C’est le seul centre éducatif fermé de Bretagne. Il a ouvert au milieu des champs, en lieu et place d'une ancienne ferme rénovée. C'était en janvier 2007. Depuis, il a accueilli des centaines de mineurs. Des jeunes délinquants pour qui ce centre est la dernière case avant la prison.
8h30, les 10 garçons sont présents au centre éducatif fermé (CEF) de Gévezé en Ille-et-Vilaine. Ils se retrouvent autour d'un baby-foot, d'une table de ping-pong. Ils viennent de nettoyer les locaux et s'apprêtent à regagner leurs activités. Car entre leur réveil à 8 h et l'extinction des feux à 22 h 30, les mineurs placés dans le CEF ont des journées bien rythmées.
L'un va quitter le centre pour la journée, il vient de commencer un stage chez un carrossier des environs. Un autre a un rendez-vous avec le juge. Ceux qui restent, vont partager leur temps, entre le sport, l'horticulture, la menuiserie et l'école. Cette semaine-là, l'unique enseignante est absente, les cours ne pourront pas être assurés.
Jules* a 14 ans, il est pris en charge par l'artothérapeute qui intervient depuis peu dans le centre. Il ne voulait pas y aller. Il est au centre depuis un mois et demi, après avoir passé quelques jours dans l'établissement pénitentiaire pour mineurs d’Orvault. C'est le plus petit du groupe et a du mal à gérer les contraintes.
Ici, on ne fait pas tout ce qu’on veut. Ca, j’ai du mal un peu. La sortie pour moi, c’est dans longtemps.
Il lui reste 4 mois et demi.
En effet, les règles sont strictes ici. Pas de déplacement sans la surveillance d’un adulte, pas de téléphone portable, des activités obligatoires, des cours du lundi au vendredi. Plusieurs caméras sont également ouvertes sur les couloirs et l'extérieur du bâtiment. Une vidéosurveillance qui marque, autant que les hautes grilles qui entourent le centre.
Des enfances chaotiques
Presque tous sortent d’une enfance chaotique, avec des troubles psychiques, des addictions, des parents absents ou débordés. Ils ont plusieurs actes de délinquance graves à leur actif : vols, trafics de stupéfiants, viols ou agressions sexuelles, violences.
Ce sont des enfants qui depuis leur plus jeune âge n’ont pas eu forcément le cadre nécessaire pour accepter les règles de la société, les règles pour vivre en collectivité. Ces jeunes arrivent à l’âge de 14, 15, 16 ans et ne supportent pas le cadre imposé ici. Notre travail est justement de reprendre ces bases. Parfois ça passe par des crises et des situations de violence.
Plusieurs fois par jour, le ton monte. Cette fois, la dispute concerne une éducatrice et un jeune. L’éducatrice estime qu'il lui a manqué de respect, le jeune ne comprend pas : "Je t'ai dit 'ferme ta gueule', c'est tout. Est-ce que c’est une insulte ça?". Le jeune devra s'excuser.
Lui s'isole du groupe quand il le peut. On l'appellera Pablo, il a 16 ans. Il nous ouvre sa chambre. A l’intérieur, le strict minimum, un lit, une table, une chaise, une étagère et son lecteur MP3. Une fenêtre aussi sans barreau. "Quand j’étais petit, dit-il, je m’imaginais faire des études, travailler, faire ma vie bien. Et à un moment je me suis dit que je voulais de l’argent".
Une vie de petit délinquant qui commence à l'adolescence
Pablo* a commencé une vie de petit délinquant, il avait 14 ans. Il a quitté sa famille et a été placé en foyer. "Je me suis fait influencer par des potes, continue-t-il, ils me disaient 'allez viens on va faire de l’argent' et moi j’ai jamais pu dire non à un truc d’argent". Il a fini au CEF. Depuis, il rêve de percer dans la musique, mais va commencer une formation en maçonnerie.
Des éducateurs, une infirmière et un psychologue accompagnent les 10 ados tous les jours. Près de 30 personnes travaillent au Centre éducatif fermé. Des intervenants extérieurs sont aussi là pour les accompagner. C'est le cas d'un chargé d'orientation de la Mission locale.
Car c’est un autre objectif du séjour de ces jeunes au centre : construire un projet professionnel. Riwan* revient d'un stage. L'occasion de faire le point. Les retours de son maître de stage dans une entreprise de menuiserie sont très encourageants. Mais il se voit poursuivre dans la restauration ou dans un bar. "Ce n'est pas la meilleure idée qui soit peut-être, tu as un souci avec l'alcool" lui rappelle le conseiller en orientation.
La dernière chance avant la prison
Riwan a incendié plusieurs bâtiments sous l'emprise de l'alcool. Il faudra trouver une autre voie. Il n'a jamais arrêté l’école, mais a connu un parcours chaotique. Il a été confié à l'Aide sociale à l'enfance après "quelques conneries", dit-il. Puis, il a commencé un apprentissage pendant cinq mois, mais a été renvoyé. Ensuite, il a passé 17 jours au foyer de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Il a commis de ne nouveaux délits, a été déféré devant un juge qui l'a placé au CEF pour une durée de six mois, renouvelable une fois.
Lors du tournage de ce reportage, Riwan attendait son jugement. L'occasion de faire le point de manière totalement informelle avec le directeur du CEF dans la grande cour du Centre. Ce dernier lui demande ce qu'il va dire au juge: " Je vais dire que ça se passe bien ici, à part que j’ai du mal à gérer ma frustration". Le directeur l'encourage : "c’est bien déjà de le dire. Je me souviens de vous quand vous êtes arrivés, vous étiez fermé. Vous ne parliez pas, vous étiez toujours la tête basse. Quand vous parliez, vous ne nous regardiez jamais. Aujourd’hui j’apprécie qu’on se regarde les yeux dans les yeux, ça prouve quand même qu’il y a quelque chose qui s’est passé". Le jeune de 17 ans sourit et lâche un "bah parce que j’ai compris". Il est mis en cause dans 14 délits.
Amir aussi dit avoir grandi pendant son séjour. Il a déjà passé 5 semaines en prison et presque 6 mois au Centre éducatif fermé.
Je ne pense pas être quelqu'un de mauvais. Je ne suis pas un voyou, j'ai fait de la merde, mais je ne suis pas quelqu'un de mauvais
A sa sortie, il aura presque 18 ans. En cas de nouveau délit, ce sera la prison.
Difficile de connaître les taux de récidive de ces jeunes après leur séjour. Trop peu d’études existent. Selon la dernière, elle date d’il y a 10 ans, 70% de ces jeunes ne récidivent pas dans l’année qui suit leur séjour.
Aujourd'hui en France, 600 mineurs sont placés en centre éducatif fermé, 850 en prison.
*prénoms d'emprunt