La cour d'appel de Rennes a rejugé le skipper de Vannes (Morbihan) accusé d'être responsable du naufrage de son voilier, qui avait coûté la vie à une mère de famille en janvier 2020
Le voilier de Jean-Luc X avait sombré au large de l'île de Groix. Lors du naufrage, la mère de famille était décédée des suites de ses nombreuses fractures. Trois membres de l'équipage avaient également été blessés.
En première instance, le tribunal maritime de Brest avait condamné ce skipper chevronné aujourd'hui âgé de 60 ans à neuf mois de prison ferme et autant avec sursis pour homicide et blessures involontaires, ainsi que pour avoir manqué à la réglementation en matière d'allumage de feux. Il lui avait aussi été fait interdiction de naviguer pendant trois ans.
"Une condamnation sociale", résume son avocat, Jean-Charles Scale, qui a donc fait appel du jugement. L'affaire a été réexaminée par la cour d'appel de Rennes où les débats ont duré plus de huit heures. "Mon client conteste tout" dans ce dossier, a d'emblée averti son avocat parisien qui a plaidé la relaxe totale du skipper.
La voile éclairée à la torche
L'homme avait en fait acheté ce voilier de quinze mètres de long à Valence (Espagne) quelques semaines auparavant. Il avait initialement prévu de le convoyer seul jusqu'en Bretagne, mais l'un de ses amis lui avait proposé d'organiser une croisière. En tout, quatre personnes avaient pris le large.
Le navire avait rapidement subi des pannes de moteur et d'électricité et avait dû une première fois être remorqué. Le départ avait donc été reporté après que les réparations interviennent sans faire appel à des professionnels.
Le lendemain du départ, le pilotage automatique a cessé de fonctionner et "personne n'avait vraiment prêté attention aux alertes du bas niveau de charge des batteries moteur", a retracé la présidente de la 11e chambre de la cour d'appel de Rennes.
L'absence d'électricité et donc de matériel informatique sur le voilier n'avait pas davantage convaincu le capitaine de faire une escale pour procéder à de nouvelles réparations, alors même qu'une partie de l'équipage l'avait réclamé. De son côté, Jean-Luc X le conteste. Il estime que cette décision a été prise "à l'unanimité".
Finalement, c'est à la voile - parfois éclairée à la torche pour être vus en mer - que l'équipage a tenté de rallier la Bretagne, en traversant le golfe de Gascogne, et en mettant en place des roulements à un rythme soutenu pour le pilotage du navire, le tout, sans feux de navigation, de moteur et de cartographie électronique.
Il impute l'erreur de position à la victime
"Au départ, c'était fantastique, on se serait cru dans un autre monde, il y avait des vagues éblouissantes, c'était absolument magnifique", s'est souvenu l'un des passagers. Jusqu'à ce qu'à l'approche des côtes bretonnes, en fin de journée, la situation ne vire au drame : le skipper pensait atteindre le phare de Kerdonis, au sud de Belle-Île-en-Mer, mais le bateau se trouvait à la Pointe des Chats, à Groix...
Cette erreur de position est imputée par le prévenu à la mère de famille décédée, chargée de reporter les points sur la carte alors qu'elle n'avait que peu d'expérience en matière de navigation.
Une première vague a donc frappé le bateau, tandis que Jean-Luc X était seul à la barre, puis une deuxième, pendant qu'il était entré dans la cabine pour lever le doute sur la position géographique du bateau.
Le bateau s'est retourné à deux reprises, les hublots latéraux se sont brisés, l'eau arrivait à hauteur des mollets. La mère de famille avait finalement été retrouvée recouverte par le bac de batteries et des panneaux de bois. Celle qui avait embarqué pour passer des vacances avec son employeur et ne connaissait que très peu le capitaine avait perdu connaissance avant l'arrivée des secours. Elle décédera des suites de ses blessures dans la foulée.
Sauvés par le téléphone de la défunte
"Et c'est pourtant le téléphone de la victime, le seul à avoir encore de la batterie, qui permet de géolocaliser le bateau et ainsi sauver les quatre autres personnes à bord" a résumé l'avocate générale lors de l'audience.
L'intervention des secours prendra toutefois beaucoup de temps. La Société Nationale de Sauvetage en Mer (SNSM) n'a pas pu envoyer immédiatement sa vedette à cause de la météo et aussi de la position du navire dans une zone dangereuse. Les secours finissent par intervenir en mer et procéder au remorquage du voilier.
On s'attendait à quelque chose de dur, mais pas à ça
Me Matthieu HerlaAvocat des enfants de la victime
En première instance, Jean-Luc X n'avait pas formulé d'excuses à l'égard des parties civiles. Et pour ce second procès, "on s'attendait à quelque chose de dur, mais pas à ça", a déploré l'avocat des fils de la victime, Me Matthieu Herla, en présence de ses clients. "La famille n'en peut plus de voir ce comportement, elle était en colère et aujourd'hui elle est en fureur", a déploré l'avocat nazairien, considérant que l'attitude de Jean-Luc X était "dénuée de toute humanité".
"Aujourd'hui, quand on entend Jean-Luc, c'est quasiment la faute de l'équipage si ce navire a fait naufrage", a-t-il ironisé. "C'est la faute de la SNSM si la victime n'a pas pu être sauvée, et à cause de nous si on s'est trompés de position", a complété un membre de l'équipage.
Les réflexes à terre, c'est toujours facile
Me Jean-Charles ScaleAvocat de Jean-Luc X
"Ça donne plus l'impression d'une course que d'un convoyage", a aussi relevé l'avocate générale, pour qui la cour d'appel de Rennes doit prononcer la confirmation des peines prononcées en première instance.
"Les réflexes à terre, c'est toujours facile", a réagi l'avocat de la défense, Me Jean-Charles Scale, qui estime que le choix de continuer à naviguer malgré les différentes pannes était "la bonne décision".
La cour d'appel de Rennes, qui a mis sa décision en délibéré, rendra son arrêt dans deux mois.