Les archéologues de l'Inrap ont finalement mis au jour douze squelettes jusqu'alors ensevelis à moins d'1,50 mètre sous les pavés de la place de la mairie, là où la Ville plantera en février 18 arbres. Une découverte qui interpelle les passants, même si elle n'est pas si surprenante.
"Waouh, viens voir : c'est impressionnant !" Sur la place de la mairie de Rennes, de nombreux passants s'arrêtent pour observer un spectacle pour le moins inhabituel.
A moins d'un mètre cinquante sous leurs pieds, des archéologues ont creusé et découvert depuis le 11 janvier, pas moins de douze squelettes.
Pas de clous, pas de cercueils
"Des squelettes ? Mais c'est hallucinant !" Pierre, un Costarmoricain de passage dans le centre-ville rennais n'en revient pas... "Et les rectangles, là : c'étaient leurs cercueils ?"
"S'il y avait eu des cercueils en bois, ils auraient disparu depuis longtemps, mais nous aurions retrouvé des clous" poursuit Cyril Hugot, un des archéologues mobilisés sur ce diagnostic archéologique préalable. "Ici, rien, que des os... Les gens assez pauvres, on les enroulait dans des linceuls."
Ebahis et les yeux écarquillés, petits et grands écoutent avec grand intérêt le cours d'histoire à ciel ouvert qui se déroule sous leur nez.
Contrairement aux passants, l'archéologue n'est pas si surpris par la présence de ces squelettes : "A Rennes, c'est assez souvent ! C'est pas Rome non plus (ndlr : ville italienne où la découverte de trésors antiques bloque l'avancée du métro). Mais souvenez-vous, sous le Couvent des Jacobins, ou encore à l'Hôtel Dieu !" "C'est vrai que ça arrive quand même de temps en temps", acquiesce un badaud qui s'est approché pour glaner quelques infos.
Cyril Hugot n'est pas avare de commentaires : "Ce qui est davantage surprenant, c'est l'axe dans lequel ils ont été enterrés. D'habitude, chez les Chrétiens, la tête est tournée vers le Sud, vers Jérusalem, et toujours sur le dos mais ici, c'est plutôt Sud-Ouest..."
Les secrets des os
Une fois la scène photographiée et les prélèvements effectués, une analyse approfondie de ces découvertes permettra d'en savoir davantage ("de caractériser et dater" comme on dit dans le métier), mais la trouvaille est déjà incroyable pour tous les néophytes qui s'approchent.
"Ce n'est pas si profond !" constate Henri, qui lui a fait un petit crochet pour voir de ses propres yeux les fameux squelettes. Veste orange sur le dos et casquette vissée sur la tête, l'archéologue s'est approché des grilles qui encerclent le chantier pour répondre à quelques questions. "Les corps se trouvaient à 1,20 mètre de profondeur seulement, confirme-t-il. Sachant que nous ne sommes autorisés à chercher qu'à 1,50 mètre de profondeur, c'est le règlement."
Les cinq squelettes découverts ont été emmenés à Cesson, dans les locaux de l'Inrap où ils seront auscultés avec minutie. "D'abord, on va les dépoussiérer à l'aide de brosse à dents" puis ils seront soumis à la technique de la datation au carbone 14 pour révéler une partie de leurs secrets.
Histoire de compenser la déception de certains qui ne les ont pas vus, l'archéologue montre alors une photo d'un des crânes découverts.
"Mais il y a un sacré trou !" s'étonne-t-on dans l'attroupement qui s'est formé. "Oui, ça c'est nous qui l'avons fait, ça arrive souvent. En fait, le crâne est toujours plus élevé que le reste du corps. En cherchant par strate, on tombe souvent dessus en premier."
Puis des côtes, un fémur, des tibias ont été mis au jour. Des ossements qui dateraient à première vue de la première partie du Moyen-Age.
Enterrés au Moyen-Age
Difficile, à cette étape, de donner un âge précis à ces sépultures, mais différents éléments permettent de préciser un peu la période : "On sait que le vestige de cimetière que l'on a sous nos yeux est antérieur à l'hôtel qui a été construit par-dessus, détaille Cyril Hugot. Cet hôtel, dont l'Inrap a aussi révélé quelques murs, serait l’hôtel de Brissac où étaient logés les Parlementaires à la fin du XVIIe siècle.
Les squelettes pourraient donc avoir été enterrés ici, entre l'actuel Opéra de Rennes et l'hôtel de ville, entre le VIe et le XIe siècle. Quant au cimetière, il pourrait s'agir de celui qui entourait une église datant du Xe ou XIe siècle : l’église Saint-Pierre-du-Marché.
En attendant d'en savoir plus, Cyril poursuit son diagnostic. De retour sur son bout de chantier, il travaille autour du mur de plus d'un mètre de large qui a aussi été mis au jour : "Ça par exemple : la forme arrondie (ndlr : sur laquelle il s'appuie, en bas de la photo), c'est peut-être une margelle de puits antique. Mais il nous faut des éléments datables pour le savoir..."
Dans l’autre tranchée, les archéologues ont mis en évidence des traces du grand incendie de 1720, notamment des restes d’ardoises, de tommettes et de briquettes brûlées retrouvées en remblais, et divers indices évoquant le comblement d’un fossé de la ville à la fin Moyen Âge, ré-occupé par du bâti dont il subsiste quelques éléments, précise la mairie.
Prochain terreau pour 18 arbres
Une chose est sûre : ce chantier archéologique préalable s'achèvera dans une semaine, le 28 janvier au plus tard. "C'est frustrant, réagit Henri. Parce qu'il y a sûrement plein d'autres squelettes sous la place de la mairie ou dans la rue !"
Probablement en effet, mais c'est la limite de ce type de recherches menées par l'Inrap, à la demande de la Direction régionales des affaires culturelles de Bretagne. Il est obligatoire avant tout changement dans l'aménagement d'un site, mais son ampleur et sa durée sont limités.
La DRAC aurait éventuellement pu décider, au vu du potentiel découvert lors de ce diagnostic, de mener une étude plus exhaustive (ce que l'on appelle "fouilles archéologiques") mais pour cela "il faudrait tomber sur la nécropole d’Alexandre Legrand..." sourit Cyril Hugot qui tempère en même temps :"On ne peut pas tout fouiller non plus !"
Dans un communiqué publié jeudi 20 janvier, la mairie précise que "la Drac estime que des fouilles complémentaires ne sont pas nécessaires en raison de la nature limitée des travaux." Les découvertes seront traitées par l'Inrap, quant à la Ville, elle maintient son projet d'aménagement : "En construisant la ville de demain, nous renouons un peu plus avec notre histoire commune", se félicite Nathalie Appéré, maire de Rennes, présidente de Rennes Métropole.
Rappelons que le but de l'aménageur, la Ville de Rennes, est ensuite de végétaliser la place de la mairie. La métropole prévoit d'y planter dix-huit arbres "de 10 à 12 mètres de haut en taille adulte" en réponse à une demande des Rennais qui réclamaient lors d'une consultation dans le cadre de Rennes 2030 « plus de nature en ville ». Des arbres qui seront plantés dès cet hiver, au milieu du mois de février.