En politique, dit-on: il faut avoir le virus. Mais celui qui s’est invité dans la campagne des élections municipales 2020, c’est le virus de trop. De Rennes à Lorient en passant par Saint-Malo il a chamboulé le processus de communication entre candidats et citoyens.
Le coronavirus a tout changé. Arrivé comme un chien dans un jeu de quilles, peu avant le premier tour, nombre de citoyens auraient préféré l’ignorer pour faire tranquillement, qui sa campagne, qui son choix électoral. Mais les faits et résultats sont là. Le 15 mars, au soir du premier tour en Bretagne, on décomptait 52,97% d’abstention et même 60% à Rennes et 66% à Lorient. Triste record.
Deux jours après le premier tour, commençait le confinement général, avec son cortège de substituts numériques à la vraie vie, sauf pour les tâches qui ne peuvent s’exécuter que sur le terrain... comme faire campagne pour le deuxième tour.
Le numérique contre le virus
Pour des raisons d’efficacité, l’équipe de Charles Compagnon, candidat (divers Droite) à la mairie de Rennes, avait dès la fin février opté pour une campagne numérique.
« J’étais même l’unique candidat pour Rennes à faire un e-meeting. En réunion publique, je pouvais espérer 800 personnes, alors qu’en numérique j’ai touché 6300 personnes à ce jour, rien qu’avec ce premier e-meeting. Les gens viennent voir les vidéos quand ils veulent. Et pour le Covid c’est sans risque. »
Pour Charles Compagnon, cette première expérience est insolite:
«C’est extrêmement étrange de faire une campagne pendant six mois, et puis que tout s’arrête tout à coup, sans savoir si on refait le premier tour, sans que les équipes puissent se voir pour échanger, ni se retrouver au local…
Et puis hop, on reprend d’un coup … et finalement on fait le second tour. Alors on a perdu en dynamique, c’est un peu comme un cycliste qui doit repartir en côte, il faut se mettre en danseuse et relancer la machine, explique Charles Compagnon, aujourd’hui on est reparti. On est actif sur le terrain et réactif numériquement, ça nous a même obligé à faire des petites vidéos qu’on n’avait pas pu faire au premier tour.»
Avec le déconfinement, son équipe est repartie sur le terrain mais elle a senti qu'une part de l'électorat a complètement la tête ailleurs :
«on vient de faire un porte à porte: ce qui est sidérant c’est qu’il y a quand même un nombre conséquent de Rennais à qui on a appris que le 2ème tour était le 28 juin! C’est inquiétant pour la mobilisation des électeurs.»
La prime aux sortants
À Rennes la campagne a changé de visage dans l’intervalle entre le premier tour et le déconfinement. Nathalie Appéré, la maire sortante PS et l’écologiste Matthieu Theurier (EELV) se sont alliés. Ils cumulent à eux deux 58% des voix du premier tour.
Ils ont sans doute moins souffert de cette parenthèse sanitaire, de cette longue interruption de campagne, que leurs adversaires. Dans l’intervalle la Ville de Rennes a entamé la transformation du plan de circulation comme un gage donné sans attendre aux écologistes. Le quai nord de la Vilaine se ferme aux automobiles pour s’ouvrir aux vélos; pour les adversaires cela sonne comme si le processus démocratique était jouée d'avance.
Guerre de communiqués
Chaque jour dans les médias, Carole Gandon (LREM) tacle l’équipe sortante : « La maire a été très visible durant la gestion de la crise. Elle a été à la hauteur dans ce moment et elle a su le faire savoir. Cette période va favoriser les sortants.»
Puisque son équipe « Révéler Rennes » poursuit la course assez loin derrière les deux échappés du premier tour, la candidate LREM ose tous les coups contre ce qu'elle nomme le socialisme municipal. Une façon d'exister dans la campagne électorale, de ne pas disparaitre du tableau médiatique.
« Rennes mérite mieux qu’une nouvelle parodie politique, commente Charles Compagnon dans un entretien à Ouest-France, « La légitimité des élus municipaux de demain ne passera pas par la délocalisation de débats nationaux mais bien par la confrontation de programmes locaux »
À Saint-Malo, les candidats sont en lice sur Facebook
Autre campagne, autre combat pour la ville corsaire. Battant pavillon LR, le député Gilles Lurton, n’avait pas attendu l’arrivée du coronavirus pour paraitre en vidéo et parfois en direct sur les réseaux sociaux. Ainsi pour le lancement de sa campagne ou pour ses vœux aux Malouins pour l’année 2020, on avait déjà pu le voir sur son compte Facebook.
C'est aussi le cas de son unique adversaire au second tour: la centriste Anne Le Gagne. Dès le début de campagne, son équipe n’avait rien négligé de la communication numérique, du site Internet au compte Facebook pour présenter son programme.
Au contact de l’électeur avant le confinement
Mais avant le premier tour, les deux candidats avaient organisé des meetings dans tous les quartiers de Saint-Malo. Dès janvier, Anne Le Gagne se lançait dans des réunions publiques. Quant à Gilles Lurton, c’est de façon presque quotidienne, du 24 février au 13 mars, qu’il menait, tambour battant, sa tournée de meetings dans les quartiers.
Après ce 1er tour, tous les deux restent seuls en lice, mais le confinement stoppe net la campagne électorale. L’heure n’est plus au combat politique, les comptes twitter de campagne se taisent, et Anne Le Gagne reprend sa blouse blanche de médecin à l’hôpital de Saint-Malo.
Le numérique pour suppléer aux réunions publiques
Lorsque le premier ministre annonce enfin, après deux mois de confinement, la date du 28 juin pour le second tour des élections municipales, la campagne reprend mais avec toutes les précautions qu’impose le risque épidémique. Alors le meeting Facebook devient la norme, assorti de petites vidéos courtes de temps à autre pour ne pas perdre le fil avec les réseaux sociaux. Chacun dans leur style, les deux candidats se reconnectent avec les électeurs.
À Ouest-France, Gilles Lurton déclare « C’est une nouvelle campagne qui commence. Nous l’abordons avec humilité comme s’il s’agissait d’un premier tour » il organise son retour avec un premier Facebook live diffusé le 5 juin qui compte à ce jour plus de 10.000 vues.
Ses colistiers entament aussi une mini-série de courtes vidéos pour présenter des points clés du projet pour Saint-Malo.
De son côté Anne Le Gagne s’adresse aux malouins le 2 juin à travers une vidéo. Elle y fait un point très transparent sur sa communication politique durant la phase critique de l’épidémie «Il nous a semblé tout à fait inadapté voire indécent de poursuivre une communication politique à ce moment de nos vies.» et d’ajouter pour la suite :
«il est vrai que cette campagne va être une campagne particulière, nous n’allons pas pouvoir aller à votre rencontre ni faire de réunion publique, pas pouvoir tracter mais vous pouvez compter sur nous […] à travers des films et des Facebook live »
Laissant passer la salve de son adversaire, Anne Le Gagne propose le 11 juin, un Facebook live très préparé avec des prises de paroles de ses colistiers, des visuels explicatifs et un jeu de questions-réponses avec les citoyens.
À Lorient : quatre listes et un confinement
Dans cette citadelle historique du parti socialiste, l’abstention au premier tour a atteint des sommets: 66%. Le résultat d’un scrutin sous la menace du coronavirus avec des foyers épidémiques tout proches, mais aussi le résultat d’une division du PS au pouvoir depuis les années 60. Résultat : presque un quatre-quarts au sortir des urnes.
Deux des listes sont issues de l’ancienne majorité PS de Norbert Métairie qui ne se représentait pas. L’une et l'autre sont menées par des adjoints de l'équipe sortante: Laurent Tonnerre (Demain Lorient / 17.8%) porté par LREM, et Bruno Blanchard (Bien vivre Lorient / 18.45%) qui a rendu sa carte au PS mais qui est soutenu par le maire sortant. Une situation particulière qui fait dire à Bruno Blanchard (DVG) : « C’est une autre élection qui se joue dans deux semaines et demie. Une élection décisive à un tour.»
En face d’eux Fabrice Loher (Unissons Lorient / 20.83%) qui est le représentant de la Droite et du Centre de l’ancienne opposition au maire sortant et enfin Damien Girard (22.99%) un écologiste soutenu par le PS et porté par une liste d’union de la gauche (EEVL, PCF, LFI, UDB, Génération.s).
Des plateformes participatives
Particularité de cette campagne à Lorient, en amont du premier tour, l’apparition de plateformes participatives pour donner aux citoyens le moyen de faire des propositions hors des appareils politiques classiques.
Dans la mouvance écologiste, c’est d’abord l’outil porté par le collectif Pays de Lorient en Transition qui mène à un document de quarante propositions.
En décembre 2019, le collectif Lorient se lève (Génération.s, La France Insoumise) abordera lui aussi la question de la démocratie participative à travers un questionnaire aux habitants.
Ces démarches citoyennes et participatives mèneront la gauche écologiste et sociale à se regrouper autour de Damien Girard. Mais si le premier tour avec seulement 33% de participation a placé en tête la liste Lorient en commun, rien n’est joué, d’autant que la crise sanitaire du Covid-19 est venu brouiller les cartes avec un long confinement de la campagne électorale et avec la crainte qu’une crise économique et sociale majeure ne fasse oublier l’urgence climatique.
La drôle de campagne continue
À Lorient aucun regroupement de listes ne s'est produit entre les deux tours, les candidats poursuivent donc la campagne pour le second tour avec les contraintes de la distanciation sociale : pas de réunion publique, pas trop de porte-à-porte, ni de tractage et moins d’échanges sur les marchés. Mais ces derniers jours ils retournent quand même sur le terrain avec des porte-voix, des masques et des gants . Et parfois même, ils découvrent leur visage pour aller au-devant des électeurs au risque d'attraper le virus.
Décidément, c'est une drôle de campagne.