Au centre de rétention administrative, de nombreux migrants n'en sont pas à leur premier enfermement. En 2018, environ 15% des retenus l'avait déjà été auparavant. Le jour de la visite de la sénatrice Christine Prunaud, 1 retenu sur 5 est familier du lieu.
Le centre de rétention administrative de Rennes (CRA) a ouvert ses portes à la sénatrice des Côtes d’Armor, Christine Prunaud. C'était le 28 février dernier.
En qualité de parlementaire, est habilitée à visiter tout « lieu de privation de liberté » tels que prisons, centres de rétention, locaux de garde à vue. Depuis 2015, elle est aussi autorisée à être accompagnée de journalistes. Ce qu'elle a fait lors de sa visite du 28 février 2019.
Le centre de rétention administrative surveille les personnes étrangères en situation irrégulière, le temps que se mette en place la procédure d’expulsion dont il font l'objet.
L’enfermement n’est pas décidé par un juge, mais par une préfecture. Cette particularité a une contrepartie : une association habilitée accompagne les migrants dans leurs démarches administratives et judiciaires.
20% de multi-rétentions
A Rennes, le centre retient des migrants interpellés de Cherbourg à La Rochelle, et jusqu’en Indre-et-Loire. Parmi eux, le jeune Aymen, de nationalité algérienne, est enfermé pour la deuxième fois. Nous l'avions déjà rencontré deux ans plus tôt, au cours d'un reportage dans ce même centre de rétention.
La Cimade, l'association autorisée à intervenir dans l'établissement rennais, a relevé le cas de M.V, enfermé à 4 reprises en une année, dont 3 fois par la préfecture de Loire-Atlantique. Depuis un an, il a passé 113 jours au CRA de Rennes, sans être, pour finir, expulsé.
Depuis le 1er janvier 2019, 20% des 289 migrants placés en rétention à Rennes a déjà été retenu en centre auparavant. Seul un dixième de ces retenus a finalement été expulsé au terme de sa nouvelle rétention.
En 2018, la proportion de multi-rétentions s'élevait à 16% des personnes retenues à Rennes, selon la Cimade. D'après la préfecture de Bretagne, ce chiffre serait plutôt de 14,5% (proportion de migrants enfermés alors qu'ils l'avaient déjà été par le passé).
Pour 85% d’entre eux, le nouveau placement en rétention n’a pas conduit à leur expulsion, selon le chiffre de la préfecture.
Ni expulsable, ni régularisable
« La rétention a clairement un coté punitif, car ça ressemble beaucoup à une peine de prison » affirme Paul Chiron, juriste de la Cimade, qui conseille chaque jour les migrants enfermés au CRA. Certains retenus ne peuvent pas être éloignés, leur pays d’origine ne délivrant pas de laissez-passer pour leur retour. Les documents d'identification font parfois défaut. La préfecture de Bretagne pointe également certains pays où "l'obtention des laisser-passer consulaires est particulièrement lente".
Pour d’autres, la procédure de leur interpellation est entachée d’irrégularité, ce qui met fin à leur rétention une fois leur cas porté devant la justice. Repoussant à plus tard le risque d'être éloigné, après le lancement d'une nouvelle procédure.
Dans le même temps, ces personnes ne peuvent souvent pas non plus obtenir que leur situation soit régularisée au titre de la loi française. Ni expulsable, ni régularisable, en somme.
Enfin, selon la préfecture de Bretagne, ces multi-placements en rétention de migrants correspondent à la volonté du gouvernement, depuis l'attentat de la gare Saint-Charles, le 1er octobre 2017.
"Depuis l'attentat meurtrier commis à Marseille par un étranger en situation irrégulière, l'éloignement des étrangers en situation irrégulière est une priorité ministérielle, surtout si l'individu est connu pour des faits de délinquance", indique la Préfecture.
105 policiers pour 50 places en rétention
Bien que peu productif en terme d'expulsions, le système de la rétention a un coût élevé. D’après les chiffres que nous avons obtenus du ministère de l’Intérieur, le budget de fonctionnement du Centre de rétention de Rennes s’élevait en 2018 à 1 746 470 euros, et presque autant en 2019.
Une somme qui inclut la nourriture, le nettoyage des locaux, les interprètes lors des procédures administratives, l’entretien du bâtiment, mais pas les nouveaux équipements comme les caméras ou le filet anti-projection de colis installés récemment …
Surtout, ce budget ne couvre pas le salaire des agents: 110 fonctionnaires du ministère de l’intérieur, dont 105 policiers, travaillent au centre, pour surveiller, 24h sur 24h, de 10 à 56 de migrants retenus, selon les périodes.
Loin de ces considérations financières, la Cimade insiste sur "le coût humain" du système de la rétention, "une machine à broyer les personnes" selon Paul Chiron.
Pour retenir les étrangers sous le coup d'une procédure d'expulsion, le législateur avait préféré, quand à lui, mettre en avant une autre modalité: l'assignation à résidence, plutôt que l'enfermement.