Hommes, femmes, syndiqués: qui souffre de discrimination à PSA?

Chez PSA, la lutte contre les discriminations syndicales est ancrée depuis longtemps dans l'histoire de La Janais. Ce combat s'est ensuite prolongé vers des formes moins visibles d'inégalités, entre hommes et femmes notamment. Des discriminations plus diffuses mais non moins réelles.

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« Avant, la discrimination était frontale. Maintenant, elle est pernicieuse. » Noël Alix, peintre retoucheur et cégétiste, est incisif lorsque nous le rencontrons dans le local de la CGT à l'usine avec son secrétaire général, Michel Bourdon.
Noël Alix n'a pas toujours été syndiqué à la CGT. Lorsqu'il arrive à l'usine en 1982, il est seulement sympathisant. Pourtant, il se retrouve mis au placard. Ce n'est que 21 ans plus tard qu'il parvient à obtenir son poste actuel. Après une période de « chasse aux sorcières », il dit avoir été un véritable « paria ».

Michel Bourdon va dans le même sens. Celui-ci, tee-shirt du « Che » bien visible sous sa blouse de travail estime « qu'il y a toujours eu des discriminations dans les usines ». Rieur, il se souvient que vers 1995, PSA souhaitait embaucher en priorité les membres de la famille des salariés. Il présente alors la fiche de candidature de sa femme à son agent de secteur qui lui répond : « Ah, un loup dans la bergerie c'est trop ! » Il l'a déchirée et mise à la poubelle devant ses yeux. Son histoire, comme celle de Noël Alix, n'a malheureusement rien d'exceptionnel.

Pneus crevés, menaces : le prix d'un engagement


L'histoire des discriminations syndicales est tumultueuse. Aujourd'hui, elles n'ont plus rien à voir avec celles des années 90. Éric Berroche, élu communiste à la ville de Rennes et ancien délégué CGT de l'usine de la Barre Thomas, se souvient d'une véritable « répression » : Pneus crevés,  menaces, agressions, filatures jusqu'au domicile... « Tout le monde en avait conscience. » Mais personne ne faisait rien. « C'était le prix à payer de notre engagement », affirme-t-il. Comme la plupart, il savait ce qui l'attendait en adhérant à ce syndicat.

En 1995, à Sochaux, François Clerc va tout faire pour que ces pratiques cessent. Persuadé que les injustices subies par les syndicalistes peuvent être réparées, il décide de se battre. Ce technicien et syndicaliste est à l'origine du premier combat contre les discriminations. Très vite, il voit la carrière de ses copains évoluer, mais pas la sienne. Pour lui, aucun doute, il s'agit d'une discrimination syndicale.

Reste à le prouver. A plusieurs, ils réfléchissent jour et nuit, comparent leurs feuilles de paie et leur évolution de carrière par rapport à des collègues d'autres syndicats ou  non syndiqués. Ancienneté, âge, sexe, emploi... Tout est bon pour établir un panel de comparaison. La méthode doit mettre à la lumière du jour les écarts en coefficient, et en rémunération, pour permettre une indemnisation des préjudices.

Extrait du bonus 2, chapitre 1 : La méthode Clerc expliquée par son concepteur, François Clerc from .Mille et Une. Films on Vimeo.

Des différences de salaire allant jusqu'à un million de francs


François Clerc réussit à rassembler suffisamment de preuves pour porter l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris. Pour la CGT de l'époque, le fait est inédit, le milieu étant jugé bourgeois et l'instrument juridique considéré comme celui de l'ennemi de classe. La direction est condamnée et fait appel de cette décision. Peugeot Sochaux doit verser 118 millions de centimes de francs (soit 220 000 euros environ), après sa condamnation par la cour d'appel, en février 1998. Jean-Martin Folz était arrivé l'année précédente à la tête de PSA Peugeot Citroën. « Il comprend que l'image de l'usine est ternie », rapporte Éric Berroche. Le directeur accélère les négociations et un accord est signé avec les syndicats le 11 septembre 1998.

Pendant toute la durée de ces négociations, François Clerc est en contact avec les cégétistes de Rennes, notamment Michel Bourdon et  Joseph, dit « Jojo » Cussonneau. Ce dernier travaillait à la Barre Thomas aux côtés d’Éric Berroche. Ce « gars très efficace qui restait dans l'ombre », selon les mots de Michel Bourdon, décide de prendre les choses en main. Méthode Clerc à l'appui, il photocopie les bulletins de salaire et contacte un avocat. « Tous ceux qui ont eu un mandat syndical ont été convoqués », raconte Éric Berroche. « Jojo nous a montré qu'on pouvait gagner en faisant des dossiers. » Il apparaît alors des discriminations nettes et quantifiables, avec des différences de salaire allant de 15 000 à un million de francs (2800 à 190 000 euros).

Une méthode qui a fait jurisprudence


Forts de la victoire des « Sochaux », les 30 salariés de PSA-La Janais n'ont même pas besoin de se rendre devant les tribunaux. La direction préfère négocier à l'amiable, convaincue qu'elle perdrait devant la justice. Ils y étaient pourtant préparés. Les négociations conduisent à un accord appelé « transaction », signé le 1er mars 1999. Une somme totale de 815 000 francs (soit 124 400 euros) leur est versée.
Bruno Bertin, l'actuel directeur des ressources humaines, insiste sur la « politique de responsabilité sociale d'entreprise », et le « nombre incalculable d'accords », qui ont par la suite été mis en place. « On a eu un dialogue social qu'aucune autre entreprise n'a eu », ajoute-t-il fièrement.
Depuis la « méthode Clerc » a fait jurisprudence. Elle est utilisée, non seulement dans des cas de discriminations syndicales, mais aussi dans d'autres formes d'actions en justice.

L'évolution de carrière : L'inégalité moins visible


Dans les années 90, les discriminations étaient criantes. Aujourd'hui, elles seraient plus diffuses. « Au niveau des salaires, pas de problèmes », affirme la direction de La Janais. Mais c'est bien là que le bât blesse. En effet, si les inégalités salariales s'effacent, peut-on en dire autant des inégalités en général ?

Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate en droit du travail, spécialiste des discriminations (notamment homme/femme), travaille régulièrement en duo avec François Clerc. Lorsqu'on parle de discrimination, indique-t-elle, d'autres facteurs sont à prendre en compte, et notamment celui de l'évolution de carrière. Elle donne l'exemple suivant : « La différence de salaire entre un homme et une femme, à même poste et à temps plein, oscille entre 10 et 20 %. Le problème, c'est que ces femmes ne devraient pas être au poste où elles sont. Elles devraient être plus haut. D'où l'utilité de la méthode de François Clerc.  Lorsque l'évolution de carrière est prise en compte, la différence de salaire entre un homme et femme peut être de 40 %. » Les petites inégalités salariales ne seraient donc que la partie visible des discriminations.

Ce qui est certain, c'est que la direction a su tirer les leçons des années 90. « On a été assez pionniers en termes de méthodes de travail, sur les aspects rémunération, promotion, et sur les méthodes de gestion de carrières. Aujourd'hui, on a des situations à compétences égales, à niveaux équivalents. On n'a pas d'écarts de salaire sur le site », explique Bruno Bertin.
 

Trouver sa place en étant une femme noire


À part à la CGT, difficile de trouver des personnes qui acceptent de témoigner, même sous couvert d'anonymat. Antoinette Don Zinié, 45 ans, employée PSA depuis 2004, n'hésite pas à prendre la parole. Originaire de Côte d'Ivoire, elle arrive en France en 2000, titulaire d'un master 1 en droit. Des galères, elle en a connu, et pas des moindres.
Dès son arrivée à l'usine, elle dit faire face à des propos racistes de la part de sa hiérarchie directe. « Antoinette, je n'ai jamais travaillé avec des noirs, je ne sais pas comment ils fonctionnent, je n'ai pas vraiment confiance... », lui lâche-t-on lorsqu'elle demande une augmentation relative à son niveau d'études. Devant ces propos, elle dit « se sentir toute petite » et a le sentiment de « ne pas entrer dans le moule ».

Elle se retrouve à des postes difficiles, où surviennent les troubles musculo-squelettiques (TMS). Après six mois d'arrêt, la jeune femme se retrouve sans poste. Alors elle passe le balai à l'usine. De nouveau, on lui propose des emplois qui ne lui correspondent pas. Cette fois, ils ne respectent pas les prescriptions médicales. Elle adhère à la CGT en 2009, et garde le sourire. Pourtant, « je cumule les trois éléments qu'ils n'aiment pas... ». Elle est à la fois une femme, noire et cégétiste.

Contre ce genre de situations, une commission égalité/diversité a été mise en place en 2008. Une membre de cette commission, syndiquée CFDT estime que « les femmes seraient même plus favorisées que les hommes ». Par ailleurs, poursuit-elle, « les rapports de situation comparée, mis en place par la direction, permettent de mieux évaluer les potentiels écarts ».

 

Accords et labels, les efforts de la direction


La direction est d'ailleurs fière aujourd'hui du taux de femmes qui travaillent à PSA-La Janais : Environ 19 %. « Pendant longtemps on pouvait dire qu'on était la première usine du groupe en termes de féminisation », expose Bruno Bertin, dans un discours bien rodé.
« On a été la première entreprise à être reconnue avec un label égalité homme/femme par le ministère. L'équipe de direction est composée de 25 % de femmes. Le directeur qualité en est une. » Conscient qu'une femme pour cinq hommes, c'est encore trop peu, il estime que c'est déjà « beaucoup pour le secteur industriel automobile ».

En termes de discriminations raciales, il semblerait que PSA-La Janais n'ait aujourd'hui rien à se reprocher. Éric Berroche tempère en rappelant que « jusque dans les années 80/90, on ne recrutait à La Janais que des gens d'origine française. La main d’œuvre étrangère était vouée à travailler en région parisienne. C'était fléché comme ça et ils ne s'en cachaient pas. C'était assumé. Il n'y avait qu'un étranger à la Barre Thomas et c'était un Belge je crois ».
La direction n'aurait jamais nourri de discrimination raciale. Aujourd'hui, les propos racistes sont sanctionnés et la diversité encouragée. D'ailleurs, il n'y a pas plus de discriminations liées au handicap. Sur le site de Rennes, selon Bruno Bertin, « le taux de travailleurs handicapés est de 11 % », tandis que le quota minimum imposé par la loi est lui, de  6 %.

Impact des années 90 oblige, la direction porte une attention toute particulière aux discriminations syndicales. « Deux fois par an, nous faisons le point avec des organismes syndicaux sur la rémunération, pour savoir s'il y a discrimination. Ces réunions nous permettent d'être mis en alerte. Le climat social est bon aujourd'hui », conclut-il.

Qu'en est-il réellement de ces discriminations aujourd'hui ? Si Michel Bourdon répond sans hésiter qu'elles perdurent, mais pas sous forme salariale, son potentiel successeur, Mickaël Gallais, est plus modéré : « Théoriquement, il n'y en a pas. Pour vérifier, il faudrait regarder les fiches de paie de tout le monde... » Sauf que les écarts de salaire ne sont pas la seule conséquence d'une inégalité de traitement.

Ce qui est certain, c'est que PSA-La Janais accumule les labels et les accords, n'hésitant pas à toujours redorer un peu plus son blason. L'histoire syndicale tourmentée conduit la direction à être très prudente avec les instances du personnel sur ces questions. Les années 2000 ont vu émerger de nouvelles institutions et projets de loi, pour répondre à des formes de plus en plus visibles de discriminations : Origine ethnique, religion, sexe, orientation sexuelle.
Quoi qu'il en soit, force est de reconnaître qu'il y a eu peu d'affaires PSA portées aux prud'hommes de Rennes ces dernières années : Seulement une dizaine depuis 2002, et aucune femme. Pour un groupe de cette taille, c'est comme une goutte d'eau, mais peut-on savoir si tout le monde ose-t-il aller au bout de ses plaintes ? Difficile de répondre avec certitude à cette interrogation.

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