"Dépêche-toi, esclave" : les livreurs de repas face au racisme quotidien

Insultes racistes, remarques sexistes, : les livreurs racontent leur calvaire. En Bretagne et ailleurs, les abus persistent. Cheick témoigne de cette réalité. Les plateformes veulent agir.

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"Rentrez chez vous !" Cheick, comme beaucoup de coursiers, est d'origine étrangère. Ce trentenaire raconte à l'AFP les remarques xénophobes qu'il subit régulièrement. Des paroles blessantes qui, selon lui, relèvent d'une violence "intolérable". Conscient de ce problème, les plateformes comme Deliveroo et Uber Eats tentent d'agir.

En Ille-et-Vilaine, un lundi de novembre, Cheick est retardé par des travaux. Lorsqu'il arrive enfin chez le client, celui-ci l'accueille par un "Cas soc', rentrez chez vous !". "Ça m'étonne qu'un Noir soit poli et gentil comme ça", lui a-t-on également déjà dit. Ces phrases blessantes, ce Français de 32 ans en entend trop souvent.

Un racisme décomplexé

Ces cas ne sont pas isolés. "A minima une fois par mois, des cas graves de discrimination raciale nous sont signalés", estime Fabian Tosolini, membre du syndicat Union-Indépendants. Selon lui, la grande majorité de ces agressions émanent d'un "racisme décomplexé". Les livreurs concernés sont à 95 % issus de communautés étrangères.

Leur statut d'indépendant les rend également plus vulnérables. "Leur précarité financière aggrave leur situation", analyse Marine Lefèvre, de la fondation FACE. Beaucoup d'entre eux gagnent moins que le Smic horaire, comme l'a révélé une étude de l'Arpe publiée en octobre.

Lire : Les livreurs Uber Eats et Deliveroo veulent être mieux rémunérés

Harcèlement et sexisme en hausse

Outre le racisme, les coursiers doivent aussi faire face à des comportements sexistes, voire du harcèlement sexuel. Khadija, 25 ans, livreuse à Clermont-Ferrand, confie à l'AFP avoir été choquée par des remarques comme "Ce n'est pas un travail pour une femme" ou "Vous ne faites pas bien votre job parce que vous êtes une femme".

Les cas les plus graves frôlent l’esclavagisme moderne. "Dépêche-toi, esclave" : c'est le message qu’un coursier a reçu un jour de la part d'un client. Une enquête menée par Uber Eats en 2021 a révélé que 34 % des livreurs interrogés avaient déjà subi une discrimination au travail, dont 63 % en raison de leur origine.

Des plateformes sous pression

Face à ces incidents, Deliveroo, Uber Eats et Stuart ont signé en mai dernier un accord avec les syndicats pour mieux protéger les livreurs. Parmi les mesures prises : un recensement des cas signalés, un canal dédié pour remonter les incidents, la désactivation des comptes clients ou restaurateurs fautifs et une indemnisation des livreurs victimes.

Cheick, par exemple, a reçu près de 100 euros pour compenser une livraison interrompue. Uber Eats propose aussi un accompagnement juridique gratuit et une garantie couvrant jusqu'à 5 000 euros de frais judiciaires. Deliveroo, de son côté, s'engage à traiter les signalements en moins de 36 heures et accompagne les victimes dans leurs démarches.

Lire : “Le livreur du futur” offre des repas aux SDF grâce à sa cagnotte et enflamme les réseaux sociaux

Changer les mentalités

Les plateformes tentent également de sensibiliser leurs employés. Avec FACE, Deliveroo organise des sessions de formation pour apprendre à repérer les discriminations et comprendre leurs conséquences. Ces initiatives visent à déconstruire les amalgames qui associent trop souvent les livreurs à des sans-papiers ou à un faible niveau social.

Les conséquences de ces agressions, même à première vue mineures, peuvent être graves : angoisse, dépression, perte d'estime de soi, et dans les cas les plus extrêmes, risque de suicide. Les efforts des plateformes suffiront-ils à enrayer le problème ? Les livreurs, eux, attendent des actes concrets.

Un reportage pour l'AFP de Ornella LAMBERTI 

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