Sur la béquille dans un vieux hangar près de Rennes, une centaine de vieilles mobs attendent que Chris Gilbert se penche à leur chevet. L'ancien cadre de l'agro-alimentaire a changé de vie il y a 13 ans pour revenir à ses amours de jeunesse. Le mécano breton répare en moyenne un engin tous les jours. Pour le grand bonheur de ses clients.
Dans leur jus à l’étage, en attendant leur tour, une demi-douzaine de solex contemplent la scène, et elle vaut le coup d’œil. En bas, au beau milieu de son atelier d'époque, Christophe Gilbert est aux fourneaux.
"Pour enlever toutes les impuretés, je mets le carburateur au bac à ultrasons. 30 min à 60°, c’est de la cuisson… "
Ancien cadre de l’agroalimentaire
Sur la béquille, la patiente n’est plus à demi-heure près, elle attend depuis 20 ans. Christophe est à son chevet depuis la veille. C’est une vieille dame, une Motobécane 40T des années 70, plus trop bien sûre d’avoir déjà touché le bitume au 21e siècle.
Le diagnostic est sans appel. À refaire, il y a au moins le haut moteur, l’allumage, et les câbles, "Il y aurait aussi les pneus, et le kit chaîne à changer puisque la couronne est fatiguée, mais c’est le client qui décide. Je fais ce qu’on me demande…"
Christophe Gilbert, 56 ans, a monté sa petite entreprise il y a 13 ans. Dans sa vie d’avant, il était gérant dans une entreprise d’agroalimentaire.
Un jour, après 25 ans de service, il s’est fait licencier. Comme la vie de bureau ne voulait plus de lui, la réciproque est devenue vraie. Pour se remettre en selle, il a choisi de revenir à ses amours de jeunesse : les mobylettes.
Marqué par la mob de sa mère, et son premier 103
"Ma première mob, j'avais 8 ans", dit-il. "C’était celle de ma mère, elle allait travailler avec. Et moi j’étais gamin, je montais dessus, j’étais heureux".
A 14 ans, mes parents m’ont offert un 103 SP, j’ai encore la photo, j’étais fier. Ils m’avaient dit: "si tu veux la rendre plus jolie, voire même qu’elle aille plus vite, tu te débrouilles !" Alors j’ai été voir le concessionnaire qui avait vendu la bécane, et jusqu’à mes 19 ans pendant mes week-ends, mes vacances, il m’a appris la mécanique.
Christophe GilbertRéparateur de mobylettes
"Quand j’ai perdu mon boulot, je me suis dit, fini le bureau ! Pourquoi ne pas devenir réparateur de mobylettes ? J’ai monté "Breiz solex and mob". Mais comme je n’étais sûr de rien, j’ai fait en parallèle une formation de plombier chauffagiste. J’ai cumulé les deux. C’était beaucoup. Et un jour, j’ai fini par trancher. Maintenant, je ne fais que ça…"
En France, une poignée de réparateurs de pétrolettes...
Désormais, Christophe a même deux salariés. Il faut dire qu'hormis la demi-douzaine de Solex alignés au-dessus de l’atelier, une centaine d’autres machines patientent aussi en salle d‘attente dans un hangar à proximité.
Il y a là pas mal de 103, de Motobécane, et de Solex encore. Le plus vieux spécimen est une Peugeot BB des années 60.
"En France, on n’est plus qu’une poignée à réparer des pétrolettes", souligne le mécano breton. "Il y en a un sur Bordeaux, un autre dans l’Est je crois. Les clients en revanche, il y en a un peu partout…"
"Un client irlandais m'a envoyé sa mobylette par bateau"
Les clients n’ont pas de profil type. Il y a des jeunes, des anciens, parfois même des grands-pères qui ont enfin le temps de jeter un œil dans le rétro et qui souhaitent restaurer leurs machines. Mais il y a aussi des quadras un peu nostalgiques d'une époque qu'ils n'ont pas forcément connue.
Chez Christophe, on passe entre midi et deux, le soir, le week-end. Chercher une pièce avec laquelle on bricolera soi-même. Ou bien récupérer l’engin que le mécano a bien voulu ressusciter.
Parfois, il est même contacté de l'étranger. "J’ai eu un client irlandais qui m’a expédié sa mob par bateau, j'ai réparé, j'ai renvoyé."
Chaque mobylette a une histoire, sociale ou familiale
"Ce qui est gratifiant", explique Christophe, "c'est le sourire des gens quand ils la récupèrent. C’est un bonheur que l'on partage parce qu’on fait revivre des engins qui n’ont pas roulé depuis 20, 30, ou 40 ans. Et puis, il y a l'histoire".
Chaque engin a une histoire, celle du grand-père, du papa, du frangin. Dans les années 60/70, ces mobylettes-là étaient aussi souvent celles des ouvriers qui allaient au travail. C’est un peu de notre histoire sociale. A l’époque, c’était utilitaire, aujourd’hui, avec la mode vintage, c’est devenu un loisir, mais c’est génial de pouvoir préserver tout cela.
Christophe GilbertRéparateur de mobylettes
Combien çà coûte ?
En fonction de l’état de l’engin, le budget de la réparation peut osciller entre une centaine et un millier d’euros. Voire beaucoup plus, s’il faut tout refaire de A à Z, la peinture d’origine, les chromes etc.
Pour la disponibilité des pièces. Christophe n’est pas inquiet. "Elles sont toujours fabriquées, C’est plus ou moins de bonne qualité, mais quand on s’y connaît, on trouve. Et on va encore pouvoir bosser sérieusement pendant quelques années.". Le mécano breton s’est même doté d’un site internet où les bricoleurs amateurs viennent trouver leur bonheur.
Toujours vérifier que le travail tient la route
Redonner vie à une mob en sursis ne prend parfois qu'une heure ou deux, mais parfois plusieurs jours, ça dépend. Et puis arrive toujours le moment délicieux, l'essai grandeur nature pour vérifier que le travail tient la route.
Dans la campagne de Domloup, plein gaz à 30 à l'heure pour ne pas brusquer la vieille dame, Christophe Gilbert aime savourer l'instant.
"On avance à son rythme. On fait un grand bond en arrière. C'était une époque où l'on savait prendre un peu plus son temps. Il y a de la nostalgie et c'est une bouffée de liberté.".
Pour rien au monde, le mécano ne retournerait dans un bureau. Sans avoir besoin de regarder dans le rétro, Christophe Gilbert a un peu 14 ans tous les jours. Beau métier.