Rennes. Pour les policiers, "les stups, c’est le terreau de toutes les violences "

Dans le hall d'un immeuble, des habitants du quartier Brequigny à Rennes ont découvert des menaces :"Pour toute coopération avec la police, des représaille seront faite". À quelques heures de la visite du 1er Ministre venu parler sécurité, les policiers y voient le signe que la situation se dégrade.

Au marqueur noir, sur la porte, les lettres se veulent menaçantes : " Pour toute coopération avec la police, des représaille seront faite. On sait tout. La coopération c’est donner des info, ouvrir sa porte au policier, on sait c’est quel fenêtre grace au photo. Pour toute coopération, c’est REPRESAILLES !!!"

Frédéric Gallet, secrétaire départemental du syndicat Alliance Police Nationale n’en revient pas. Ce message c’est de l’intimidation pure. "Avec ces mots, ils disent aux habitants : c’est nous qui faisons régner l’ordre, ce sont nos lois, nos règles, nous sommes chez nous !"

"C’est une délinquance sans foi, ni loi, elle se permet même de menacer" renchérit David Leveau, secrétaire régional du syndicat SGP police.

 

Des menaces pour nous empêcher de travailler


La semaine dernière, les policiers ont mené une opération dans le quartier, saisi de la drogue, interpellé des dealers.  

"Ils ont compris que les forces de l’ordre avaient été introduites dans l’immeuble, ils ont décidé de mettre un gros coup de pression sur les habitants. Mais nous, explique David Leveau, nous, on a besoin d’informateurs, ça marche comme ça depuis la nuit des temps. Si les gens ont peur de nous parler, on ne pourra plus rien faire."

"Pour faire tomber un réseau et que ça tienne devant un juge précise Frédéric Gallet, il faut interpeller des acheteurs, les vendeurs. Là, vous avez le trafic, mais la justice a aussi besoin d’éléments matériels, des photos, des vidéos. Il faut planquer, surveiller pendant des heures. Parfois, les habitants nous ouvraient leurs portes pour qu’on puisse voir sans être vus. Là, c’est clair, ils ne le feront plus !"

En réponse, une opération de Police a été menée. 


Des chiffres en hausse


Les deux policiers font le même constat. Dans les rues de Rennes, la situation s’aggrave. Selon l’Observatoire de la délinquance de Rennes, en 2019, 813 affaires de stupéfiants avaient été relevées. En 2020, 1030, + 26 %. Les saisies de drogue opérées par les policiers ont grimpé de 107% en un an.  

Dans le département d’Ille-et-Vilaine, en 2010, policiers et gendarmes s’étaient occupés de 1 352 affaires de stupéfiants. En 2020, ils en ont traité 2 341.

La tendance est nationale. Le Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) note qu’en 2007, en France, 37 tonnes de cannabis avaient été saisies. Dix ans plus tard, les forces de l’ordre en avaient confisqué 87 tonnes. Pour la cocaïne, entre 2007 et 2017, les saisies sont passées de 6,5 à 17,5 tonnes.

"C’est la loi de l’offre et de la demande" commente Frédéric Gallet. "Tant qu’il y a des clients, il y a et il y aura des vendeurs."

Pour lui, tout a commencé à basculer quand le TGV a mis moins de deux heures pour faire Paris-Rennes. "Aujourd’hui, on est à 1h20… je vous dis pas, lâche-t-il. C’est tellement facile. Le dealer qui s’est fait un peu repéré dans la capitale, il charge son sac à dos, et voilà."


C’est facile et ça rapporte gros


"Sur Rennes, analyse le secrétaire départemental Alliance, il y a 15 points de deal très structurés et qui vendent très bien, mais il y a aussi des ventes en appartement et des gens qui se font livrer. Ca dépend de ce que vous cherchez, raille- t-il, au pied des tours, c’est moins cher !"

Il constate aussi que la cocaïne s’est "démocratisée". "Avec 50 euros, vous avez votre gramme. Avant c’était plus cher, plus rare, c’était réservé à une petite partie de la population."

"Nos collègues font des saisies toutes les semaines confirme David Leveau. "Mais ça continue. Sans cesse."

 

L’origine de la violence

 

"La drogue, c’est un fléau en soi, il n’y a qu’à voir dans les hôpitaux psychiatriques, ils ont de plus en plus de jeunes qui ont des gros soucis à cause de cette saloperie" poursuit Frédéric Gallet.

Mais en plus, on voit tous les jours, que  si il y a des stups, il y a de l’argent. Si il y a de l’argent, il y a des armes et si il y a des armes, il y a des violences.

Frédéric Gallet, secrétaire départemental du syndicat Alliance

"Aujourd’hui, témoigne aussi le représentant de SGP police, il y a des jeunes gens pour qui mettre un coup de couteau pour un coin de deal, c’est tout à fait normal. Ils n’ont plus aucun cadre du bien et du mal."

Le procureur de la République rapporte que la ville de Rennes a connu dix règlements de comptes en lien avec des trafics de stupéfiants en 2020, contre 2 en 2018 et 4 en 2019.

Le 17 mars, à Cleunay, un jeune homme a reçu une balle dans la tête. En juin 2020, un appartement de Maurepas avait essuyé des tirs. David Leveau n’hésite plus à parler de "Guerre des territoires, comme dans les séries américaines."

 

Une priorité


La lutte contre la drogue est la priorité numéro 1 du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, indique-t-on à Matignon. "Tout en découle, l’insécurité, la misère."

En déplacement à Rennes, ce vendredi 1er octobre, le Premier Ministre et le ministre de l’Intérieur vont faire le point sur les actions à mener. "Il faut recenser les points des deals pour les faire tomber. " L’ office anti-stupéfiants créé en 2020 vise à défaire les réseaux.

 

Des renforts bienvenus


40 policiers supplémentaires ont été nommés à Rennes, 36 sont même déjà arrivés, et 40 policiers municipaux vont être ou sont recrutés. Dans le cadre de sa Stratégie Territoriale de Sécurité et de Prévention de la Délinquance à Rennes 2021 - 2026, Rennes va également développer la vidéoprotection.

Le premier ministre doit dresser un bilan des amendes contre les consommateurs de drogue. Expérimenté à Rennes depuis juin 2020, le dispositif a été élargi à tout le territoire.

En un an, 104 000 infractions ont été dressées par les forces de l’ordre. Rennes devrait rester la référence pour cette nouvelle sanction.

Frédéric Gallet et David Leveau aimeraient croire que les choses vont s’améliorer rapidement. Mais il y a quelques jours, le procureur de la république a annoncé qu’il allait interdire aux trafiquants interpellés de revenir sur les zones de vente. "On les a revus le lendemain. On leur dit quoi ? recommencez pas sinon c’est la fessée ?" demandent -t-ils.

 

Une réponse pénale insuffisante ?

 

"Un trafic de stupéfiant simple, normalement c’est 5 ans de prison, 75 000 euros lance Frédéric Gallet, si la drogue a été vendue à des mineurs, ça peut monter à 10 ans de réclusion. Vous avez déjà entendu parler de quelqu’un qui aurait pris ça ? interroge-t-il. Même la moitié ?"

"Il y a une telle différence entre la peine risquée, la peine prononcée et celle effectuée, qu’ils sont morts de rire ! Et je ne vous parle pas de remises de peine ajoute-t-il. Cela ne sert à rien de prononcer des peines qui ne sont pas exécutées."

On les prend, ils ressortent, on les prend, ils ressortent.

David Leveau, secrétaire régional SGP Police

"Pour eux, c’est comme un jeu s’énerve David Leveau, et quand ils ont fait 2 ou 3 mois de prison, de zonzon comme ils disent, ils rentrent dans les quartiers et on les regarde comme des caïds."

Le syndicat Alliance avait exigé la création d’un "Observatoire de la réponse pénale". "Il faut que les sanctions soient plus dissuasives, conclut son secrétaire départemental, et il faut qu’il y ait des places en prison. Sinon, concluent-ils, tout ça, tous nos efforts, toutes les mesures, ne serviront à rien !"

Les deux policiers attendent, inquiets, la tenue des Assises de la Justice.  

 

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