Prévention du suicide. "Recevoir vos courriers tous les mois me fait du bien". Comment le réseau VigilanS maintient le lien pour éviter la récidive

La Bretagne est la région où le taux de suicides est le plus élevé en France avec, en moyenne, 690 décès chaque année. En 2022, 6.400 tentatives de suicide ont été recensées sur le territoire breton. Prévenir la récidive du geste suicidaire, c'est tout l'enjeu du dispositif VigilanS. Cette plateforme de veille combine plusieurs méthodes pour maintienir le lien avec les personnes à risque et en grande souffrance.

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À première vue, c'est un lieu de travail ordinaire. Avec son alignement d'ordinateurs, ses mugs à café posés sur les bureaux. Quand le regard fouille un peu plus la pièce, il accroche cette affiche épinglée sur un mur : "Nous pouvons veiller sur vous". Et lorsque l'on tend davantage l'oreille, on comprend que les appels téléphoniques donnés et reçus ici tournent autour d'un seul sujet : le suicide.

Lancé il y a 9 ans, le dispositif VigilanS prend en charge les personnes ayant tenté de se suicider. En Bretagne, la plateforme est installée à Brest depuis 2016 et rattachée au centre hospitalier universitaire. Elle combine plusieurs méthodes pour mener sa mission de prévention de la récidive. À commencer par le téléphone au bout duquel se trouve une infirmière formée à l'écoute et à la gestion de la crise suicidaire.

Il faut un peu de bouteille pour savoir prendre du recul et ne rien ramener chez soi

Marine

Infirmière du réseau VigilanS Bretagne

Ludivine, qui a rejoint le service en 2022 après avoir travaillé en réanimation, pose le micro-casque sur son bureau. Elle prend quelques minutes pour elle. L'infirmière vient d'avoir une longue conversation avec une femme qui sort de l'hôpital, suite à sa tentative de suicide. "Elle a intégré notre dispositif récemment, relate-t-elle. Elle avait besoin de parler, de déverser, avant d'être en mesure d'entendre ce que nous pouvons lui proposer".

Garder la bonne distance n'est pas toujours simple. Les six infirmiers de VigilanS Bretagne sont parfois confrontés à des histoires douloureuses où, derrière le geste suicidaire, émergent d'autres récits : violences intrafamiliales, viols, incestes... "Je n'aurais pas pu faire ce que je fais ici en début de carrière, reconnaît Marine, infirmière de psychiatrie depuis 2006. Il faut un peu de bouteille pour savoir prendre du recul et ne rien ramener chez soi".

Ces soignants bénéficient d'une supervision psychologique une fois par trimestre. Mais surtout, ils s'épaulent les uns les autres. "On forme une équipe soudée, sourit Marine. On se parle, on échange". "Quand il y a une situation compliquée, on s'appuie les uns sur les autres, abonde Ludivine. Même si on est au téléphone avec un patient, on reste attentif à ce qui se passe avec les collègues".

Premier contact

VigilanS est l'un des maillons de la chaîne de soins et agit en étroite collaboration avec les centres hospitaliers et les établissements psychiatriques bretons, le secteur médico-social et associatif, les médecins traitants. "Nous ne faisons pas de thérapie en ligne" prévient le professeur Sofiane Berrouiguet.

Le psychiatre du CHU de Brest supervise le dispositif de veille, lequel, explique-t-il, "est là pour coordonner les soins et s'assurer que les patients bénéficient ensuite d'un suivi en présentiel avec un médecin généraliste ou un psychiatre. Notre intervention est confidentielle mais pas anonyme puisque leurs coordonnées nous sont transmises après leur hospitalisation". De même le numéro de téléphone de VigilanS leur est-il donné avant qu'ils ne quittent l'hôpital, un numéro vert gratuit accessible du lundi au vendredi de 9h à 18h. 

Rien n'est contraint. Ni obligatoire. Les personnes hospitalisées pour une tentative de suicide font la démarche si elles le souhaitent. En revanche, les équipes de VigilanS, elles, opèrent systématiquement un premier contact 10 jours après la crise suicidaire.

"Merci pour vos lettres"

La carte postale est un autre outil utilisé par le dispositif de veille pour maintenir le lien. "Cela peut paraître désuet mais c'est une méthode qui est éprouvée depuis les années 70" indique Sofiane Berrouiguet. Chaque carte est personnalisée et écrite à la main par les infirmiers, à raison d'un envoi par mois pendant 4 mois.

Il arrive que ces derniers soient eux-mêmes destinataires de petits mots en retour, comme celui-ci à l'encre bleue sur papier rose : "Merci pour vos lettres. Ça me touche beaucoup. Recevoir vos courriers tous les mois me fait du bien".

"Le réseau VigilanS a montré son efficacité depuis sa création, souligne le professeur Michel Walter, chef du Pôle psychiatrie au CHU de Brest. Nous avons les premières évaluations qui permettent d'observer une baisse de 38 % du risque de réitération dans les 12 mois suivant la tentative de suicide. Ce qui est énorme".

690 Bretons se suicident chaque année

La Bretagne reste le territoire français le plus touché par le suicide, selon les derniers chiffres publiés par l'Observatoire régional de la Santé. 690 Bretons et Bretonnes se suicident chaque année, dont une majorité d'hommes. Chez les 15-34 ans, 1 décès sur 4 est du à un suicide. En 2022, 6.400 séjours hospitaliers en lien avec une tentative de suicide ont été recensés.

La prévention repose sur une chose : témoigner à la personne que l'on se soucie d'elle

Professeur Michel Walter

Chef du Pôle psychiatrie au CHU de Brest

Repérer le risque, voilà tout l'enjeu. "Pour éviter qu'il n'y ait un premier geste suicidaire, explique Michel Walter. La prévention repose sur une chose : témoigner à la personne que l'on se soucie d'elle. La majorité des gens qui font une tentative de suicide ont été en contact avec le système de soins dans la semaine ou le mois précédant leur geste".

Il rappelle que le nombre de décès par suicide en France a néanmoins baissé en trente ans : de 13.000 par an dans les années 90, il avoisine désormais les 9.000. "Preuve que la stratégie nationale de prévention joue son rôle, assure-t-il. Le maintien du contact, comme le fait VigilanS, la prévention de la contagion suicidaire, la formation des professionnels de santé pour mieux repérer et intervenir, la mise en place du numéro national 3114 et l'information du grand public sont les axes majeurs de cette stratégie". 

Le chef du Pôle psychiatrie du CHU de Brest dit également qu'il faut "déconstruire un certain nombre de mythes autour du suicide comme, par exemple, affirmer que se suicider, c'est un choix. C'est plutôt un non-choix, affirme-t-il. La douleur est devenue si insupportable que la tentative de suicide est la seule solution qui se présente pour arrêter de souffrir". 

75 % des récidives interviennent dans les six mois suivant la tentative de suicide. "Une période fragile", ainsi que le mentionne le réseau VigilanS dont la veille s'étend justement sur six mois, "mais peut être reconduite si besoin" précise Sofiane Berrouiguet.

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