité pour autistes de l’école des Cloteaux de Rennes avec les éditions rennaises Art Terre. Ce livre qui aura nécessité plus de 6 mois d’ateliers, profitant des talents de chacun, est destiné aux enfants dyslexiques. Il vient de recevoir le prix Handilivre du meilleur livre adapté 2020. Une belle réussite !
Le tiroir du libraire
Sylvie Decouvelaere de la librairie « La petite marchande de prose » à Montfort-sur-Meu en Ille et Vilaine nous confie un de ses coups de cœur, L'attente du soir de Tatiana Arfel (Corti-Les Massicotés).
"Merveilleux roman qui raconte l'histoire de trois personnages, il y a un vieux monsieur, il y a un petit garçon, il y a une jeune femme. Ces trois personages sont extrêmement tourmentés, ils vivent une vie compliquée et ils vont se rencontrer. Si ce livre peut paraître très sombre, très noir, il se termine dans la lumière, il est magnifique. Je le conseille souvent, les gens reviennent en me demandant de lire un livre pareil mais il n'y en a qu'un comme ça, c'est celui-là." s'enthousiasme Sylvie Decouvelaere.
Le tiroir des Rendez-Vous
Une rubrique réalisée avec notre partenaire « Livre et lecture en Bretagne ».
Privé de son habituel rendez-vous de novembre, le festival costarmoricain de Lamballe dédié au polar, "Noir sur la Ville" organise « Noir en avril » avec des rencontres d’écrivains dans les établissements scolaires, les bibliothèques et les librairies, au cours des trois premiers week-end d’avril. A noter par exemple la présence du dernier invité de la Bibliothèque vagabonde, Caryl Férey. Programme détaillé en ligne bien sûr.
Le festival rennais Rue des Livres s’adapte aussi pendant ce mois de mars. Une 14ème édition qui permettra aux auteurs d’aller à la rencontre des établissements scolaires de la métropole mais aussi de suivre des émissions dédiées sur TVR le samedi soir jusqu’au 10 avril.
4ème de couverture
Dimitri Rouchon-Borie est costarmoricain, journaliste au Télégramme, habitué des salles d'audience. Une expérience qui nourrit son premier roman publié en janvier. C'est déjà un très grand succès d’édition… une révélation même. Son titre "Le Démon de la Colline aux loups" est publié aux Editions Le Tripode.
Livre fétiche
Kofi Yamgnane nous confie son livre de chevet: Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara (Points) de Amadou Hampâté Bâ. "Il y a toute la sagesse africaine dedans."
Kofi Yamgnane conclut d'ailleurs son livre avec une citation de Tierno Bokar. « Dans tout débat qui t’oppose à un autre, ne perds jamais de vue l’expression : j’ai MA vérité, toi tu as TA vérité, lui a SA vérité et qu’il y a LA vérité. »