Après l’émoi causé par le suicide de Lindsay, le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye a annoncé qu’une heure de prévention contre le harcèlement scolaire serait proposée dans les établissements cette semaine. Une déclaration qui fait grincer des dents enseignants et associations de lutte contre le harcèlement qui jugent cette heure très insuffisante quand, selon les derniers chiffres fournis par la Haute autorité de Santé, 26 adolescents se sont donné la mort à cause du harcèlement.
Sur son tee-shirt, Sandrine Fallais a fait imprimer une photo de son fils, Christopher. Le jeune adolescent de 16 ans affiche un grand sourire. "Je crois que c’était le jour de la fête des grands-mères où quelque chose comme ça" confie sa maman. C’était quelques semaines avant le drame.
Le 17 avril 2017, Christopher s’est pendu chez lui. Pendant ses quatre années de collège, le jeune garçon a été harcelé. "On le traitait de gros, de pédé, on le bousculait." Quelques jours après son décès, en ouvrant son ordinateur, sa mère a découvert le flot d’injures qui lui étaient adressées sur les réseaux sociaux.
"Ciao, vous ne me verrez plus ! "
Pendant toutes ces années, le jeune homme n’a rien dit. "Il avait sans doute peur de nous faire du mal, regrette sa maman. Mais il n’en pouvait plus. Quelques heures avant son décès, il a fait une vidéo dans laquelle il s’adresse "à tous ceux qui m’ont fait du mal, Ciao ! Vous ne me verrez plus ! ""
Avec une autre maman, Sandrine Fallais a fondé l’association Marcelment. Une page Facebook, un compte Instagram pour donner des conseils aux parents et aux enfants qui vivent le harcèlement.
Selon l’UNICEF, en France, en 2018, sur douze millions d’élèves, 700.000 élèves ont été victimes de harcèlement scolaire, soit un enfant sur trois. Un adolescent harcelé sur quatre dit avoir pensé au suicide.
A chaque nouveau décès, on a l’impression de revivre le calvaire de Christopher. Mon cœur de maman saigne, car c’est toujours la même histoire, toujours le même processus.
Sandrine FallaisCo-présidente Marcelment
"A chaque nouveau décès, on a l’impression de revivre le calvaire de Christopher, confie Sandrine. Mon cœur de maman saigne, car c’est toujours la même histoire, toujours le même processus.
Lindsay, 13 ans, s’est donnée la mort le 12 mai à Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais. Le 29 avril, Thibault, 10 ans, s’est pendu à son domicile à Saint-Bonnet-le-Château dans la Loire.
Parfois, Sandrine laisse éclater sa colère. "La famille de Lindsay a été reçue à l’Elysée, on leur a dit, "on va être là, on va vous aider". Mais toutes les familles ont entendu exactement les mêmes mots et puis, dès qu’on sort de la pièce, plus rien, plus rien !"
Une heure de sensibilisation
Face à l’émoi suscité par la mort de Lindsay, le ministre de l’éducation poste un message sur Twitter. "Il envoie ça entre l’entrée et le plat de résistance, c’est honteux. On parle de jeunes qui ont mis fin à leurs jours. On n’en peut plus. Cela fait six ans qu’on se bat. Et qu’est-ce qu’il y a de plus ? Plus de jeunes qui se sont donné la mort."
Cette heure de prévention contre le harcèlement, Sandrine Fallais n’y croit pas. "C’est une fausse réponse, de la poudre aux yeux. Les enseignants ne peuvent pas organiser ça en deux jours, c’est un sujet grave qu’on doit prendre au sérieux !"
La plupart des enseignants et des directeurs d’établissements scolaires partagent son point de vue. "Une heure de sensibilisation au harcèlement en juin, c’est une réponse médiatique, déplore Matthieu Mahéo, secrétaire académique du SNES-FSU Bretagne. Nous n’avons pas attendu les demandes du ministre pour travailler sur le harcèlement scolaire, c'est même méprisant parce que c’est ce que nous faisons tout au long de l'année."
"Il y a une vigilance des enseignants pour repérer les situations de harcèlement, détaille le professeur. Nous dialoguons avec les élèves, leurs familles, en prenant appui sur les psychologues, les infirmières pour éviter que des situations s’enkystent et qu'on en arrive à des situations dramatiques. Mais c’est un travail à long terme. Ce n’est pas une heure qui est décidée comme ça par le ministre, le week-end, qui permet de travailler sur cette question."
Le Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale a fait savoir qu’il ne participerait pas à la réunion prévue ce 13 juin avec le ministre. "Dans les collèges, nous sommes en pleine période de préparation des examens du Brevet des collèges, nous ne pouvons pas improviser une heure de prévention en claquant des doigts."
La responsablilité des réseaux sociaux
"Cette heure de prévention, c’est un coup de projecteur" se félicite de son côté le député Finistérien Erwan Balanant. En mars 2022, il a fait adopter une loi sur le harcèlement scolaire.
LIRE : Le harcèlement scolaire devient un délit. La loi "Balanant" votée au Parlement
"Avant un amendement que j'avais porté en 2019, rappelle-t-il, le harcèlement scolaire n'existait dans aucun de nos codes, dire ni dans le code de l'éducation, ni dans le code pénal. "
Aujourd’hui, le harcèlement est devenu un délit pénal punissable de 3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende. Le député souhaite que les mesures prévues par la loi s’appliquent, c'est-à-dire, "des plans de prévention, des plans d'accompagnement et une vigilance de la société permanente sur les cas de harcèlement scolaire et de cyber-harcèlement."
Quand vous confiez à votre à votre enfant un téléphone portable, vous lui confiez un super outil de communication mais vous lui confiez aussi une arme
Erwan BalanantDéputé du Finistère
L'élu l’a constaté : "Les réseaux sociaux sont une sorte de facteur multiplicateur du harcèlement scolaire". Il propose donc la création d’une "campagne de sensibilisation et de promotion des bonnes pratiques" avec les téléphones à l'attention des parents. "Quand vous confiez à votre à votre enfant un téléphone portable vous lui confiez un super outil de communication, un bel outil aussi pour faire un le nombre d'apprentissages mais vous lui confiez également une arme, observe Erwan Balanant. Il faut que les parents sensibilisent leurs enfants aux bonnes conduites sur les réseaux sociaux."
"Il faut que les choses bougent" insiste Sandrine Fallais en citant les prénoms des enfants : Christopher, Lindsay, Thibault, Lucas, Celia… "Si la justice et l’école avaient agi après les premiers suicides, tous ces jeunes qui se sont donné la mort seraient encore parmi nous, j’en suis convaincue, termine Sandrine Fallais. Il faut agir pour que plus un jeune ne mette fin à ses jours."