Travailler les dimanches et les jours fériés, c'est courant pour les professionnels de santé. Réveillon ou pas, il faut assurer les soins, être prêt à sauver des vies. Le contexte est difficile : recrudescence de cas de Covid-19 et manque de moyens pèsent sur les effectifs. Reportage dans le service de réanimation et médecine intensive du CHU de Rennes ce dimanche 31 décembre 2023.
"Est-ce que vous voulez que je vous tienne la main ? Monsieur, vous voulez que je vous tienne la main ?" Le moment est critique dans la chambre B8. Un des patients hospitalisés en service réanimation et médecine intensive est en détresse respiratoire. Il faut agir, et vite.
Pour certains membres de l'équipe, la petite pause dans la salle détente est déjà écourtée. Ce dimanche 31 décembre 2023, chacun avait préparé un plat de fête, histoire de marquer un peu le changement d'année. "Le but c'est de se rassembler, pas quand on veut mais quand on peut, selon les urgences. On se relaie pour qu'il y ait tout le temps du monde auprès des patients" explique, avant de filer, Romain Le Roux, aide-soignant depuis bientôt vingt ans. Crumble, tiramisu, gâteau au chocolat... Le dessert attendra.
29 lits occupés sur 30
Médecin de garde, interne, étudiant, infirmière et aide-soignante : chacun à son poste intervient avec méthodologie auprès du patient, alors que d'autres s'activent dans les chambres d'à côté. Le service compte trente lits au total. Vingt-neuf sont occupés ce dimanche 31 décembre.
Tous les patients souffrent ici de défaillance d'organe. Beaucoup ont un "pronostic vital engagé" quand ils arrivent dans ce service. "On prend en charge des patients qui viennent pour des motifs très différents les uns des autres avec des défaillances cardiaques, neurologiques, hépatiques, rénales... confirme Valentin Coirier, médecin de garde ce dimanche, qui a choisi la réanimation pour cette transversalité. On ne travaille pas là par hasard. On a une spécialité très transversale, on travaille sur plein de pathologies différentes... On fait ce métier, parce qu'on aime bien ça !"
Sauver des vies, une vocation. Un métier que tous ici ont choisi d'exercer malgré les contraintes du calendrier. "Déjà, on se passe le tour : on fait soit Noël soit le Nouvel An. Et puis, ça fait partie du métier de travailler le week-end et les jours fériés" souligne Mathilde, une des infirmières, du haut de ses 28 ans.
Non loin de là, Mireille apparaît comme l'une des plus expérimentées. Elle exerce en tant qu'infirmière depuis 32 ans et a déjà travaillé dans trois services de réanimation. "Il n'y a pas de routine dans ce type de service, l'apprentissage est quotidien si on le souhaite." Jamais fatiguée ? "Je n'ai pas le temps de me poser la question..." souffle-t-elle, sourire au coin des lèvres, alors qu'une nouvelle sonnette retentit.
"Système sous tension permanente"
Certains ici ont calculé : ils parcourent chaque jour près de 19 kilomètres. Des allers-retours de chambre en chambre, au pas de course. Le rythme est épuisant mais "la bonne ambiance et le travail d'équipe" les font tenir.
Malgré cela, beaucoup de choses ont changé ces dernières années. Le Covid-19, déjà, a fini d'en démoraliser certains. "Les effectifs ont beaucoup évolué ces dernières années" reconnaît le médecin de garde qui compte beaucoup de jeunes trentenaires dans son équipe. Et puis le manque de moyens, la perte de sens... ont fini d'en démotiver d'autres.
Ici et là, depuis plusieurs mois, des services d'urgence sont régulièrement fermés. Brest, Carhaix, Pontivy, dans les Côtes-d'Armor et en Ille-et-Vilaine aussi... "Forcément, il y a un report d'activité sur nos services mais le système est extrêmement fragile, sous tension permanente" regrette le professeur Louis Soulat.
Le chef du SAMU 35 et vice-président du syndicat Samu Urgences de France était invité ce dimanche 31 décembre du JT Ici 19/20 de France 3 Bretagne. Il ne cache pas son désarroi. "En parallèle de la démission de notre dernier ministre de la santé, on apprenait qu’il y avait 6.000 lits fermés en 2022. Ça continue et ce sont des lits très importants pour prendre en charge des patients polypathologiques notamment en période hivernale. Et ces lits sont fermés non pas pour raisons budgétaires mais par manque de ressources soignants et médecins pour activer les lits pourtant nécessaires !"
Des professionnels qui attendent beaucoup de l’annonce du Président de la République qui a promis que les urgences seraient désengorgées fin 2024. "On attend, on espère mais il faut en parallèle continuer à former et donner de l’attractivité et leur donner envie de rester" insiste Louis Soulat.
Une attractivité qui doit passer par une revalorisation du travail de nuit et des heures supplémentaires, mais aussi, selon lui, par l'amélioration des conditions de travail. "Demain il y a aura encore 10 et 20 patients en attente de lits sur brancards. C’est la réalité et ce qui nous inquiète le plus c’est cette forme de résilience et de banalisation du problème."