Essai clinique: ce qui ressort de l'enquête de l'Agence du médicament

Deux semaines après l'accident, l'Agence du médicament, l'ANSM, publie la chronologie de l'essai clinique mené par le centre rennais Biotrial. Ce document n'apporte aucune explication. Il souligne que 7 volontaires ont reçu une dose de médicament au lendemain de l'hospitalisation du 1er volontaire.

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C'est un document assez bref de trois pages, mis en ligne par l'Agence national de la santé et de la sécurité du médicament, l'ANSM. Il retrace la chronologie de l'évaluation et du déroulement de l'essai clinique promu par le laboratoire Bial, basé au Portugal, et par le centre de recherche biomédicale Biotrial à Rennes. 

L'ANSM avait demandé des modifications

Il y apparaît d'abord que le dossier de demande d'Autorisation d'Essai Clinique a été étudié et validé par l'ANSM deux mois après que Biotrial l'a déposé. Durant ces deux mois, la demande "a fait l'objet d'une évaluation sur le plan pré-clinique [NDLR: évaluation sur l'animal], clinique et sur la qualité pharmaceutique." Pendant cette période, "des échanges ont eu lieu avec le promoteur [NDLR: Bial] et des modifications du protocole ont été demandées par l'ANSM." 
Fin juin dernier, suite aux modifications apportées, l'Agence du médicament autorise l'essai. Quelques jours après, le Comité de protection de l'Ouest de Brest donne à son tour son accord à Biotrial. 

Le 9 juillet 2015, Biotrial lance, à Rennes, la phase 1 de l'essai clinique portant sur le médicament "BIA 10-2474", un médicament administré aux volontaires sous forme de gélule.

Un protocole d'essai en 3 étapes


L'ANSM rappelle que cette phase 1 de l'essai clinique s'est déroulée en trois étapes:

- 1ère étape: les volontaires reçoivent une seule dose de traitement, allant de 0,25 mg à 100 mg.
Certains volontaires reçoivent le verum (le médicament étudié), d'autres un placebo. L'étude est opérée en "double aveugle", ce qui signifie que ni le volontaire ni le médecin, qui administre le médicament, ne sait s'il s'agit de la molécule étudiée (verum) ou bien d'une substance inerte (placebo). 
Au cours de cette étape initiale, "huit doses croissantes ont été testées", chaque dose étant testée dans un groupe de huit personnes (soit 64 volontaires au total). 
"Aucun effet indésirable" n'a été signalé à ce stade.

- 2ème étape: pour observer une éventuelle interaction avec la nourriture.
Un groupe de 12 volontaires reçoit le médicament à deux reprises: la 1ère à jeun le matin, la seconde après un petit-déjeuner riche en matières grasses.

- 3ème étape: chaque volontaire reçoit une dose de traitement une fois par jour et pendant 10 jours. 
Cinq groupes de volontaires sont concernés (chaque groupe comporte 8 personnes). 
De début octobre à mi-décembre, le 1er groupe reçoit quotidiennement 2,5 mg (verum ou placebo), le 2ème groupe reçoit 5 mg, le 3ème groupe reçoit 10 mg, le 4ème groupe reçoit 20 mg.
A ce stade, "aucun effet indésirable grave", note l'ANSM.

Les complications apparaissent au dernier stade de l'étude

Le 5ème et dernier groupe démarre le traitement le mercredi 6 janvier 2016 à raison de 50 mg/ jour.
C'est le dimanche 10 janvier, soit au 5ème jour d'administration, que les premiers symptômes apparaissent chez l'un des volontaires. L'homme de 49 ans est hospitalisé le soir même au CHU de Rennes.

Une 6ème dose administrée au reste du groupe de volontaires

Le lendemain matin, lundi 11 janvier, les 7 autres volontaires du groupe reçoivent la 6ème dose, comme prévu dans le protocole.
Dans la journée, L'état de santé du patient évolue alors tellement rapidement, que le service de neurologie pense d'abord à un accident vasculaire cérébral. Le volontaire sombre dans le coma.
Le centre de recherche, Biotrial à Rennes, et le laboratoire pharmaceutique, Bial au Portugal, décident alors d'interrompre l'essai clinique.

5 autres personnes hospitalisées 

Les 5 volontaires du groupe, qui ont reçu le verum (2 autres ont absorbé le placebo), sont à leur tour hospitalisés entre le mercredi 13 et le vendredi 15 janvier. Quatre d'entre-eux présentent également des complications neurologiques, le 5ème est hospitalisé par mesure de précaution.

L'alerte donnée dans les temps réglementaires

L'ANSM dit avoir été "informée par Biotrial de la survenue d'effets indésirables graves" le jeudi 12 janvier. "Une alerte plus rapide aurait été appréciée", avait alors semblé regretter Marisol Touraine. Sur ce point, les délais réglementaires ont été respectés puisque le Code de la santé publique prévoit 7 jours à partir de l'apparition des 1ers symptômes.

Si le document, mis en ligne par l'ANSM, n'apporte pas d'explication quant à l'origine de l'accident, il souligne toutefois que:
- l'essai semble s'être déroulé conformément au protocole validé par l'agence du médicament elle-même;
- début octobre 2015: 8 volontaires ont reçu, en une seule prise, une dose deux fois supérieure (100 mg) à celle administrée aux volontaires hospitalisés, sans qu'apparaissent des effets indésirables. Cela pourrait notamment accréditer la thèse d'un relargage brutal, dans le corps, des doses de médicament, qui se seraient accumulées dans l'organisme (graisse, par exemple) au fur et à mesure des prises quotidiennes.

Lire aussi: Essai clinique. Comment expliquer l'accident ?

Ce qui pose question

Jean-Yves Nau, médecin et journaliste, s'interroge à travers son blog:
"Comment expliquer que les responsables de BIOTRIAL prennent le risque d’administrer la 6ème dose du candidat-médicament aux sept autres volontaires de la « cohorte 5 » alors que le huitième était hospitalisé depuis la veille et que son état neurologique s’aggravait ? Pourquoi la décision d’interrompre l’essai n’a-t-elle pas été prise avant cette administration ? Quels ont été les échanges d’information entre les responsables de BIOTRIAL et les équipes médicales, voisines, du CHU Pontchaillou de Rennes ? Qu’est-il prévu, d’un point de vue réglementaire, sur ce point ? Les hospitalisations suivantes des volontaires (et leurs possibles séquelles neurologiques) auraient-elles été prévenues si l’essai avait été interrompu avec cette administration) ?"


Ce document de l'ANSM vient compléter une précédente publication portant sur le protocole de l'essai clinique établi par Bial.

Enquête de l'Igas attendue sous-peu

Interrogée ce jeudi 28 janvier sur France Info, Marisol Touraine a indiqué qu’elle attendait, sous peu, les premières conclusions de l’enquête confiée à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)

Au total, 3 enquêtes sont menées conjointement suite au décès d'un volontaire et à l'hospitalisation de 5 autres: deux enquêtes sanitaires, menées par l'Ansm et par l'Igas, ainsi qu'une enquête judiciaire.


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