La cour d'appel de Rennes a finalement innocenté ce mardi 13 décembre 2022 l'habitant de Corps-Nuds (Ille-et-Vilaine) qui avait été accusé d'avoir braqué le guichet de La Poste de la commune le 13 mai 2022.
La cour d'appel de Rennes a finalement innocenté ce mardi 13 décembre 2022 l'habitant de Corps-Nuds (Ille-et-Vilaine) qui avait été accusé d'avoir braqué le guichet de La Poste de la commune le 13 mai 2022.
Pour rappel, un braquage avait eu lieu peu après l'ouverture de la banque, le 13 mai 2022 : un individu "habillé en noir" et "porteur d'un sac à dos" était entré dans le bureau de poste, vers 9h45. Il avait alors montré "un revolver" à la guichetière, en lui demandant de "mettre l'argent de la caisse dans le sac". En tout, les faits avaient duré "moins d'une minute".
Ensuite, de nombreux gendarmes avaient été dépêchés sur place afin de rechercher l'auteur du braquage, dans cette commune de 3 200 habitants. "La commune a été secouée, il y a eu des survols d'hélicoptère", avait rappelé la procureure de la République lors du procès en première instance devant le tribunal correctionnel de Rennes le jeudi 25 août 2022.
M.X - cuisinier noir de 30 ans et habitant de Corps-Nuds "depuis septembre ou octobre 2020" - avait finalement été placé en détention provisoire le 24 juin 2022 pour cette "extorsion avec arme", avant d'être jugé en comparution immédiate quatre jours plus tard. Il avait écopé de trois ans de prison ferme, de la révocation de trois autres mois de prison prononcés antérieurement avec sursis et d'une interdiction de paraître à Guipry-Messac, Bain-de-Bretagne et Corps-Nuds.
L’alibi mis en doute en première instance
Les premiers juges s'étaient notamment appuyés sur le fait que le téléphone du suspect était éteint au moment du braquage, mais M.X avait expliqué qu'il l'avait "cassé" la veille "en déplaçant un canapé de jardin".
Le billet d'avion pour la Corse qu'il avait pris "très tardivement" le soir même du braquage pour un décollage le lendemain matin s'expliquait, pour sa part, par le fait qu'il avait trouvé "un travail bien rémunéré" dans un restaurant de l'île de Beauté "plusieurs semaines" auparavant.
Le suspect avait aussi un alibi au moment du braquage : il avait un rendez-vous chez un coiffeur de Rennes justement pour se faire "beau" pour son nouveau job en Corse.
Mais, dans le cadre d'un supplément d'information ordonné en première instance par le tribunal correctionnel de Rennes, les gendarmes s'étaient aperçus que le fameux rendez-vous n'aurait "pas été honoré", d'après le coiffeur. Le commerçant n'avait "pas de traces", non plus, du paiement "en espèces" qu'M.X disait lui avoir fait.
Les gens du village m'accusent parce que je suis noir
le prévenu
Lors de son procès en appel, le 15 novembre 2022, M.X n'avait reconnu que le "recel" de chèques douteux, révélé lors de l'examen de ses comptes : il avait accepté d'encaisser 2 000 € sur son compte bancaire et de ne rendre que 1 500 € à la commanditaire qui l'avait "sollicité sur Instagram". Pour le reste, il s'estimait étranger au braquage de la Poste.
La présidente de la cour d'appel de Rennes lui avait toutefois fait remarquer que le braqueur était ganté alors que lui est justement "tatoué sur les mains de façon assez remarquable".
"Les gens du village m'accusent parce que je suis Noir et qu'ils sont tous racistes", avait objecté ce Guadeloupéen né en métropole. "Là-bas je ne connais personne, mais tout le monde me connaît ! Pour eux je suis la bête noire à abattre : je ne courbe pas l'échine devant les gens qui m'insultent", avait assuré cet homme "fortement méprisé" et "calomnié".
Le suspect avait ainsi fait "monter deux fois" son mur de clôture "jusqu'à 2,20 m" de haut car les autochtones lui "crachent dessus". "Je suis un solitaire, je n'ai aucun ami", avait répété M.X. C'est d'ailleurs l'un de ses voisins de l'impasse du Fresche qui avait dirigé les gendarmes vers lui : il s'était étonné que ses volets soient "exceptionnellement" fermés.
"Une belle enquête comme on n'en fait plus"
Une employée de la mairie de Corps-Nuds avait également dit qu'elle avait croisé un Noir "étrange" et "préoccupé" qui se dirigeait vers le bureau de poste peu avant le braquage. Elle ne l'avait "jamais vu" jusqu'alors sur la commune.
"C'est une belle enquête comme on n'en fait plus", avait résumé Me Olivier Dersoir, l'avocat de la guichetière de la Poste, lors du procès en appel. "J'ai rarement vu autant d'indices graves et concordants dans une affaire", avait abondé l'avocat général. Il avait donc demandé à la cour d'appel de confirmer le jugement "tout à fait adapté" prononcé le 25 août 2022.
Mais l'avocate de la défense, Me Amina Saadaoui (cabinet Tenier), avait alors sérieusement ébranlé l'enquête des gendarmes de Vitré. "Vous n'avez pas la bonne personne dans le box... Aujourd'hui, vous n'en seriez pas là si ce dossier était passé par le filtre de l'instruction plutôt que d'être orienté en comparution immédiate", avait-elle dit aux juges rennais.
Une "somme d'incertitudes"
La cour d'appel de Rennes lui a donné raison au vu de la "somme d'incertitudes" qui planent dans ce dossier. "La cour estime qu'il n'existe pas suffisamment d'indices matériellement exacts pour en déduire que leur faisceau serait suffisant pour emporter sa conviction", dit-elle précisément dans son arrêt.
M.X a donc simplement été condamné à six mois de prison ferme pour le "recel" des chèques douteux. Il a été remis en liberté : il avait déjà purgé cette peine dans le cadre de sa détention provisoire, commencée le 24 juin 2022.
La constitution de partie civile de la guichetière Annie X- qui aurait normalement dû être fixée le 9 juin 2023 sur le montant des dommages et intérêts qu'elle allait toucher - a donc été rejetée en raison de la relaxe du prévenu.