"Porter plainte, c'est une sacrée épreuve." Témoignage et conseils d'une femme victime de violences conjugales

Ce lundi 25 novembre a été décrété "journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes". Une décision prise par l'ONU en 1999. 25 ans plus tard, Ariane (prénom d'emprunt) a accepté de témoigner. En tant que victime de violences conjugales, elle a plusieurs fois dû porter plainte contre le père de son enfant. Une épreuve, difficile mais nécessaire et riche en enseignements.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"La première fois que je me suis rendue au commissariat, je n'ai pas déposé plainte..." Quatre ans plus tard, Ariane (prénom d'emprunt) a toujours un peu de regret dans la voix.

Le jour où elle a osé franchir la porte du commissariat, elle s'en souvient très bien. C'était en 2020, elle venait d'être agressée physiquement et psychologiquement par son conjoint. "Rien que de franchir le seuil, ça signifie franchir plusieurs seuils... Ça rend les choses concrètes, tangibles."

"Les violences vont toujours crescendo"


Sur place, on lui conseille fortement de déposer plainte, mais elle n'ose pas : "J'ai craint pour la situation de mon ex-conjoint, parce que nous avions un enfant ensemble, parce que je me lançais dans une procédure, une machine qui me paraissait beaucoup trop grosse pour moi. Donc, je suis rentrée chez moi, sans avoir déposé plainte, mais j'avais semé une graine pour la fois d'après..."

Les mois passent. Comme beaucoup d'autres victimes de violences psychologiques, elle reste sous emprise, mais elle croit en des jours meilleurs : "Il y a des phases d'apaisement, un peu comme des lunes de miel, sauf que la situation ne s'améliore jamais, les violences vont toujours crescendo..."

Un an après sa première démarche, elle retourne en 2021 au commissariat, cette fois pour déposer plainte. La démarche est loin d'être simple, mais elle trouve sur place des professionnels aidants : "Je n'ai pas attendu longtemps, j'ai été bien reçue. J'ai trouvé qu'au guichet puis au moment du dépôt de plainte, il y avait de l'écoute patiente, de la discrétion. On m'a laissé du temps pour chercher mes mots." À ce moment-là, Ariane est en "état de sidération". Les émotions, le stress, la tension... Les idées se bousculent. "Heureusement, et c'est bon à savoir : on a le droit dans les jours qui suivent le dépôt de plainte, d'apporter un complément, on peut rassembler ses idées, apporter des notes par exemple..."

durée de la vidéo : 00h03mn25s
Reportage pour France 3 Bretagne de S. Salliou, S. Ruaux et F. Leblanc. ©FTR

"Huit heures d'attente et quand ce fut enfin mon tour..."


Si Ariane insiste aujourd'hui sur l'importance du temps et de l'accueil que les policiers lui ont réservé, c'est malheureusement parce qu'elle a aussi eu par la suite des expériences moins "aidantes". Son ex-conjoint a été condamné à suivre un stage destiné aux hommes violents. Mais les agressions reprenant, elle doit à nouveau se rendre au commissariat. C'est un dimanche et malgré l’accueil réservé aux femmes victimes de violences, le temps est long : "J'ai attendu huit heures dans le commissariat et quand ce fut enfin mon tour, la personne habilitée était partie".

Depuis le Grenelle de 2019 sur les violences conjugales, il y a en effet désormais, en plus des policiers spécialement formés, des psychologues et des intervenants sociaux au sein des gendarmeries et commissariats. "C'est très bienvenu, mais ils ne sont pas toujours disponibles... Ce n'est pas du tout homogène" regrette Ariane qui a souffert cette fois-là de jugements de valeur morale et du manque de confidentialité... À l'époque elle l'ignorait, aujourd'hui, elle le sait : la victime est en droit de demander à changer d'interlocuteur, au moment où elle dépose plainte.

Il existe aussi dorénavant des vignettes (ndlr : voir ci-dessus) de couleur orange et bleu, à l'entrée des commissariats pour simplifier les démarches des victimes. Un affichage qui n'a malheureusement, rien changé pour Ariane, la troisième fois où elle est venue déposer plainte au commissariat : "Je suis à l'accueil, au guichet et il y a ce système de vignettes pour distinguer les femmes qui viennent déposer plainte pour violences sexistes et sexuelles, bien les orienter, et les prendre en charge rapidement. Je mets le doigt dessus, mais la personne qui me reçoit n'a pas la présence d'esprit de penser que c'est important et je me retrouve dans un bureau avec à côté de moi, une autre personne qui dépose plainte pour vol de vélo ! Résultat, nous nous parasitons. C'est compliqué pour moi de parler librement."

Simplifier le dépôt de plainte et le suivi


Autant d'expériences qui poussent aujourd'hui Ariane à parler. "Déposer plainte, c'est important. C'est important que l'agresseur soit inquiété, et il y a des endroits où on est très bien reçu", modère cette victime d'agressions. "Les choses évoluent, mais il faut continuer à former : éduquer dès l'enfance, et former davantage gendarmes et policiers aux violences intrafamiliales."

Elle encourage aussi les femmes victimes de violences à s'entourer : "Des associations existent et peuvent aider. Maintenant, la Maison des femmes centralise, c'est un lieu ressource, identifiable dans l'espace public et c'est un gros avantage."

Lire aussi : Violences faites aux femmes. La Maison des Femmes Gisèle Halimi ouvre ses portes pour accueillir les victimes

Autre information peu connue des victimes pour l'instant : un pôle psychosocial existe désormais dans les gendarmeries et commissariats. Les victimes de violence conjugale peuvent rencontrer, si elles le souhaitent, un.e intervenant.e social.e pour s'informer sur ses droits, définir les violences qu'elle subit, connaître le fonctionnement d'une procédure judiciaire, les aides auxquelles elle peut avoir droit, comme l'aide financière d'urgence de la Caf... Cet accompagnement n'est pas conditionné par un dépôt de plainte. Aujourd'hui en Ille-et-Vilaine, on compte huit intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries.

Depuis le Grenelle des violences conjugales, avec un ensemble de tables rondes organisées entre septembre et novembre 2019, plusieurs choses ont changé et ont été mises en place en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes :

  1. Finies les mains courantes : Désormais chaque fait de violence conjugale déclarée en commissariat ou gendarmerie fait l'objet d'une ouverture de procédure judiciaire, qui donne ensuite lieu à une décision judiciaire de la part du parquet. Autrement dit, dès qu'une parole est déposée, des actions sont engagées... "C'est bien, parce que la main courante, c'était certes peut-être un premier seuil, mais c'était aussi un coup d'épée dans l'eau" selon Ariane. La main courante ne menait pas en effet à l'ouverture d'une enquête.

  2. Bracelet anti-rapprochement : Ce dispositif judiciaire, souvent post-condamnation, est mis au poignet du condamné. Dès qu'il franchit la zone d'exclusion pré-déterminée, une alerte est envoyée au commissariat. Des patrouilles sont envoyées chez la personne protégée ainsi que chez le porteur de bracelet.

  3. Téléphone "grave danger" : Ce dispositif judiciaire permet à la personne protégée par décision de justice, d'appuyer, en cas d'agression ou de menace, sur une touche présélectionnée sur son téléphone. Elle alerte un télé-surveilleur qui fait une levée de doute avec la personne appelante, et si besoin déclenche l'intervention des forces de l'ordre.

  4. Dépôt de plainte à l'hôpital : Michel Barnier a déclaré lundi 25 novembre vouloir étendre le dispositif permettant à des femmes victimes de violences sexuelles de déposer plainte dans un hôpital doté d’un service d’urgences ou de gynécologie. Une mesure annoncée dans la matinée par la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Salima Saa. "C'est une très bonne mesure, réagit Ariane. Si quelqu'un avait pu recevoir ma plainte à l'hôpital, ça m'aurait évité de devoir aller en plus au commissariat. Je me serais sentie dans un cadre plus sécure et moins intimidant pour le faire."

  5. Maison des femmes : Le Premier ministre a aussi confirmé ce 25 novembre 2024 vouloir doter chaque département d’une Maison des femmes, d’ici à 2025. En Ille-et-Vilaine, la Maison des femmes Gisèle Halimi a été inaugurée, devant l'entrée de l'hôpital sud de Rennes, le vendredi 17 novembre 2023.

(Avec Sylvaine Salliou)

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information