Le festival des Vieilles Charrues : une économie fragile

A chaque édition, les Vieilles Charrues, premier festival de France fait face à un risque financier et à l'appétit de groupes industriels pour le secteur. Combien de temps restera-t-il associatif?


Avec 280.000 entrées l'an dernier, un budget d'environ 17 millions d'euros et Depeche Mode, dont le cachet avoisine le million d'euros, en tête d'affiche, les Vieilles Charrues semblent à l'abri des déboires financiers. 

Association à but non lucratif, tirant 80% de ses recettes du public et 20% de partenaires et mécènes, le festival est épaulé par quelque 6.700 bénévoles et ne reçoit quasiment aucune subvention publique. Comme d'autres festivals organisés par des associations, il doit pourtant vendre impérativement "90 à 95% des billets pour arriver à l'équilibre", explique Jérôme Tréhorel, son directeur, qualifiant le festival de "géant aux pieds d'argile".
 

 

Des coûts qui ne cessent d'augmenter


"Le taux de remplissage à partir duquel un festival ne perd plus d'argent est passé de 70-75% (il y a 10 ans, NDLR) à plus de 90%, ce qui augmente le risque financier", constate le politologue Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS.

En cause, des coûts qui ne cessent d'augmenter, tandis qu'aux Vieilles Charrues, les organisateurs se refusent à augmenter le prix des billets, compris entre 44 et 54 euros la journée. En dix ans, le budget du festival consacré aux artistes, qui tirent désormais leurs revenus du "live" (tournées et festivals), est passé d'1,7 million d'euros à 4,5 millions.
 

Plus d'animation et de décoration


"Les festivaliers demandent plus d'animation et de déco", remarque Olivier Allouard, directeur du cabinet Gece. "En Espagne ou en Allemagne, les festivals sont devenus des parcs d'attraction musicale avec des feux d'artifice, ce qui a fait grimper les prix". Parallèlement, la concurrence entre festivals s'est encore accrue en Europe pour attirer les têtes d'affiche. "Les Portugais ou les Polonais ont des moyens qui peuvent être le double des nôtres", observe Jean-Jacques Toux, programmateur des Vieilles Charrues.
    

Des festivals pilotés par des grosses entreprises... l'inquiétude gagne


 Ces festivals sont "souvent pilotés par des grosses entreprises qui ont des partenariats importants", précise M. Toux, avec à la clé, le parking et le camping payants, du sponsoring de marques d'alcool et de tabac, interdit en France, ou des écrans publicitaires sur scène.

En France, où 71% des festivals payants sont organisés par des associations, selon le Barofest 2016, la prolifération de grands groupes privés comme Fimalac, LNEI ou Vente-privée et de multinationales comme Vivendi, Lagardère, ainsi que les géants américains de l'organisation de concerts, Live Nation et AEG, inquiète. 
"Les festivals sont beaucoup plus la cible de groupes industriels qu'il y a deux ans", note Emmanuel Négrier. Le chercheur observe à la fois une "diversification de grands groupes" vers l'industrie musicale et une "concentration financière, horizontale et verticale" avec des entreprises qui rachètent clients ou fournisseurs et couvrent "toute la chaîne de valeur", de la production d'artistes à la vente de billets en passant par l'organisation des tournées, la gestion des salles et des festivals, et la promotion. 


Attention aux mélanges des genres


Même s'il ne constate pas d'impact négatif aux Vieilles Charrues, Jérôme Tréhorel appelle à la "vigilance" pour préserver la diversité culturelle. "Nous avons des tourneurs, à qui on achète l'artiste, qui sont devenus coprogrammateurs ou cogestionnaires de salles ou festivals et sont potentiellement des concurrents", s'inquiète le directeur du festival, pour qui le risque est de voir les artistes ne se produire que dans les festivals de la maison-mère. "Il ne faudrait pas tomber dans la concurrence déloyale ou l'abus de position dominante", prévient-il, ajoutant que "perdre une tête d'affiche, c'est risquer de perdre 20.000 billets".

"On peut s'étonner de la passivité des pouvoirs publics face à ces phénomènes de concentration et de domination", avait déclaré en 2017 l'ancien ministre de
la Culture Jack Lang. "Il est urgent d'agir".
 
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