Ce 15 janvier 2024, cela fera 20 ans que le Bugaled Breizh a sombré au sud du Cap Lizard emportant avec lui ses cinq hommes d’équipage. Yves Gloaguen, Patrick Gloaguen, Georges Lemetayer, Eric Guillamet et Pascal Le Floc’h. 20 ans que leurs proches se demandent comment un chalutier de 24 mètres avec des marins aguerris à son bord a pu couler en quelques secondes. Les 12, 13, 14 et 15 janvier, quatre journées du souvenir sont organisées à Pont-l’Abbé et Loctudy en mémoire des marins du Bugaled et de tous ceux qui ont péri en mer.
"Viens vite, on chavire. Viens vite ! ". Ce 15 janvier 2004, à 12h25, heure anglaise, l’Eridan est en pêche quand, dans la VHF, un cri s’élance. " Viens vite, on chavire. Viens vite ! " Puis plus rien. C’est la voix d’Yves Gloaguen, patron du Bugaled Breizh. Serge Cossec et lui se connaissent bien. Ils viennent tous deux de Loctudy. Le capitaine de l’Eridan met aussitôt le cap sur la position du chalutier, mais, 40 minutes plus tard, en arrivant sur zone, il n’y a plus rien. Quelques bulles d’air qui remontent à la surface et une tache de gasoil qui s’élargit sur les flots.
L’Eridan et les secours britanniques fouillent les vagues pour essayer de retrouver les marins du Bugaled. Le corps d’Yves Gloaguen et celui de Pascal Le Floc’h sont repêchés, mais le navire et les trois autres hommes à bord ont disparu.
Un bateau qui sombre en 37 secondes ?
À Loctudy, le téléphone sonne chez Michel Douce, l’armateur et propriétaire du bateau. Il est en arrêt maladie, sans cela, il aurait été à bord.
Dans les ports bretons, la nouvelle du drame suscite d’abord une immense tristesse et très vite, les questions surgissent. Comment un chalutier de 24 mètres avec un équipage sérieux, qui connaît la zone, a pu couler comme cela ? En 37 secondes ?
Les jours précédents, le Bugaled Breizh s’était mis à l’abri dans le petit port de Newlyn, mais ce 15 janvier, avec des creux de 3 à 4 mètres, la mer est belle pour un début janvier.
Quelques heures après le naufrage, un communiqué de la Préfecture maritime a prévenu qu’un exercice militaire de l’OTAN, baptisé ASWEX 04 devait se dérouler en Manche le 16 janvier. Il y avait donc du monde sur et sous les flots. Notamment des sous-marins.
Le 17 janvier, des petits robots sont envoyés par 87 mètres de fond pour filmer l’épave. Les images qu’ils ramènent provoquent la stupeur. La coque du Bugaled Breizh est enfoncée !
Dans une conférence de presse, le procureur de la République de Quimper, Roland Esch évoque un choc avec un autre navire. "Un cargo voyou", qui aurait heurté le Bugaled et pris la fuite, au mépris de toutes les règles de mer qui veulent qu’un marin porte secours à un autre marin.
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Sur la piste du "cargo voyou"
Des recherches sont lancées pour trouver les navires qui sont passés à proximité du Cap Lizard ce 15 janvier 2004. Et les soupçons pèsent sur un navire philippin, le Seattle Trader. Des traces d’impact suspectes ont été repérées sur sa coque.
Le bateau est retrouvé en Chine et des prélèvements sont effectués. Mais les résultats des analyses sont formels, la peinture retrouvée sur le cargo n’est pas celle du Bugaled Breizh.
Pour les familles des marins, ce n’est que la première d’une longue série de désillusions.
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L'hypothèse d'un sous-marin ?
Le 9 juillet, six mois après le naufrage, le Bugaled Breizh est renfloué et ramené à Brest sur une barge.
Et là, deuxième choc ! La coque est enfoncée des deux côtés. Ce n’est donc pas un éperonnage. Le bateau a coulé si vite que sa cale à poissons aurait implosé sous la pression de l’eau.
Des experts sont mandatés pour étudier le navire. Mais les rapports des différents organismes divergent en tout point.
Pour l’Ifremer, seule une "Force exogène" a pu attirer le chalutier par le fond. Une force qui vient de l’extérieur ? Pour les pêcheurs, cela ne fait aucun doute depuis le départ : un sous-marin en exercice a entraîné un des câbles qui retenait le filet du Bugaled et l’a coulé.
Une croche molle ?
Mais le BEA Mer (le Bureau enquête et analyse) ne croit pas du tout à l’hypothèse. Pour lui, le Bugaled a croché dans un banc de sable et c’est la vase qui l’a entrainé au fond.
À l’annonce de cette explication, les proches des marins laissent éclater leur colère. "Une croche molle, dans du sable ? On n’a jamais vu ça !"
Quelques jours plus tard, un millier de personnes se rassemblent devant le tribunal de Quimper. Les juges d’instruction décident de poursuivre les investigations sur la piste des sous-marins. Mais lequel ? Le Dolfin, un bâtiment hollandais est le premier sur la liste des suspects. Au moment du naufrage, il était le premier sur zone. La marine de son pays fournit les trajectoires du submersible et le met ainsi hors de cause.
Accident de mer ?
Les regards se tournent alors vers le Turbulent. Un sous-marin anglais. Son capitaine assure que le 15 janvier, il était à quai avant le début de l’exercice Aswex. Mais le 16, il est de retour au port pour une réparation. Une réparation ? Que s’est-il passé ? La justice française peine à obtenir des réponses.
Et puis, certains suggèrent qu’un autre bâtiment se trouvait peut-être dans le secteur. Un sous-marin américain qui surveillait le transport de matières radioactives.
Des pistes s’ouvrent, se referment. La justice se heurte au secret défense. Parquet, juges d'instructions chacun défend sa thèse, mais aucune ne s'impose comme vérité. En mai 2015, la Cour d’appel de Rennes rend un non-lieu, confirmé en 2016 par la Cour de cassation.
De l’autre côté de la Manche, la justice britannique conclut elle aussi à un accident de mer en novembre 2021.
En avril dernier, l’épave du Bugaled Breizh a été démantelée sur le port de Brest. Elle ne pourra plus rien révéler de ce qui s’est passé ce 15 janvier 2004 et le mystère demeure.
Mais quelque part, les proches des 5 marins du Bugaled en sont persuadés, il y a des gens qui savent.
À chaque rassemblement, chaque manifestation, les familles font la même prière : "J’en appelle à ces gens-là, qui sont pères de familles, qui seront peut-être grands-pères un jour. Qu’ils se regardent une bonne fois dans la glace et qu’ils disent, ben oui, je vais dire ce que je sais", implorait Michel Douce, l'armateur devant la Cour d'appel de Rennes avant d'ajouter, "Yves, Patrick, Georges, Eric, Pascal, on ne vous oublie pas !"