Au début de sa carrière politique, il se présentait comme "Breton d’après les marées noires." En 1989, Kofi Yamgnane était élu maire de Saint-Coulitz, dans le Finistère et devenait l’un des premiers maires noirs de France. Il a quitté la vie politique mais a suivi de bout en bout la campagne présidentielle et se dit "atterré" par le score de Marine le Pen en Bretagne.
"Non, non, non, la Bretagne n’est pas raciste, la Bretagne ne l’a jamais été. Je suis là pour montrer le contraire. Mais je crois que tout le monde en a marre."
Kofi Yamgnane ne veut pas désespérer. "Au moment où j’ai été élu, un journal a titré Voilà la France que nous voulons, ce n’est pas la France de Le Pen, c’est la France de Saint-Coulitz."
"C’était le 20 mars 1989 se souvient-il, c’était extraordinaire, ces paysans qu’on traite de réactionnaires, de conservateurs accrochés à leur terre qui votent pour moi. C’est eux qui ont donné une leçon de tolérance et de démocratie à la France des villes. C’est ça les bretons !"
Breton d'après les marées noires
Né au Togo en 1945, Kofi Yamgnane est arrivé à Brest en 1964 pour finir ses études de mathématiques. Il était alors le seul noir de toute la faculté.
Il s’engage en politique dans la petite commune où il s’est installé, Saint-Coulitz près de Châteaulin, qui compte alors 360 habitants Il en sera le maire jusqu’en 2001.
Evidemment son élection ne passe pas inaperçue. Il est repéré par le Président de la République, François Mitterrand et devient, secrétaire d’état à l’intégration dans les gouvernements Cresson et Bérégovoy (entre 1991 et 1993). Il entre ensuite au Conseil national du Parti Socialiste et est élu député de la circonscription de Châteaulin de 1997 à 2002.
"Ca me rend triste"
Aujourd’hui en retraite et retiré de la vie politique, Kofi Yamgnane a évidemment suivi les élections présidentielles, "de bout en bout", précise-t-il. Et en découvrant les résultats du premier tour ce 10 avril, il a reçu un choc ! "Je suis désolé de voir que la Bretagne vote comme cela pour le Rassemblement National. Marine le Pen a obtenu 19,5 % des suffrages dans la région. Ça me fend le cœur, ça me rend triste de voir que même dans les petits villages chez nous, les gens ont voté pour elle."
Dans les derniers jours de la campagne, Emmanuel Macron, le président de la République est venu à Spézet. "C’était le jeudi. Le dimanche, Spézet votait Le Pen. C’est un crève-cœur. Spézet, c’était dans ma circonscription quand j’étais député. Marine Le Pen en tête. Non mais vraiment, je crois rêver."
Pire encore peut être, pour lui, à Saint-Coulitz, "son" village, Marine Le Pen a fait plus que Mélenchon," c’est inimaginable, c’est inimaginable !"
"La Bretagne ne pouvait pas rester à l’écart de ce mouvement global vers le RN comprend Kofi Yamgnane, mais ça me rend triste !"
Vote utile
L’ancien secrétaire d’état socialiste ne cache pas qu’il a glissé un bulletin Mélenchon dans l’urne. "C’est ce qu’on a appelé le vote utile, explique-t-il. Je pensais que si tout le monde faisait ça, Mélenchon pourrait accéder au second tour et qu’il y aurait un débat entre la gauche et la droite. On ne peut pas se contenter de faire comme si le peuple français n’avait plus que deux options entre la droite et l’extrême droite. Ce n’est pas ça la France !"
Question de vie ou de mort
"Je n’ai pas peur," poursuit Kofi Yamgnane. Comme tout le monde, il entend des électeurs de gauche affirmer haut et fort qu’ils ne pourront pas aller voter Macron.
"Je sais que même ceux qui disent qu’ils ne peuvent pas, ils le feront. Je ne veux pas dramatiser la situation, mais c’est une question de vie ou de mort. Hitler a été élu comme ça. On a vu la suite. Il ne faut pas jouer avec ça."
Le 24 avril, il demande à tous les français humanistes à mettre un bulletin Macron dans l’urne pour "barrer la route à une idée qui n’a pas existé en France depuis Pétain."
"On ne peut pas se permettre de rapetisser la France, de la rabaisser. La France ce n’est pas n’importe quel pays, c’est le pays de la révolution, le pays de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, c’est le pays de la culture française, un pays qui rayonne à travers le monde. On ne peut pas se permettre ça. Tous les gens qui sont conscients de ça voteront Macron pour écarter Le Pen."
Le bonjour des illettrées
Hier, au lendemain du premier tour, sur le marché de Concarneau, Kofi Yamgnane a croisé un ancien de chez Gad. En 2014, Emmanuel Macron, le ministre de l’économie de l’époque, avait évoqué la situation de l'abattoir sur les ondes d'une radio nationale : "Vous savez ? Cet abattoir. Il y a dans cette société une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées."
Ce salarié a toujours la petite phrase coincée en travers de la gorge raconte l'ancien élu. "Il me dit Kofi, tu as vu l’arrogance, le mépris. Les femmes de chez Gad, c’est des illettrées, et tu crois que je vais aller voter pour cet homme-là ?" Kofi Yamgnane a essayé de le convaincre. "Je lui ai dit, t’es obligé, parce que c’est ça ou c’est le fascisme qui déferle sur le pays. Il m’a dit, le fascisme, et il a promis d’aller voter en se bouchant le nez."
Mettre fin à l’arrogance
L’ancien membre du Conseil national du PS n’est pas tendre avec les politiques. "Il faut mettre fin à cette arrogance qui s’est emparée des gouvernants d’aujourd’hui, être plus modeste".
"Nos dirigeants, décrit-il, n’ont pas montré l’exemple que les français ou les bretons attendaient." Il désigne clairement sa famille politique, "nous la gauche, on a cessé de réfléchir. Depuis 2002, on n’a plus de congrès où les idées s’affrontent, où les courants se battent, où on avance sur l’évolution de la société. Depuis 2002, il n’y a pas eu de réflexion là-dessus."
Kofi Yamgnane se souvient des jours heureux d’hier, quand les français croyaient encore aux lendemains qui chantent. "Les socialistes ont gouverné le pays. Pendant 14 ans avec François Mitterrand, 5 ans avec Jospin, 5 ans avec Hollande et on en est là, on a parti qui fait 1%... franchement, ça ne va pas !"
"En 2012, on a gagné, et on avait un président de gauche, l’Assemblée nationale et le Sénat à gauche, toutes les régions, sauf l’Alsace, une centaine de départements, et toutes les grands villes à gauche… et quand il est parti en 2017, on n’avait plus rien. Il y a un problème."
"Le parti socialiste, assène –t-il, est devenu un parti d’élus, un parti de notables. On a pensé, il n’y a qu’à continuer comme ça, et voilà. On y est. On a dégouté tout le monde, il faut tout recommencer à zéro."
Des états généraux
L’ancien maire n’y va pas par quatre chemins : " Il faut qu’on retourne à la base, qu’on écoute les gens, tous les français ont des choses à dire, ils ne sont pas idiots.
Il faut mettre toute la France en mouvement, appeler les gens à des conférences, que dans chaque village, on fasse parvenir des cahiers de doléance et que les gens puissent écrire ce qu’ils veulent comme société."
"Il faut partir de là, réinventer le domaine politique. Mais il ne faut pas faire cela dans 20 ans, il faut que ce soit permanent."
Et la fougue de l'élu revient au galop, "la France n’est pas un pays pauvre, il y a beaucoup de richesses dans ce pays, c’est anormal qu’on laisse des familles vivoter dans la misère. Le partage des richesses n’est pas bien fait, il faut corriger ça et c’est nous à gauche qui devons, qui pouvons le faire."
Kofi Yamgnane conclut en souriant : "Je suis optimiste, parce que je sais que c’est la réalité." Le plus breton des togolais et le plus togolais des bretons en est convaincu, La France va se ressaisir et se reconstruire, "la France ne peut pas être autre chose que ça."