Jeanne-Françoise Hutin est la fondatrice de la Maison de l’Europe de Rennes et ancien membre du comité d’éthique du CHU de Rennes. Andrée Guillamet est la déléguée finistérienne de l'association pour le droit de mourir dans la dignité. Alors que le projet de loi sur la fin de vie arrive à l'Assemblée nationale ce lundi 27 mai 2024, nous avons donné la parole à ces deux femmes dont les avis divergent sur le sujet.
Andrée Guillamet s’intéresse au sujet de la fin de vie depuis l’adolescence. Elle est pour la défense des droits des malades et des personnes en fin de vie. Elle a commencé à militer au sein de l'association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) il y a une dizaine d’années. "Depuis, explique-t-elle, je reçois régulièrement des appels de personnes malades qui veulent en finir et chacun de ses appels nourrit mes convictions et ma révolte."
Jeanne-Françoise Hutin a été membre du comité d’éthique du CHU de Rennes. Elle estime que la future loi sur la fin de vie va introduire la possibilité de donner la mort aux personnes les plus fragiles. "Ce qui me heurte le plus, dit-elle, c’est qu’on puisse dire qu’on va donner la mort et présenter cela comme un soin, un geste de fraternité. Or c’est simplement arrêter la vie." Elle se dit prête à rendre la légion d'honneur qu'Emmanuel lui a remis, si le texte passe.
Ce qu'elles pensent du texte sur l'aide active à mourir
Le texte a été adopté il y a une semaine en commission spéciale, mais il a déjà connu d'importantes modifications.
Le texte initial imposait, par exemple, d'être atteint d'une "affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme", d'être majeur, apte à manifester sa volonté de manière libre et éclairée et de présenter une souffrance réfractaire aux traitements ou insupportable. Mais les députés ont supprimé la mention de "pronostic vital engagé à court ou moyen terme". L'aide à mourir serait désormais proposée à des patients atteints d'une "maladie en phase avancée ou terminale".
Pour Andrée Guillamet, la notion de moyen terme "risquait de laisser de côté un certain nombre de malades atteints de maladie dégénérative ou ayant des séquelles d’accident. Car il n'y a aucun critère pour définir précisément ce qu'est le moyen terme, souligne-t-elle. Si cet amendement est maintenu, ceux qui voudraient recourir à la fin de vie seraient soulagés."
Que l'aide à mourir soit proposée à des patients atteints d'une maladie en phase avancée ou terminale est le point le plus important
Andrée GuillametAssociation pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD 29)
Pour Jeanne-Françoise Hutin, la France discute pour savoir comment répondre à la souffrance de personnes fragilisées, or selon elle, cette réponse existe déjà : ce sont les soins palliatifs. "Ces personnes qui veulent mourir sont des personnes qui ont peur, qui ne se sentent plus utiles à la société, mais on a des solutions à offrir, autres que la mort, grâce aux soins palliatifs, affirme-t-elle. On peut atténuer la souffrance aujourd’hui."
Elle milite pour que les médecins généralistes proposent des soins palliatifs et un accompagnement moral à tout malade en souffrance.
L'autre modification apportée en commission prévoit de laisser le choix au patient entre l'euthanasie et le suicide assisté. Ce principe est très différent du texte initial, qui prévoyait uniquement le suicide assisté, sauf pour les malades n'étant plus en capacité de faire le geste eux-mêmes.
Pour Andrée Guillamet, l’euthanasie doit être un choix libre du patient. "Je voudrais que la personne qui a choisi de se donner la mort, puisse le faire par son propre geste, indique la déléguée finistérienne de l'ADMD. Toutefois, si elle est en incapacité de le faire, quelqu’un d’autre doit pouvoir le faire pour elle, je veux que les deux soient possibles."
Jeanne-Françoise Hutin craint que certaines personnes ne puissent pas refuser cette possibilité de mourir.
J'ai peur que des gens isolés, fragilisés, n'aient pas les moyens de dire non à cette proposition qui pourraient leur être faite, d’en finir.
Jeanne-Françoise Hutin
Un moment historique
Pour Andrée Guillamet, c’est un "moment historique" à ne pas rater, même s’il reste du travail, notamment sur les directives anticipées. Ce sont les instructions écrites par une personne sur les soins médicaux qu’elle souhaite ou ne souhaite pas recevoir si elle devient incapable de communiquer: "Il y a déjà eu beaucoup de rendez-vous qui n’ont jamais abouti, il faut respecter le choix du patient."
Aujourd’hui, elle attend beaucoup de ces débats à l’Assemblée nationale. "Je pense qu’il y a une majorité de parlementaires favorables. J’espère un peu plus que d’habitude, mais rien n’est fait".
Jeanne-Françoise Hutin explique qu’elle se situe sur le plan de l’humanisme quand elle parle de ce projet de loi et du fondement de notre civilisation. "Je suis catholique, rappelle-t-elle, mais ce n’est pas la religion, au départ, qui me guide, c’est l’amour de l’humanité, le respect de ces malades et cette foi qui m’anime, m’aide".
Quel calendrier pour le projet de loi sur l'aide active à mourir ?
Les échanges à l'Assemblée nationale ont débuté à 16 h ce 27 mai. L'examen du projet de loi sur la fin de vie doit durer deux semaines, jusqu'au 7 juin, avant un vote solennel prévu le 11 juin.
Le texte prendra ensuite la route du Sénat, où il pourrait être débattu à l'automne, nouvelle étape d'un long parcours législatif qui ne devrait pas conduire à une adoption définitive avant l'été 2025.