Mal-logement : la situation est inédite et "alarmante" selon la Fondation Abbé Pierre

La Fondation Abbé Pierre rend public ce mardi 23 mai 2023 son nouveau rapport sur l’état du mal-logement en Bretagne et alerte sur une "crise du logement sans-précédent" dans la région. Pour la première fois, son baromètre met en exergue des données plus défavorables en Bretagne que sur l’ensemble de l’Hexagone. La qualité et la quantité de logements sont concernées. Décryptage.

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Nombre de logements vacants en augmentation, baisse des projets de rénovation, renchérissement des prix… Selon l'agence régionale de la fondation Abbé Pierre : "Tous les indicateurs sont au rouge en Bretagne". 

Dans son 28e rapport sur l'état du mal-logement, la fondation constate que partout, la crise sanitaire liée au Covid-19 a fragilisé de nombreuses personnes sur le fil, mais l’année 2022 a été marquée par une hausse des prix inédite depuis 30 ans, notamment en Bretagne.

Au regard des estimations statistiques, 70.000 personnes seraient mal logées en Bretagne. Une première dans notre région, jusqu'alors plutôt épargnée par le mal-logement.

Des prix "inabordables"

"La Bretagne trustait le podium de tête des objectifs atteints de production de logements sociaux, elle est aujourd'hui dans le peloton de queue, à la 10e place" constate Stéphane Martin, directeur de l'agence régionale de la fondation Abbé Pierre.

Conséquence notamment de la crise actuelle, les logements deviennent inabordables. Tous les portefeuilles sont touchés, mais tout particulièrement les plus modestes et les classes moyennes. Cela se mesure surtout au nombre de recours DALO (droit au logement opposable) qui a augmenté de 86% depuis 2019, alors que ces recours n'ont augmenté que de 3,2% au niveau national.

Comme le parc de logements privés baisse à grande vitesse (la demande est grande et l'offre limitée), les prix grimpent et la pénurie s'accentue : il manquerait, selon la Fondation, 23.000 logements abordables en Bretagne.

Logements sociaux saturés

Conséquence inédite à l'échelle de notre région : les demandes de logement social explosent : 95.000 demandeurs de logement social en Bretagne au 1er mai, soit 40% de plus en 5 ans (ils étaient 66.000 en 2018).

Des demandeurs dont le profil a évolué : "Ils sont de plus en plus jeunes", constate Pauline Urien, la directrice de l’association régionale des organismes HLM de Bretagne. "Ce sont des personnes qui n’accèdent plus au locatif privé, leurs revenus sont plus élevés qu’avant mais comme les prix ont augmenté dans le privé, ils se tournent vers les logements sociaux."

Résultat, les files d'attente s'allongent (18,5 mois d'attente en Bretagne contre 15,2 mois l'an dernier) et rares sont les "élus" : la fondation a compté 5,2 demandes pour une attribution seulement. La situation est critique dans tous les départements, mais le Morbihan est le territoire breton le plus en tension.

"Avant, le logement social était un tremplin : on y entrait et quand on avait stabilisé sa situation, on en sortait. Maintenant, malheureusement, dans ce contexte économique, les locataires préfèrent rester. Avec aujourd'hui 7% de turn-over seulement, la situation est très critique. On ne peut plus faire entrer de nouvelles personnes !"

Pauline Urien, directrice l'association régionale des organismes HLM Bretagne

Des organismes HLM qui manquent de moyens. "Depuis 2018 et la mise en place de la réduction du loyer de solidarité en 2018, les organismes HLM bretons ont perdu 134 millions d’euros, soit 10% de leur chiffre d’affaires annuel", ajoute Pauline Urien.

Ce à quoi s'ajoutent une flambée des coûts de construction. "En 2000, la construction d’un T3 de 64 m² coûtait 76.500€. En 2022, c’est plus du double : il faut compter 169 000€ pour construire ce même logement !" explique la directrice de l’ARO HLM. "De fait, les organismes HLM, au lieu d’en construire deux, ils n’en construisent plus qu’un."

Demandes d'hébergement d'urgence en hausse

L'accès à un logement étant de plus en plus compliqué, de plus en plus de personnes demandent des hébergements d'urgence : +6,5% en 2022, soit 3.200 demandes supplémentaires.

Beaucoup ont recours au 115, mais les réponses positives sont limitées : 32% des demandes seulement aboutissent... De plus en plus de personnes dorment donc à la rue, dans des parcs, dans des campings, ou dans leurs voitures.

A LIRE : La métropole rennaise met à disposition des logements préfabriqués pour répondre à l'urgence

La fondation note que a situation du "sans-abrisme" est particulièrement compliquée dans les Côtes-d'Armor où les services constatent "que les personnes isolées n'appellent plus le 115, car elles savent qu'elles ne vont pas être prises en charge. Des inquiétudes sont présentes avec le retour de la période touristique et la disponibilité des hôtels."

Passoires énergétiques et conditions "indignes"

Le nombre de logements est insuffisant pour répondre à toutes les demandes, mais leur qualité est aussi pointée du doigt par la Fondation qui a comptabilisé 63.000 logements potentiellement indignes en Bretagne.

Cela vaut dans le public comme dans le privé, dont la précarité énergétique est pointée du doigt. Le rapport de la Fondation note "un abandon public des propriétaires les plus pauvres, dans les logements indignes et dans les passoires thermiques". 224.468 ménages bretons, soit 14,6% de la population, sont en précarité énergétique quand la moyenne en France métropolitaine est de 13,9%.

Hôtels insalubres subventionnés

Des conditions "indignes" dont souffrent notamment les plus précaires. Mathilda (prénom d'emprunt) a accepté de témoigner. 

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La Fondation Abbé Pierre rend public ce mardi 23 mai 2023 son nouveau rapport sur l’état du mal-logement en Bretagne et alerte sur une "crise du logement sans-précédent" dans la région. Pour la première fois, son baromètre met en exergue des données plus défavorables en Bretagne que sur l’ensemble de l’Hexagone. ©V. Chopin - T. Bouilly

Cette maman de trois enfants âgés de 8 à 13 ans a vécu depuis son arrivée en France dans des logements quelquefois insalubres : pas de toilettes, pas de douche, pas de cuisine...

Durant quatre mois, le 115, faute de place d'hébergement, lui a proposé deux chambres dans un hôtel d'Ille-et-Vilaine : "une horreur" selon cette femme : "Il n'y avait nulle part où cuisiner, pas de table pour manger ou travailler. Les enfants avaient interdiction de jouer..."

"L'État subventionne des hôtels insalubres. Il paie ces structures, mais avec 21 euros par chambre par nuit, il n'y a pas de prestation de nettoyage, de gardiennage et surtout pas d’accompagnement des ménages... Est-ce que c’est suffisant pour apporter de la qualité dans les prises en charge ?

Stéphane Martin, directeur de la Fondation Abbé Pierre Bretagne

"À ce prix, ajoute le directeur régional, beaucoup d'hôteliers ne veulent plus aujourd'hui avoir de contrats avec le SIAO (service intégré de l’accueil et de l’orientation)... "

Malgré tous les inconvénients qu'il présente, le recours aux hôtels est pourtant de plus en plus courant : "35% des réponses en hébergements d’urgence le sont par le biais des hôtels. Ne faudrait-il pas plutôt envisager des structures avec accompagnement spécialisé, c’est toute la question qu’on se pose !" poursuit Stéphane Martin.

Réaction attendue du gouvernement

Face à ce constat alarmant, la Fondation Abbé Pierre tire la sonnette d'alarme. "Il est urgent d'agir !" alerte Stéphane Martin qui attend beaucoup des conclusions du CNR, le centre national de la refondation sur le logement, qui doivent être rendues le 5 juin prochain.

"Il faut que le gouvernement refinance largement la question du logement à hauteur de 2% du PIB. Il est aujourd'hui à 1,5 contre 2,2% en 2010. On demande aussi en urgence de financer les logements abordables dans le parc HLM et privé avec une loi de programmation sur les 5 ans à venir."

Des choix politiques qui pourraient passer, du moins ils l'espèrent, par la régulation des prix des logements et du foncier, l’encadrement des loyers en urgence, des aides à la construction via notamment une TVA à 5,5% pour les matérieux de conscruction, l'accès élargi aux APL... et "un vrai travail sur la rénovation énergétique et l’habitat indigne avec l’éradication des 60.000 logements indignes par an. C’est un enjeu fort, mais on peut le réaliser et surtout ne plus expulser des personnes sans situation de relogements ! Beaucoup de ménages sont aujourd'hui sans solution et risquent de se retrouver durablement à la rue."

Une solution réside peut-être dans ce dernier chiffre : le nombre de logements vacants... La fondation en a compté 145.773 en Bretagne en 2019, soit 37% de plus qu'en 2008.

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