Un magasin Grand Frais à Beaucé ? Opposée à l'implantation, la Ville de Fougères fait appel de la décision administrative

La Ville de Fougères (Ille-et-Vilaine) a fait appel, ce 15 février, des jugements du tribunal administratif de Rennes qui avait rejeté en 2022 les recours de la commune contre l'implantation d'un magasin Grand Frais sur la ville voisine de Beaucé (Ille-et-Vilaine).

La Ville de Fougères a fait appel ce jeudi 15 février 2024 des jugements du tribunal administratif de Rennes qui avaient rejeté pour un problème de forme, en 2022, ses recours contre le permis d'aménager de la zone de Beauséjour et le permis de construire accordé à Grand Frais pour s'implanter sur la commune voisine de Beaucé (Ille-et-Vilaine).

Le rapporteur public, dont les avis sont souvent suivis par les juges, a proposé de les censurer : selon lui, une commune est en droit de demander l'annulation des autorisations d'urbanisme délivrées par un autre.

Fougères "pas atteinte sur son activité commerciale"

Cette "intéressante question" de "l'intérêt à agir" de la Ville de Fougères dans un tel contentieux "nécessite un raisonnement en deux temps", a-t-il expliqué : de façon générale, une commune peut attaquer un permis de construire sur le territoire de sa voisine si cela a "une incidence" sur elle-même, comme "un surcroît de trafic" automobile ou "une problématique de gestion du stationnement" a-t-il cité en exemples.

En 1987, le Conseil d'État avait ainsi déjà reconnu "l'intérêt à agir" de la ville de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) contre l'extension du stade Roland-Garros à Paris, et en 2020 la cour administrative d'appel de Versailles avait admis celui de la ville d'Arpajon (Essonne)... contre l'implantation d'un magasin Grand Frais sur la commune voisine d'Avrainville au vu du risque de "captation de la clientèle de son marché couvert".

À Beaucé, le magasin Grand Frais va ainsi s'implanter "à 350 mètres des frontières" de la ville de Fougères, où le taux de vacance des commerces oscille "entre 6 et 23 % selon les quartiers". En l'occurrence la municipalité de Louis Feuvrier n'est "pas atteinte dans son activité commerciale" puisqu'elle "n'a par définition ni clientèle ni chiffre d'affaires", mais elle a "un intérêt urbanistique" à contester ces décisions.

"La guerre du tous contre tous"

"C'est un débat extrêmement intéressant, dans un contentieux assez atypique où une commune attaque une autre commune", a réagi Me Adrien Colas (Lexcap Rennes), l'avocat de la commune de Beaucé, aux côtés du maire Stéphane Idlas, présent à l'audience. "En quelque sorte, Fougères demande un droit de regard sur les projets de ses voisines... Mais je ne peux absolument pas partager l'avis du rapporteur public : je peux entendre que les commerçants de Fougères soient inquiets car ils vont avoir des concurrents, mais pas la commune !"

Ce raisonnement juridiquement bancal et extrêmement dangereux reviendrait à mettre le doigt dans un engrenage. Cela signifie que, demain, toutes les communes vont pouvoir s'attaquer les unes aux autres pour contester les projets de lotissements au motif qu'ils leur piquent des habitants. Ce serait la guerre du tous contre tous.

Me Adrien Colas

avocat de la Ville de Beaucé

L'avocat de la ville de Fougères, quant à lui, maintient qu'un tel projet va mettre à mal "la politique de revitalisation" des commerces de Fougères, qui s'est traduite notamment par la conclusion d'un programme "Action Cœur de ville" en faveur des petits commerces.

L'aménageur a versé près de 30 000 euros à Beaucé

Sur le fond du dossier, il estime que le maire de Beaucé aurait dû solliciter un avis de l'Autorité environnementale : cette dernière doit être saisie pour les projets qui impactent une zone "supérieure à dix hectares". Mais les "trois lots" concernés par l'arrivée de Grand Frais à Beaucé s'étalent sur "environ deux hectares", a relevé le rapporteur public. "Autrement dit, un chiffre inférieur aux seuils", a-t-il fait observer.

Mais ces "trois lots" s'inscrivent en réalité dans "une opération beaucoup plus vaste, cohérente et interconnectée", a objecté la ville de Fougères. Elle reproche en substance à son homologue de Beaucé d'avoir "illégalement" autorisé le "fractionnement" du projet "pour se soustraire à cette obligation" de saisine de l'Autorité environnementale.

Mais "malgré les doutes que vous pourriez avoir et que nous partageons, il n'y a pas d'autres indices au dossier", a dit le rapporteur public aux trois juges. "Il ne semble pas que ce projet soit un préalable nécessaire au reste de la zone." En tout état de cause, s'ils ne suivaient pas son avis, le magistrat leur a proposé de donner six mois à la commune et à l'aménageur Maba Beauséjour - la société dans laquelle se sont associés Laurent Baron, le propriétaire du Super U de Saint-James (Manche) et Loïc Masson, de Masson Bois et Matériaux - pour régulariser ce point.

La ville de Fougères reproche aussi à la commune de Beaucé d'avoir entaché ce permis d'aménager d'un "détournement de pouvoir" : elle a "perçu une somme" de 28 500 € de la part de l'aménageur "pour prendre en charge les frais liés à la modification" du Plan local d'urbanisme.

Des fragilités et des irrégularités

Mais "à supposer même que ce versement serait illégal, la Ville de Fougères n'établit pas que le projet aurait été souhaité par Beaucé du seul fait du versement de cette somme d'argent", a objecté cette fois-ci le rapporteur public. "Au contraire, il ressort des pièces du dossier que ce souhait est bien antérieur." Le versement des 28 500 € correspond en réalité à "la prise en compte de la taxe forfaitaire sur les terrains devenus constructibles" si la vente des terrains se faisait "après la modification du PLU", a précisé au passage l'avocat de la commune de Beaucé.

L'avocat de la ville de Fougères a néanmoins demandé aux juges de sanctionner les "fragilités" et les "irrégularités" du dossier de permis d'aménager octroyé par la mairie de Beaucé : le versement des 28 500 € est une sorte de "contractualisation" de la "police spéciale de l'urbanisme" dévolue aux communes à un opérateur privé, selon lui, ce qui constitue "au moins une erreur de droit". "Cette prise en charge traduit le renoncement de la commune à exercer ses propres compétences", a reformulé Me Jean-Franck Chatel (cabinet Coudray).

Concernant la demande d'annulation du permis de construire accordé à la société GDFI 113 - une société civile immobilière dirigée par Olivier Guinet, responsable du développement chez Grand Frais - le rapporteur public a adopté un raisonnement similaire : il a estimé que la ville de Fougères était en droit de le contester, sur le principe, mais il a proposé de rejeter en grande partie sa requête sur le fond.

Le magistrat a d'abord fait observer que la surface de ce magasin de 990 m² était "tout juste" inférieure au seuil de 1 000 m² au-dessus duquel une autorisation d'exploitation commerciale est nécessaire. Selon lui, il y a un seul vice à corriger dans ce permis de construire : les places de stationnement enherbées prévues entre le magasin et la RN12 ne peuvent pas être comptabilisées en aménagements paysagers.

La cour administrative d'appel de Nantes, qui a mis ses décisions en délibéré, rendra ses arrêts dans un mois environ. Grand Frais n'était ni présent ni représenté par un avocat à l'audience, tandis que celui de l'aménageur Maba Beauséjour, Me Arthur Delaunay, n'a pas fait d'autres commentaires à l'audience que ceux déjà mentionnés dans ses mémoires écrits.

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