Alors que les liaisons maritimes s'effectuent au compte-goutte, les îliens nous racontent leur quotidien. Confiné dans sa maison-atelier face à la mer, l’artiste Didier-Marie Le Bihan met à profit ce temps suspendu pour avancer dans son travail.
"J’ai la chance de pouvoir continuer à travailler, ce qui n’est pas le cas de tout le monde", annonce d’emblée Didier-Marie Le Bihan. Le travail comme planche de salut, plutôt inattendu dans la bouche du peintre.
"Un homard, un bar puis des maquereaux à l’huile"
D’habitude, il livre ses toiles avec parcimonie. "Cette fois, j’aurai peut-être de l’avance sur mes commandes" ajoute-t-il avec malice, devant un homard grand format de plus d’un mètre, à l’acrylique.
Quand il en aura fini avec le crustacé, l’artiste passera à la peinture à l’huile pour dessiner quelques maquereaux. Il croquera ensuite un bar d’après un spécimen pêché par son fils, Yann, 21 ans, élève au lycée maritime du Guilvinec.
Confiné depuis la fermeture de son établissement, le vendredi 13 mars, le jeune homme travaille ses cours grâce à internet. «Yann devait passer son examen de Capitaine 200 pour exercer le métier de patron-pêcheur mais pour l’instant, on ne sait pas s’il aura lieu comme prévu. En attendant, il bricole son matériel de pêche devant la maison, "pour passer le temps."
Quand il n’est pas dans son atelier, Didier-Marie poursuit le chantier qui jouxte son café-atelier et qui est destiné à abriter le travail de la céramiste Christelle Le Dortz. "Tous les matériaux ont été livrés avant le confinement, heureusement. On travaille en écoutant les oiseaux...et le silence, comme d’habitude." Sur l’île, il n’y a jamais de voiture pour leur faire concurrence !
Calme choc
D’ordinaire, la vie sur l’île est rythmée par l’arrivée et le départ du bateau. Mais depuis le 17 mars, la Penn ar Bed a réduit ses traversées vers les îles à deux allers-retours par semaine. Les marchandises et le courrier ne sont livrés que les mardis et les jeudis. Les voyageurs sont rares. Aucun débarquement sans l'accord du maire et du médecin. Tout nouvel arrivant, résident permanent uniquement, est tenu de rester confiné 14 jours chez lui.
"A l’épicerie, on ne peut pas être plus de quatre clients en même temps et on y entre seulement après s’être lavé les mains au gel hydroalcoolique", poursuit Didier-Marie. "Mais ça se passe bien. On ne manque de rien." Calme choc comme diraient les marins.
Quand on va chercher son journal au bateau, on ne s’arrête plus boire un café. Comme sur le continent, les bistrots et les restaurants sont fermés. Le tabac a fait le plein avant le confinement et le boulanger continue de faire son pain. Les îliens sont respectueux des consignes.
"Le soir, je fais un petit tour sur le périph’!"
L’atelier de Didier-Marie se situe face à la mer et au terrain de sport, sur une des rues les plus larges de l’île.
Cette promenade, extérieure au bourg, surnommée le périph’, conduit au phare. "Je fais un petit tour avec mon attestation en poche. Il n'y a personne pour nous contrôler mais on est en règle. Je n’ai jamais vu autant de Sénans passés par là. On évite les ruelles étroites pour garder les distances de sécurité. On échange quelques mots quand on se croise, c’est tout".
Les gens sont solidaires. "On est habitué à s’entraider pendant les tempêtes de l’hiver. Là, c’est un peu pareil. Sauf que pendant les coups de tabac, tout le monde sort pour voir les éléments déchaînés !"
Didier-Marie voit passer les employés communaux qui continuent à collecter les poubelles deux fois par semaine mais il ne peut plus leur offrir un petit café. La mairie assure une permanence le matin. Les agents chargés de la centrale électrique et de l’usine de dessalement d’eau de mer poursuivent la surveillance.
Avec un médecin et une aide-soignante sur place, les îliens sont confiants mais il y a de l’anxiété. La population est âgée. Pas de cas avéré de Covid-19 à ce jour mais quelques personnes ont présenté des symptômes qui ressemblent à ceux d’une grippe. En l’absence de test de dépistage, chacun reste au chaud chez soi.
Un coup dur pour l’île, un avertissement pour nous faire réfléchir
Les commerces de l’île souffrent déjà. D’habitude à Pâques, les touristes sont nombreux. Les locations saisonnières se remplissent, les 4 restaurants et hôtels ouvrent. Cette année, l’avant-saison est d’ores et déjà gâchée, et pas sûr que les ponts du mois de mai tiennent leurs promesses.
Une richesse que Didier-Marie Le Bihan partage grâce aux petits guides nature édités par son association Radooo qui oeuvre pour la préservation de l’île, en première ligne face au réchauffement climatique.On ne sait pas du tout ce que va donner. On espère que les gens reviendront quand le confinement sera terminé. Face à l’incertitude sur l’évolution de la pandémie, peut-être que les Français s’aventureront moins à l’étranger et qu’ils viendront découvrir les trésors de nos îles bretonnes.
"J’espère qu’on tirera les leçons de cette pandémie. Cela doit nous alerter sur notre façon d’interagir avec la nature et l’environnement. Il faut davantage respecter notre planète. Quand on voit par exemple que depuis le confinement les villes respirent mieux ou que les poissons sont revenus dans la lagune de Venise, il est temps de se poser les bonnes questions."