La littérature fait-elle toujours partie du quotidien des jeunes ? C'est la question que nous nous sommes posés à l'occasion de la 36ᵉ édition du prix Goncourt des lycéens et à une époque où les livres font face à la concurrence féroce des écrans, des jeux ou des séries.
Il est plus habituel de les voir avec un téléphone à la main plutôt qu'avec un livre. Les jeunes liraient-ils vraiment moins qu'avant ? Le mieux est de leur poser directement la question. Rencontré au hasard d'une rue de Rennes, Lylian, 16 ans, se confie aisément : "Si je passais un peu moins de temps devant la console, je pourrais le passer à lire, mais je vais lire les livres obligatoires mais pas forcément plus. Après, il y en a qui m'ont beaucoup plu mais je n'en ai pas beaucoup lu de ma propre initiative".
De son côté, Alban, 20 ans, reconnaît qu'il a une préférence pour "les mangas, vu que c'est bien impliqué dans la culture des jeunes, je suis à fond dedans ! Je lis beaucoup de mangas". Oumeyma, 16 ans, est plutôt adepte des BD : "Je trouve ça intéressant qu'il y ait des images en plus du texte".
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"Ils aiment beaucoup le réalisme"
Voilà un bon aperçu des préférences de la jeunesse. Si le livre en général, hors obligation scolaire, semble assez peu faire partie de leur quotidien, les BD et les mangas, restent des ouvrages qu'ils plébiscitent, avec certains genres littéraires. Ce que nous confirme une libraire, spécialisée jeunesse :
"Ils aiment beaucoup le réalisme. Ils veulent quelque chose qui leur parle, qui soit contemporain. Il y a des fans d'histoire, ça reste à la marge mais ce sont vraiment des fans. Et puis, tout ce qui est fantaisie plaît beaucoup, comme le manga et la BD", explique Amélie Raud, libraire de La Courte Échelle à Rennes.
Le Goncourt des lycéens, un déclic ?
Il y a des événements, comme le Goncourt des lycéens, avec beaucoup de romans à lire, des rencontres avec les écrivains, qui représentent une bonne incitation à entrer dans la littérature.
Parfois, un déclic pour certains. Ce voyage dans un univers autre que le sien, où l'on est en dehors de notre espace-temps, en dehors de notre cadre. On ne sait plus où on est. On est embarqués ailleurs. C'est ce voyage que fait régulièrement Deryn, 16 ans, élève au Lycée Pierre Mendès-France de Rennes : "Quand je lis, j'ai l'impression de vivre une autre vie, d'être dans un autre monde. On peut oublier qui l'on est, nos problèmes, et ça permet de s'échapper".
Certains enseignants peuvent aussi parfois jouer le rôle de déclencheur. C'est ce qui s'est passé pour Shaher, 16 ans, également élève au Lycée Pierre Mendès-France de Rennes : "Ma prof de français nous faisait lire beaucoup de livres. Je me suis vraiment motivé à tous les lire et c'est ça qui m'a vraiment donné envie de lire par la suite", témoigne-t-il.
Ce ne sont pas du tout des lecteurs comme les autres. D'abord, ce sont des lecteurs qui veulent savoir si ce qu'on écrit, c'est vrai, si ça correspond à quelque chose de réel. Il ne faut pas leur raconter que c'est une histoire qu'on a inventé, ça ne les intéresse pas. Ce qui les intéresse, ce sont des livres qui partent du cœur.
Antoine Sénanqueécrivain, auteur de "Croix de cendre"
Et ce lectorat adolescent peut se révéler assez inattendu pour les auteurs, comme l'exprime l'écrivain Antoine Sénanque, auteur de "Croix de cendre" : "Ce ne sont pas du tout des lecteurs comme les autres. D'abord, ce sont des lecteurs qui veulent savoir si ce qu'on écrit, c'est vrai, si ça correspond à quelque chose de réel. Il ne faut pas leur raconter que c'est une histoire qu'on a inventée, ça ne les intéresse pas. Ce qui les intéresse, ce sont des livres qui partent du cœur".
Des lecteurs, en quête d'authenticité donc, mais confrontés aujourd'hui à de nombreux dérivatifs. Car ils passent 3h14 en moyenne à lire par semaine, alors que les écrans les occupent 3h50...par jour. Lina, 14 ans, élève au lycée Dupuy de Lome à Brest, confirme : "Si on te demande de choisir entre le téléphone et un livre, tu vas prendre le téléphone, c'est sûr". Même son de cloche chez Enora, 15 ans, également élève au lycée Dupuy de Lome à Brest : "Moi je ne lis pas beaucoup. Je n'arrive à lire que l'été lorsqu'il n'y a plus de réseau".
"Sauter des pages, rendre la lecture plus libre"
Les profs le savent bien, la concurrence est rude, alors ils travaillent à trouver d'autres portes d'entrée et surtout à désacraliser la littérature. Caroline Derlyn le sait bien. Elle est professeure de français au lycée Pierre Mendès-France à Rennes : "Quand il y a des livres qui leur résistent, on en discute. On parle du thème, on lit des passages. Il y a plein de manières de rentrer dans un livre et parfois, je leur dis, si vous n'arrivez pas à rentrer, vous passez dix pages, quinze pages, vous reviendrez éventuellement...ou pas. Mais c'est aussi une manière de rendre la lecture plus libre".
La lecture, un exercice solitaire
Même en lisant de façon différente, quoi qu'il en soit, à partir de 13 ans, ils décrochent fréquemment du livre. Et ça n'a rien de nouveau : "On a toujours des périodes au niveau de l'adolescence où l'on va avoir des élèves qui vont lever le pied au niveau de la lecture parce qu'il faut être dans le groupe, il faut se socialiser et la lecture c'est quand même un exercice solitaire", rappelle Marc Lecoustre, professeur documentaliste au lycée Pierre Mendès-France de Rennes.
Ainsi, entre 13 et 19 ans, plus d'un garçon sur trois ne lit plus, pour le plaisir. C'est moins vrai pour les filles, à peine une sur cinq. Mais cette période ne dure pas, puisque selon cette même étude réalisée en 2022, ils sont toujours 77% entre 12 et 25 ans à lire, hors obligation scolaire.
Les jeunes restent donc une grande majorité de lecteurs. Quel que soit leur genre favori, littérature, BD mangas, le livre est loin d'avoir dit... son dernier mot !