Le film "Les Algues vertes" de Pierre Jolivet, avec Céline Salette, inspiré de la bande dessinée d'Inès Léraud, "Algues vertes, l'Histoire interdite" sortira en salle le 12 juillet. Un film actuellement présenté en avant-première dans les salles bretonnes. Rencontre avec le réalisateur Pierre Jolivet à l'occasion de la projection du film à l'Arvor à Rennes.
Le film de Pierre Jolivet, "Les Algues vertes" avec Céline Salette sort en salle le 12 juillet prochain. Un film qui s'inspire de la bande dessinée et de l'enquête de la journaliste Inès Léraud : "Algues vertes, l'Histoire interdite".
Avant la sortie nationale, le film est présenté en avant-première dans de nombreux cinémas en Bretagne. Nous avons profité de la projection à l'Arvor à Rennes, pour rencontrer son réalisateur.
Une interview réalisée par Lara Dolan.
Le film retrace, comme la bande dessinée, l'enquête d'Inès Léraud sur les algues vertes, et sur l'agro-industrie en Bretagne. Vous connaissiez cette histoire ?
Très, très peu. En fait, c'est à la lecture de la bande dessinée que mes producteurs m’ont proposé de lire... Et j’ai été foudroyé par les informations que j’ai découvertes. Je me suis dit : "Mais c’est un truc incroyable !" Et tout de suite mes producteurs m’ont dit : "pourquoi tu n’en fais pas un film ?" Mais je ne savais pas trop quel film faire avec la bande dessinée qui est très riche, très factuelle. Il manquait un héros, en tout cas une héroïne. Et c’est là que j’ai eu l’idée de demander à Inès Léraud de me raconter les trois ans de combat qu’elle a menés pour parvenir à avoir toutes ces informations et à faire ce livre.
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Votre film retrace en effet les trois années d'enquête menées par la journaliste Inès Léraud, incarnée par Céline Salette. Est-ce que votre objectif était de raconter son histoire, celle d'une journalise lanceuse d'alerte ?
Je crois que les lanceurs d’alerte, ou les lanceuses d’alerte, sont les héros modernes. Ce sont eux qui mettent le doigt sur les sujets vraiment importants et dont toute la société va s’emparer après pour réfléchir. Et la vie d’une journaliste pigiste de terrain, ce n'est pas une vie confortable. C’est une vie d’engagement. C’est une vie difficile. C’est une vie parfois dangereuse et on ne s'en rend pas toujours compte. On voit les journalistes à la télé, ça a l’air facile, mais non. Moi, j'ai voulu montrer à quel point cette femme sur le terrain avait des difficultés et faisait des choix de vie compliqués. Parce qu’il y avait des morts, parce qu’il y avait une enquête, parce qu’il y avait des suspects… Quelque part, c'est comme un thriller. Et elle a mené ça d’une façon incroyable, mais sans moyens.
Inès Léraud est coscénariste du film, quel rôle a-t-elle joué ?
Inès souhaitait rester discrète, mais je l’ai convaincue qu’on pouvait raconter ensemble quelque chose qui aille au-delà du simple documentaire ou des faits, mais qu'on pouvait raconter véritablement une histoire humaine. Il n’y a pas qu'Inès dans le film, il y a les autres lanceurs d’alerte. Il y a les victimes. Je crois que les algues vertes, c'est une abstraction. C’est un scandale écologique, mais il faut se rendre compte que derrière, il y a des gens, des gens qui sont morts, des gens qui enquêtent, il y a des familles qui n’ont pas pu faire le deuil, parce que jamais, on ne leur a dit bien sûr : "votre mari ou votre frère est mort à cause des algues vertes..." Il faut qu’on en parle. C’est un deuil qui a été très dur à faire parce que personne ne les a reçus jusqu’à aujourd’hui. Personne n’a admis qu’ils étaient morts, des algues vertes.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Le tournage a été compliqué parce qu'il y a un vrai schisme. Il y a ceux qui sont pour que je parle des algues vertes, qui pensent que c’est un scandale et qui m’ont aidé d’une façon formidable, et ceux qui ne veulent pas qu’on en parle. Et alors là, la porte s'est claquée beaucoup de fois. Par exemple, j’ai dû tourner le film entièrement à l’épaule parce qu’il y a plein d’endroits où je n’ai pas eu le droit de tourner du tout. Donc la préfecture m’a signifié que je pouvais avoir le droit d’usage. C'est comme ça que ça s’appelle. Vous avez le droit de tourner où vous voulez à partir du moment où vous ne mettez pas de désordre à l’ordre public, et donc on a tourné partout où on voulait, mais à l'épaule.
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Est-ce que vous avez pu rencontrer des agriculteurs avant, ou pendant le tournage ou même au moment des avant-premières ?
On a rencontré beaucoup d’agriculteurs, mais surtout, c'est Inès qui m’en a fait rencontrer et qui a fait un vrai travail. Je crois que les Bretons vont être surpris en regardant le film parce qu’il n’est pas du tout manichéen. Il n’y a pas d’un côté les méchants agriculteurs et de l’autre, les gentils écologistes, c’est ça qui m’a passionné dans ce film ! C'est que tout ça est très complexe. Il y a beaucoup d’agriculteurs qui sont pris en otage par le système et qui en souffrent. Et il y a ceux qui souffrent des algues vertes tout simplement. Il y a la Bretagne qui souffre et en même temps, elle reste incroyablement belle, puisque par exemple le film le raconte, Inès s’est installée pour vivre en Bretagne. Elle est tombée amoureuse de la Bretagne en même temps qu’elle voulait dénoncer ce scandale.
Vous avez tenu à rester fidèle à la bande dessinée ?
Je suis fidèle aux informations de la bande dessinée, mais je raconte véritablement une histoire. Une histoire dramatique, une histoire haletante, j’espère. Avec une enquête et avec des bascules, des informations qui nous arrivent, et auxquelles on ne s’attendait pas. Il y a quelque chose de très cinématographique dans la vie d’Inès Léraud pendant trois ans. C’est ça que j’ai essayé de traduire sur grand écran, parce que la Bretagne, ça mérite le grand écran.
Vous venez présenter le film d’abord en Bretagne, c'était une évidence ?
Oui, c'est une évidence. Inès vit ici, on a travaillé ici, on a fait le film, ici. Ça parle de la Bretagne et c’était bien normal que ce soit la Bretagne, et les Bretons en premier, qui découvrent ce film. Et l’accueil qu’on a est tellement incroyable que je me dis, qu’on a eu bien raison d’être fidèle à l’idée qu’on se faisait de ce que devait être le film. Au niveau de la démarche éthique, politique...
L'accueil est d’une grande chaleur, avec des salles complètes qui restent jusqu’au bout du débat, avec beaucoup d’émotion...
Est-ce que les projections donnent lieu aussi à des débats ?
On ne peut pas dire qu’on ait eu des débats contradictoires dans les salles, mais on discute beaucoup. Tout le monde a envie d’en parler. Tout le monde a envie de parler de son expérience, raconter à quel point c’est une souffrance, à quel point il y a une sorte d’omerta autour de ce sujet, à l’intérieur des conseils municipaux, à l’intérieur de l’administration en général. C’est très compliqué, parce qu’il y a ceux qui veulent qu’on en parle, et ceux qui ne veulent pas qu’on en parle. Et tout ça crée une tension invisible qui est assez forte.
C'est important pour vous de présenter ainsi le film avant la sortie nationale ?
Il y a une énorme demande sur la Bretagne. C’est très émouvant, et c’est d’autant plus émouvant pour Inès Léraud. Parce qu’elle est partie toute seule au départ sur ce sujet, avec André Ollivro bien-sûr, qui avait fait son livre sur les algues vertes. Mais elle a vraiment fait ce travail petit à petit et quand elle arrive dans une salle de 300 places, complète, et que son histoire se raconte sur l’écran et que le problème des algues vertes est posé sur la table, visible par tous... Forcément, c’est une grande émotion.
Pour info : Les prochaines avant-premières en Bretagne
- Vendredi 9 juin, à Concarneau (29) avec des membres d'Eau et Rivières de Bretagne
- Samedi 10 juin à Châteaubourg (35) à l'Étoile cinéma
- Mercredi 14 juin, à Guingamp (22), au cinéma Les Korrigans
- Jeudi 15 juin, 20h, au cinéma Les Studios, à Brest (29), en présence de Pierre Jolivet
- Samedi 17 juin à Cesson-Sévigné au cinéma le Sévigné
- Mardi 27 juin, à Nantes, au cinéma Katorza, en présence de Pierre Jolivet
- Lundi 3 juillet, à Sarzeau, au cinéma L'Hermine
Inès Léraud est allée plus loin que tous les autres journalistes ?
Il y a cette phrase formidable, du journaliste de France Inter, Daniel Mermet, qui dit : "le journaliste local, il sait tout, mais il ne peut pas dire grand-chose, et le journaliste national, lui, peut tout dire, mais il ne sait pas grand-chose". Et véritablement le travail d’Inès, ça a été de lier ça, à travers le travail de Morgan Large par exemple, à travers le travail de beaucoup de journalistes bretons. De lier le national et le local, et de tout savoir.
Mais la série d'enquêtes d'Inès a été arrêtée ?
La série s’est arrêtée pour des raisons, que peut-être Inès développera. Elle est allée au bout du bout, au bout d’un discours et il se trouve que son média a stoppé la série. On n'a jamais trop su pourquoi, c’était un peu flou. On ne dit pas : "on arrête pour telle raison". Mais à un moment, sa parole a été confisquée et je crois que pour elle, ça a été un séisme.