Gravée sur pellicule photo ou film, la mémoire bretonne se raconte en images au fil des décennies, grâce aux travaux de professionnels ou de particuliers. Collectée et inventoriée, cette matière nous offre aujourd'hui un regard saisissant sur la Bretagne d'autrefois. Musées, instituts et associations régionales offrent ainsi au grand public l'accès à des fonds d'images qu'ils ont constitués pour conserver ces témoignages intacts.
En 2023, un galeriste propose au musée de Bretagne un ensemble de photographies liées à l'affaire Dreyfus. Plusieurs millions d'euros ont été nécessaires pour cette acquisition. Une cagnotte a été lancée pour permettre ainsi d'enrichir la collection du fonds photographique. Mais comment passer à côté d'une photo représentant le départ du capitaine de l'Ile du Diable en Guyane pour rejoindre port Haliguen, sur la presqu’île de Quiberon en 1899, année durant laquelle se déroulera à Rennes son procès en révision ?
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Les studios de photographes à la source
Car c'est la grande et la petite histoire de notre région qui se dessinent au travers un fonds riche de 110 000 tirages photos anciennes et de 500 000 négatifs sur verre et sur film souple. Une aventure qui débute au milieu du XIXè siècle quand le musée des beaux-arts, avant la création du musée de Bretagne, décide de créer un inventaire protégeant de toute destruction ou de mise en vente les photos inscrites. Le daguerréotype puis la photographie vont enrichir régulièrement les collections, pour offrir un reflet de la Bretagne.
" Ce ne sont pas des œuvres artistiques. Elles proviennent uniquement de studios de photographes avec pignon sur rue ou parfois de photographes amateurs ", précise Laurence Prod'homme, conservatrice en chef du patrimoine.
C'est la vie de tous les jours, du quotidien aux événements sociaux ou familiaux qui défilent. Mariage, baptême, communion, voire photo d'un défunt sur son lit de mort.
Laurence Prod'hommeConservatrice en chef du patrimoine Musée de Bretagne
Portraits et photos de vieux métiers abondent. Les monuments, églises, châteaux sont immortalisés. Immortalisée aussi l'arrivée du train qui fera l'objet de reportages photographiques sur la construction des ponts, des viaducs, des voies ferrées.
Très cher, très ancien : les records
Au palmarès du fonds, il faut souligner un tirage photo de l'arsenal de Brest signé du prestigieux Gustave Le Gray. Un achat de 40 000 euros. Et pour la plus ancienne, il s'agit d'un daguerréotype de 1842, un document unique représentant le château de l'écrivain Chateaubriand à Combourg, acheté 16 500 euros.
Mais toutes les photos ont leur propre valeur. Reportages photographiques avec une portée sociologique ou humaniste, du noir et blanc à la couleur, traversant la seconde guerre mondiale jusqu'à nos jours : autant de moments immortalisés.
Pour la première fois, des images numériques ont rejoint les collections, pour garder la trace de la période du confinement.
Fabienne Martin-AdamResponsable Inventaire et documentation des collections Musée de Bretagne,pôle Conservation
"Notre fonds est mis en ligne gratuitement, avec des photos libres de droit sur le site "collections-musée de Bretagne" précise la responsable de l'inventaire.
Quand l'audiovisuel immortalise l'époque
75 ans de télévision, 65 ans de radio, et aujourd'hui le web média, c'est le trésor de l'Institut National de l'Audiovisuel,héritier en 1975 des archives de l’ORTF. L'INA conserve les émissions de télévision produites par les chaînes publiques depuis l'après Seconde Guerre mondiale. À ce fonds historique s'ajoute aujourd'hui la captation en continu du dépôt légal de la radiotélévision de plus de 100 chaînes. 24 heures/24 et 7 jours/7, un flux dématérialisé transite par satellite pour être visionné, indexé et archivé par 200 documentalistes. C'est toute la mémoire contemporaine et sur plusieurs décennies, enregistrée sur les ondes, qui alimentent les stocks de l'INA, au siège de Brie-sur-Marne en région parisienne. Cette mission est régionalisée grâce à huit délégations, dont celle de l'INA Loire-Bretagne.
Un média patrimonial
Dans le fonds INA, 25 millions d'heures d'archives, déjà indexées ou en attente : une mine d'or pour les chercheurs, étudiants, réalisateurs ou documentalistes.
On est un reflet de la télévision française . On garantit la sauvegarde du patrimoine audiovisuel . C'est une mission qui, en tant qu'institut public, nous est dévolue par l'Etat.
Christelle MolinaDéléguée régionale - INA Loire Bretagne
Le grand public n'est pas oublié. Le site l'Ouest en Mémoire propose une médiathèque thématique et chronologique, d'émissions en français ou en breton. Mouvements sociaux, culturels, Bretagne industrielle ou des campagnes, au temps de la guerre : les images muettes ou commentées sont les témoins d'une région en évolution. Quelques exemples avec les fonds consacrés à l'affaire Seznec, à la bataille de Plogoff ou encore à la révolte des Penn Sardines.
La collection "Rembob'INA", diffusée sur la Chaîne Parlementaire LCP, le site web INAttendu, magazine de l'INA et de FranceInfo, avec un regard mettant en parallèle archives et actualité du moment mais aussi l'émission "ADN" diffusée sur internet et donnant la parole à des personnalités ou "l'INA éclaire l'actu ", offrent au public des pépites de l'histoire audiovisuelle.
"La délégation régionale de l'INA", rajoute Christelle Molina, "offre aussi sa contribution aux institutions bretonnes, avec la mise en scénographie de certaines expositions du Musée de Bretagne ou le festival du film britannique de Dinard avec la diffusion de films ( un produit consacré à Jane Birkin cette année)."
La cinémathèque de Bretagne
Plus de 10 000 films en accès libre sur le site de la Cinémathèque de Bretagne. Dans ce fonds de collecte, pas d'images télévisées. Ce sont les films amateurs et les films professionnels, riches d'images tournées en Bretagne ou par des Bretons, qui depuis près de 40 ans, font l'objet d'archivage d'une mémoire collective par l'image. Films argentiques, sur pellicules, ou sur support magnétique, ils sont tous témoins d'une époque. Plus ancien fleuron de la cinémathèque : un film de 1910, intitulé " Au pays des pêcheurs", montrant une femme de marin attendant le retour de son mari.
Entre les années 50 et la fin des années 70, en marge des films tournés dans le cercle familial, les caméra-clubs et les cinéastes amateurs vont produire de nombreuses œuvres.
Des films militants
C'est l'âge d'or d'un cinéma engagé. Militants et défenseurs de l'éducation populaire inscrivent sur pellicule les grèves du "Joint français" ou encore la bataille contre l'installation d'une centrale nucléaire à Plogoff, dans la Baie d'Audierne. Cette dernière sera immortalisée par le film documentaire "des pierres contre des fusils" de Félix et Nicole Le Garrec.
"Tout l'intérêt de ces films est de constituer un patrimoine sur l'identité de la société bretonne" souligne Gaïd Pitrou, directrice de la Cinémathèque de Bretagne.
C'est une mémoire "hors du champ" de la télévision. Une collecte inédite car initialement, personne n'avait vocation à conserver ces productions.
Gaïd PitrouDirectrice Cinémathèque de Bretagne
Films muets, en noir et blanc ou en couleurs, tous les documents amateurs, eux, montrent une société bretonne filmée dans l'intimité. Ces instantanés de moments familiaux ou de fêtes collectives offrent à notre regard contemporain, des témoignages sur l'évolution d'un monde aujourd’hui disparu. "Ce sont des documents qui intéressent beaucoup les chercheurs et les cinéastes, pour la production de leurs propres réalisations. Certains documentaires sont parfois entièrement réalisés en utilisant ces archives. Ces images peuvent être aussi très inspirantes pour des fictions. On peut y redécouvrir les gestes des métiers d'autrefois, l'évolution du littoral, y trouver des sources de décors." C'est une mémoire "hors du champ" de la télévision, une collecte inédite car initialement, personne n'avait vocation à conserver ces productions.
C'est extraordinaire, c'est comme une résurrection.
Gaïd PitrouDirectrice Cinémathèque de Bretagne
Les corps bougent, même si les images sont muettes, on se retrouve liés aux personnes filmées, qu'on a parfois connues. On s'installe dans les maisons, on retrouve un visage ou une parole d'autrefois, loin de la détérioration du temps.
Anjela Duval - Cinémathèque de Bretagne from CinémathèqueDeBretagne on Vimeo.Portrait de la poétesse Anjela Duval-Cinémathèque de Bretagne
Le tour du monde des Bretons
Ces films venant de toute la Bretagne historique ne se limitent pas au territoire régional. Car dans les images amateurs, on retrouve aussi les voyages à l'étranger. À bord d'un bateau de la marine Nationale de Brest, lors de vacances, c'est aussi le monde en évolution qu'on retrouve encore dans les archives de la cinémathèque. Ces fonds eux aussi voyagent. La cinémathèque organise des "rencontres mémoires" en local et des ciné-concerts. L'organisme détient par ailleurs la plus grande collection d'appareils de cinéma amateur, caméra, projecteurs ou visionneuses, qui constituent là aussi un patrimoine.