Cela vous est forcément arrivé. La dame qui vous demande la route de Lesnevaine ? Et vous avez eu, c’est selon, un petit sourire amusé ou une légère grimace. Il faut avouer qu’il est aussi facile de prononcer les noms des communes bretonnes que d’étaler sa première crêpe sur une billig. Y a-t-il une solution pour ne pas passer pour un touriste ?
Dans leur camping-car, Sylviane et Christian entendent la pluie jouer des claquettes sur le toit, mais ils ont le sourire jusqu’aux oreilles. La Bretagne, ils adorent. Christian en a presque les larmes aux yeux.
Et puisque le soleil fait une petite pause, ils ont le temps pour jouer. "Pont-Avenne" lisent-ils en chœur sur le petit carton avec le nom de la commune. "Erdevenne ???" Sylviane met douze points d’interrogation à la fin de son essai. "Moi, j’aurais dit Erdevin" tente Christian.
Les deux amoureux se prêtent à l’exercice en riant. "On sait bien que c’est compliqué. A côté de Lannion, il y a une commune qui se nomme Ploulec’h. Au début, on a dit, Ploulèche, puis Ploulek. Non, c’est Ploulère. Pourtant, on dit Ploumanak " fait remarquer Christian.
"En fait, ce sont les gens qui habitent dans les communes ou dans les villes qui savent comment prononcer" résume Sylviane.
"La règle, c’est qu’il n’y a pas de règle !"
En Bretagne, on dit Trébeurden (un) et Erdeven (enne), Crach (Crak) et Penmarch (pinmar), on parle de Daoulas (as) mais Saint-Gildas(a) De quoi vous faire perdre le goût du beurre salé. Et ni la proximité de la mer, ni le nom des rivières n’expliquent ces bizarreries.
Au pays des légendes, on raconte des tas d’histoires merveilleuses sur la prononciation des noms de lieu bretons. Il se murmure que les communes situées sur la côte se prononcent en Enne tandis que celles de l’intérieur se finissent en Un. "Mais Trébeurden, c’est où ? " demande un rien taquin, Hervé Lossec.
L’auteur des Bretonnismes a les yeux qui pétillent quand il évoque les pièges dans lesquels on se prend les botoù koat (sabots de bois).
Certains expliquent aussi que, si la rivière qui traverse la commune se verse dans l’Atlantique, on dit Enne, mais si elle se jette dans la Manche, ce sera Un. "Que nenni" sourit encore l’écrivain. "Il n’y a pas de règle et il y a tellement d'exceptions que si on en trouvait une, elle ne fonctionnerait pas !"
Les noms de lieux à la sauce "bleu-blanc-rouge"
"La seule explication plausible à ces différences de prononciation vient de l’histoire. Vers le XVIIIe et le XIXe siècle, les noms des villes importantes ont été francisés, explique Hervé Lossec. Dans les villes, comme Lesneven qui était une ville importante avant la Révolution, il y avait pas mal de bourgeoisie, on y rendait la justice, le nom a été rapidement francisé."
C’était mieux d’avoir des choses qui sonnent plutôt français que breton !
Hervé LossecAuteur des Bretonnismes
"À l’époque, cela faisait chic de parler français, continue-t-il, et puis, il fallait absolument faire l’unité nationale. C’était mieux d’avoir des choses qui sonnent plutôt français que breton !"
Les noms des villes importantes ont donc été passés à la moulinette du français, quand les petits bourgs gardaient chapeaux ronds et authenticité. C’est ainsi que l’on dit Rostrenen (un) et Kernascléden (enne).
Et cela vaut aussi pour les lettres finales. Les S que l’on entend dans les noms bretons et qui deviennent muets quand ils ont été francisés. Ou les c’h, les ac’h (ar), "qui raclent un peu la gorge" comme les aime Hervé Lossec, qui se transforment en ak quand on a voulu faire moins couleur locale.
Des Plou et des Ker
"Mais avec ses modifications de prononciation, constate Yann-Bêr Kemener, auteur du Guide des noms de lieux bretons, on perd petit à petit le sens des noms de lieu."
La plupart de ces noms ont une histoire, vieille de plusieurs siècles. "Les noms en Plou, en Ker ou en Lann datent du VIe siècle, quand des Bretons sont arrivés d’Outre-Manche en Armorique" raconte-t-il.
Jusqu’au Xe siècle, les Bretons composent des noms à partir de plusieurs préfixes.
Les premières paroisses primitives étaient en Plou, en Pleu ou en Pla, comme Plouedern, Plouegat, Plougasnou, mais aussi Plabennec, Plogoff. "Il y en a une quantité incroyable" souligne Yann-Bêr Kemener.
Le centre de la paroisse, c’était plutôt des Gwic, (de Vicus en latin). Cela a donné des Guimaëc, des Guipavas, Guiclan, Guissény et cætera.
Ils ont aussi créé des noms à partir de Lann, en breton, cela désigne les landes, les landes d’ermite ou les lieux consacrés, qui sont devenus des Landeda ou des Landevennec.
Après le Xe siècle, les Lann ont été remplacés par des Log, (Loctudy ou des Loguivy). Il y avait aussi des trèves, des tré, des Tréb, (tribus en latin), des quartiers de la paroisse primitive, Trebabu, Treglonou, Tregarvan.
Enfin, de nombreux noms ont été composés à partir de Ker, de caer, forteresse, qui étaient les bourgs fortifiés. Kerfeunten, Kerlaz, Kergloff. Les ker étaient parfois suivis de noms de personnes de personnages, ou de descriptions, Kerbraz, (la grande forteresse).
Les Lez, (cour seigneuriale) ont servi de préfixe pour Lesneven, et les Bod (résidence, demeure) ont vu apparaître Botmeur ou Botshorel.
"Mélanger français et breton, ça fait du charabia ! "
"Tous ces noms de lieux nous racontent donc une histoire, celle de nos ancêtres" explique Yann-Bêr Kemener. Quand on a francisé certains noms, on a oublié tout cela, mélangé breton et français et fait une fricassée à la sauce armoricaine, pas toujours de bon goût !
"Prononcer du breton en parlant français, ça ne marche pas, constate-t-il. Parce qu’en fait, il y a deux langues différentes. Il faut utiliser le breton avec sa grammaire, son orthographe et tout ce qui lui est propre et le français, c’est autre chose à côté. Ce ne sont pas deux langues qui peuvent se mélanger. Et quelques fois, quand on retrouve des noms de lieux avec un Le devant un nom pluriel, c’est inimaginable. Par exemple, on ne peut pas mettre le Ponthou, parce que 'le', c’est singulier, Ponthou, c’est pluriel. C’est pareil pour le Launay, 'le' est masculin, Launay est féminin. Donc il est difficile de mélanger deux langues, ça fait un peu un charabia !"
Tête de breton !
Mais en de rares occasions, le Breton sait se montrer têtu. Et ce qui est écrit sur une carte ou panneau est quelques fois loin d’être gravé dans le granit.
Malgré la pluie battante, Hervé Lossec contemple le panneau du Folgoët, hilare. Le Folgoët a été francisé avec un E. "Mais personne ne dit Le Folgoët, raille-t-il. Enfin tout le monde… sauf un parisien qui se serait perdu ! Ici, on parle tous du Folgoat, avec un A, à la bretonne. Transformer Le Folgoat en Le Folgoët, il faut être tordu un peu quand même, ça ne sert pas à grand-chose. On aurait pu le garder Le Folgoat ! Mais c’est bien, conclut-il, cela veut dire que ce sont vraiment les gens qui décident de la prononciation."
Et puisqu'il n'existe pas de solution pour apprendre la prononciation, il ne reste plus, comme Christian et Sylviane, qu'à apprendre la Bretagne par cœur... Ils ont déjà commencé.