PORTRAIT. Hervé Rouzaud Le Boeuf, l'avocat emblématique de l'affaire Dickinson : un regard facétieux et toujours indigné

L'ancien avocat pénaliste, Hervé Rouzaud Le Boeuf, a pris sa retraite. Il s'était fait connaître du grand public à l'occasion de l'affaire Caroline Dickinson à la fin des années 90. Rencontre avec un personnage haut en couleur. Il partage avec nous son regard facétieux sur notre époque.

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"Bien, je vous attends jeudi pour un thé vert du Burundi !" Rendez-vous était donc pris un jeudi de juin avec Hervé Rouzaud Le Bœuf. Il y a encore quelques années, on l’appelait Maître Rouzaud Le Bœuf. Mais l’avocat a définitivement raccroché sa robe en 2014. "Sauf pour les manifs d’avocats. Là j’ai encore le droit de la mettre, s’amuse-t-il. Ça fait du bien de manifester, ça secoue la routine !"

L'affaire Dickinson

Hervé Rouzaud Le Bœuf, pour les plus âgés, reste indéfectiblement lié à l’affaire Caroline Dickinson. Il fut l’avocat de la famille de cette jeune lycéenne anglaise, violée et tuée dans une auberge de jeunesse à Pleine-Fougères, en Ille-et-Vilaine en juillet 1996. Un de ces faits divers qui marquent les esprits par l’horreur des faits et la longueur de l’enquête. Elle aura duré cinq ans jusqu’à ce qu’un coup du hasard livre le coupable, Francisco Arce Montes.

Cinq années de traque, puis un procès qui s'étalera sur quatre ans. Ce sont au total neuf années durant lesquelles le visage et la silhouette de Maître Rouzaud Le Bœuf a émaillé les journaux, commentant les différentes étapes d’une affaire qui paraissait sans fin.

Le goût du détail

Une silhouette filiforme avec chapeau et nœud papillon. "Quand j’ai commencé à plaider, il était impensable qu’un avocat ne porte pas de cravate. Moi je préfère le nœud papillon, c’est plus marrant" répond-il, espiègle.

Une articulation parfaite, un air posé et so british ! Mais qui est donc Hervé Rouzaud Le Bœuf dans la vraie vie ? C’est avec cette interrogation en tête que j’arrivais au pied de son immeuble. Ses indications étaient extrêmement précises : l’adresse et des points de repère, le code du premier interphone, aller jusqu’au bout du passage voûté, puis les quatre marches en granit à droite et un second interphone à son nom. Un sens du détail extrême.

Enfin, en haut d’une volée de marches en bois, tout de guingois, comme en réservent les bâtiments du XVIIIe siècle du centre de Rennes, la carte de la Bretagne à cinq départements épinglée sur une porte d’appartement. Me voilà arrivée.

L'amour des livres et des langues

La porte s’ouvre sur un couloir rempli de livres. Des livres partout en pile par terre ou sur des étagères. Des livres récents, des livres anciens. Des livres en français, en anglais et en breton. "Enez du" (L’île noire) de Tintin en haut d’une pile attire mon regard.

"Vous parlez breton ?",  je lui demande. "Ya, un tammig, (oui, un peu), vannetais ! se réjouit-il. Je suis de la région de Vannes. J’ai passé une partie de mon enfance à Sainte-Armelle. C’est la bonne de mes grands-parents qui m’a appris le breton."

L’homme est souriant, affable. Et de m’expliquer que sa branche maternelle puise ses racines dans la zone du Morbihan autour de la presqu’île de Rhuys et de Quiberon. Des aïeux, riches paysans catholiques. Puis des grands-parents maternels, instituteurs dans le public qui s’intéressaient à la langue bretonne. Une position totalement à contre-courant de la doctrine de l’époque qui interdisait aux Bretons d’utiliser leur langue. Une seule langue avait droit de cité sur le territoire national : le français.


Mes grands-parents n’ont jamais attaché de sabot autour du cou des élèves qui parlaient breton à l’école comme cela se pratiquait.

Hervé Rouzaud Le Boeuf

Son père, capitaine de la marine marchande, était souvent absent. Alors c’est cette branche maternelle, mère et grands-parents, qui a marqué le jeune garçon. "Une famille catholique et sociale, c’est primordial, précise le septuagénaire en insistant sur le 'et'. Le respect des pauvres, des humbles, des petits."

Son ami, Renaud Van Ruymbeke, ancien juge d’instruction, figure emblématique de la lutte anticorruption, dit d’ailleurs de lui que c’est un honnête homme au sens du XVIIIe siècle. "Quelqu’un de fondamentalement désintéressé" précise l’ancien magistrat, désormais à la retraite.

Un besoin de sérénité et de justice

Pendant des années, Hervé Rouzaud Le Bœuf a déserté les bancs de l’église. Mais depuis une grave dépression qui l’a mis à terre pendant trois ans, il y retourne. Une façon pour lui de retrouver de la sérénité. Enfin, pas toujours : "J’ai eu un clash avec le prêtre de l’église où je vais, s’insurge-t-il. Il a demandé à une femme déficiente mentale de sortir."

Et l’injustice, il ne supporte pas ! Assis dans son fauteuil, droit dans les yeux, il avance une explication : "J’étais l’aîné d’une fratrie de six enfants, chargé de famille dès ma plus tendre enfance de m’occuper des autres." Voilà une explication toute trouvée à sa carrière d’avocat pénaliste.

Et pourtant, il n’en est rien. Le jeune Hervé Rouzaud Le Bœuf, passionné de littérature et de langues, s’oriente d’abord vers des études de lettres et de philologie.

Il ne suit des études de droit que plus tard pour pouvoir accompagner son frère malade à la faculté de droit. "Ça m’a barbé, je préférais aller lire au bord de la mer. Jusqu’à un exposé sur les droits de la concubine. En 1972, il n’y en avait pas beaucoup" pouffe-t-il, facétieux. Il obtient sa licence de droit mais ne sait toujours pas quoi faire de sa vie.

Retour donc chez les jésuites. L’ancien élève y devient professeur de français. Mais sa soif de nouvelles expériences le conduit en 1979 à Exeter en Angleterre. 


J’ai été lecteur à l’université d'Exeter pendant quatre ans. J’y serais bien resté mais Mme Thatcher vidait toutes les universités des profs.

Hervé Rouzaud Le Boeuf


Un adepte du pas de côté

C’est donc parfaitement bilingue qu’il rentre en France. Sur les conseils d’un ami, il devient avocat. "Il fallait bien faire quelque chose !" ironise-t-il. Toujours prompt à pointer la cocasserie d’une situation. Un adepte du pas de côté.

De fil en aiguille, notre homme est repéré par le consulat de Grande-Bretagne comme avocat parlant parfaitement l’anglais. Il défend alors des ressortissants britanniques, victimes ou accusés, ayant maille à partir avec la justice française. 

Dickinson et Van Ruymbeke

C’est ainsi qu’il devient l’avocat de la famille de Caroline Dickinson, après le viol et le meurtre de la lycéenne en juillet 1996. Il faudra cinq ans pour mettre la main sur le coupable, Francisco Arce Montes, un prédateur sexuel itinérant et insaisissable. L’homme sera condamné en appel en juin 2005. Durant ces neuf années, Hervé Rouzaud Le Bœuf a épaulé la famille anglaise dans sa quête de vérité et son incompréhension du système judiciaire français.

Renaud Van Ruymbeke a été le deuxième juge d’instruction sur cette difficile enquête (il y en aura un troisième lorsque le juge Van Ruymbeke partira à Paris pour instruire l’affaire Elf en 2000). "Lorsque j’ai récupéré le dossier Dickinson, se souvient Renaud Van Ruymbeke, il n’y avait pas de contact entre le juge précédent et la famille. J’ai eu à cœur de nouer le dialogue avec les Dickinson. Je les tenais informés des avancées ou des échecs de l’enquête par l’entremise d’Hervé Rouzaud Le Bœuf, leur avocat."

Six ans séparent les deux hommes de loi. Hervé Rouzaud Le Bœuf s’est installé comme avocat à Rennes en septembre 1987. Renaud Van Ruymbeke, lui, a été nommé conseiller à la Cour d'appel de Rennes en décembre 1988.


On se connaissait comme ça. On avait des relations professionnelles. Et puis, au fur et à mesure durant l’affaire Dickinson, on s’est liés d’amitié.

Renaud Van Ruymebeke

Quand, en 2000, Renaud Van Ruymbeke rejoint le pôle financier, il fait des allers-retours entre Paris et Rennes, où sa famille demeure toujours. "C’est à ce moment-là que j’ai noué plus de relations avec Hervé Rouzaud Le Bœuf, poursuit Renaud Van Ruymbeke. Il a des valeurs et une haute idée de son métier. Ce sont ces qualités que j’ai progressivement appréciées et depuis il est devenu un ami."

L’ancien magistrat souligne la courtoisie de son ami. "C’était un avocat écouté parce qu’il n’agressait pas la justice et ne trichait pas. Quand il disait quelque chose, on savait que c’était vrai. Vous savez, on voit de tout."

Les autres affaires marquantes de sa carrière

Quand on interroge Hervé Rouzaud Le Bœuf sur les affaires qui l’ont le plus marqué, il cite aussitôt James Kopp. Ce militant américain anti-avortement recherché par le FBI pour l’assassinat d’un gynécologue pratiquant des IVG (interruptions volontaires de grossesse) a fait partie de ses clients.

"J’ai eu aussi cette histoire extraordinaire d’Ibrahim Allam, un client, accusé d’un double meurtre en mer à bord d’un voilier." Un scénario digne de René Clément. Le pénaliste obtiendra l’acquittement de son client : "J’avais acquis la conviction qu’il n’était pas coupable. Je n’aurais pas pris sa défense si je n’y croyais pas." 
Hervé Rouzaud Le Bœuf soutiendra que les deux jeunes gens sont tombés à la mer accidentellement et évitera ce qui aurait pu être une condamnation abusive.

Fâché contre le silence de Nathalie Appéré sur le sort des Ouïghours 

A 75 ans, son dégoût pour toute forme d’injustice reste intact. "Je peux me fâcher, concède-t-il. D’habitude je suis plutôt diplomate, mais quand il n’y a pas le choix, il n’y a pas le choix."

L’objet de sa colère aujourd’hui, c’est le silence de la maire de Rennes, Nathalie Appéré, sur la situation des Ouïghours : "Je suis choqué par le silence de Mme Appéré concernant les droits de l’Homme des libertés fondamentales en Chine. Elle va régulièrement en Chine puisque Rennes est jumelée à Jinan. Et pas un mot. Ce silence me met mal à l’aise intellectuellement et moralement."

C’est par hasard que l’avocat a découvert la barbarie avec laquelle est traitée cette ethnie chinoise, turcophone et musulmane, par le régime de Pékin. "J’ai consacré les 20 dernières années de ma carrière aux dossiers de demande d’asile et d’expulsion des étrangers".

Aujourd’hui, Hervé Rouzaud Le Bœuf, passe sa retraite entre ses lectures et ses amis. Ses filles, dont il a eu la garde après sa séparation en pleine affaire Dickinson, ont pris leur envol : "Elles me manquent, mais je ne leur dis pas. Un parent ne peut pas dire ça à ses enfants."

Il rit en avouant que la vie terrestre l’intéresse encore : "Ce n’est pas une grande période en ce moment, c’est dur pour les jeunes. Mais je ne suis pas pressé d‘aller voir Saint-Pierre" s’amuse-t-il en me servant une tasse de thé. "The proof is in the eating" sourit-il. 

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