Le 9 juin, le retour partiel dans les entreprises des salariés cantonnés au télétravail sera possible. Reste que si la mesure était attendue par de nombreux salariés concernés, certains ne vont pas se précipiter pour retrouver le chemin du bureau. Les entreprises vont devoir s'adapter.
"Quand j'ai appris la nouvelle hier, je me suis dit que c'était une bonne chose, car j'ai quand même envie de revoir physiquement mes collègues". Cette réaction à l'annonce de l'assouplissement des mesures de télétravail dès le 9 juin, c'est la toute première de Frédéric Lemoine, ingénieur en informatique pour une entreprise internationale de haute technologie à Rennes. En télétravail depuis le tout début de la crise sanitaire en mars 2020, il s'est très vite installé un bureau à la maison. 15 mois donc, qu'il squatte la chambre de son fils aîné, parti suivre ses études à Angers.
Je ne pense pas que l'on puisse revenir comme avant de toute façon.
Mais, dès qu'on demande à Frédéric s'il envisage d'arrêter le télétravail, la réponse fuse : "Pas question. Je me vois bien à terme avec un nouveau rythme, 3 jours au bureau et 2 jours en télétravail." "D'ici là, mon entreprise va maintenir certainement le télétravail jusqu'en septembre même si on a la possibilité de revenir un jour par semaine à la boîte en ce moment et certainement un peu plus dès le 9 juin" précise-t-il.
Mais celui qui trouve des avantages à sa nouvelle façon de travailler ne va pas se précipiter. Il apprécie la souplesse que peut lui apporter le télétravail en terme de transport et de temps de travail. "Avant, je rentrais tard et parfois même après le dîner. Là, maintenant, je suis toujours présent pour le repas et je peux même emmener ma fille à un rendez-vous médical par exemple et puis rattraper le soir si j'en ai besoin. Je peux organiser mon temps et je vous avoue que je n'ai plus trop envie de perdre du temps dans les transports maison-bureau".
"Un peu d'appréhension à revenir à temps plein au bureau"
Même son de cloche pour Tiphaine Poirier, assistante administrative dans la téléphonie mobile dans une entreprise de plus de 300 personnes. Elle explique que la fin du télétravail "l'aurait embêtée si elle n'avait pas su que des accords étaient en train de se mettre en place dans son entreprise, deux jours de télétravail par semaine".
On reprend dans des conditions de liberté réduite.
La jeune femme reconnaît qu'elle a un peu d'appréhension à revenir au bureau à temps plein, et "surtout dans les conditions sanitaires que l'on connaît, la distanciation sociale, le port du masque, c'est tout cela..."
Cette mère de famille d'un petit garçon de deux ans, reconnaît "adorer le télétravail pour le confort d'organiser sa vie. La vie de famille est beaucoup plus facile à organiser en télétravail, avec le trajet domicile-travail en moins et le temps du midi, je peux préparer le repas, faire un brin de ménage. C'est une autre organisation."
Au-delà de la vie de famille simplifiée, Tiphaine y voit aussi un avantage en terme de concentration sur le travail : "Au bureau, on est de plus en plus nombreux, avec de moins en moins de place et de plus en plus de bruits comme les téléphones qui sonnent tout le temps, du passage, du mouvement."
Même si Tiphaine reconnaît qu'elle est moins bien installée matériellement pour travailler qu'au bureau, elle espère donc pouvoir continuer par la suite à bénéficier de deux jours de télétravail et deux jours au bureau [elle est en temps partiel à 80%, ndlr], "le lundi et le vendredi pour ne pas être déconnectée et de façon à lancer la semaine et de débriefer en fin de semaine".
Un an de crise devenue une crise du travail
Les réactions de Frédéric et Tiphaine sont loin d'être isolées. Elles représentent le sentiment de la majorité des télétravailleurs si l'on s'en tient au 7e baromètre d’OpinionWay pour le cabinet Empreinte humaine dévoilé ce mercredi 26 mai. 50 % des salariés affirment ne pas vouloir un retour total au bureau. Un chiffre qui s’élève à 75 % parmi les télétravailleurs qui ne veulent pas revenir au bureau « comme avant », et même si la majorité des salariés pense que « le retour est nécessaire pour la cohésion d’équipe ».
Selon ce baromètre, après plus d'un an à distance de leurs collègues, beaucoup de travailleurs craignent aussi des retrouvailles difficiles. D’autant que 46 % des télétravailleurs (contre 40 % des salariés) rapportent un état de « détresse psychologique » avec des symptômes d’épuisement et de dépression.
Baromètre Opinion Way pour Empreinte Humaine sur l'état psychologique des salariés - Mai 2021
Mais les profils de salariés qui ne souhaitent pas revenir au bureau sont multiples, comme le précise Maître Audrey Ballu - Gougeon, avocate en droit du travail à Rennes. Dans tous les dossiers qu'elle suit, elle remarque que ceux qui ne veulent pas retourner au bureau sont "souvent ceux qui n'étaient déjà pas bien dans l'entreprise et qui ont encore moins encore envie d'y revenir".
Elle explique également que "le confinement a exacerbé les dysfonctionnements déjà présents" et que les salariés les plus en difficultés sont sans doute les managers, surtout que le télétravail a "déshumanisé" les relations avec un "manque de contact". "En visio, on ne se dit pas les choses" ajoute la spécialiste du travail. Sans parler "des réunions en visio éprouvantes, peu efficaces et trop longues".
Le baromètre Opinion Way relève la même tendance : « Les managers sont les plus en difficultés car 'empêchés' de pouvoir bien 'manager' ». Et d'ajouter que « La pérennisation du télétravail devra passer par des évolutions managériales, des changements d’organisation du travail et notamment la réduction de la taille des équipes, pour un manager sur deux. »
Des accords en vue et le retour des pots au travail
Même si l'avocate signale une augmentation conséquente des saisines de cadres au conseil de prud'hommes de Rennes, elle se veut positive et précise qu'elle constate de nombreuses discussions au sein des entreprises pour fixer un minimum de jour de télétravail possible : "dans la majorité des négociations déjà en cours, voire même dans toutes, on arrive à trouver des accords sur les mesures à mettre en place, car il y a des lignes qui sont données par le ministre du travail et après, on adapte, on fait du sur-mesure dans l'entreprise pour l'intérêt de tous".
Et de finir par nous rappeler que l'assouplissement du protocole sanitaire va permettre de nouveau les pots entre collègues au bureau, à condition de respecter les gestes barrières bien sûr, et de préférence en extérieur. Une bonne nouvelle selon l'avocate, car "ça peut paraître léger, mais c'est important car ça fait partie de la cohésion d'équipe et permet de se dire qu'il y a encore une vie d'entreprise avec des moments de convivialité."