Une allocation logement retirée sans explications, un dossier retraite qui piétine, des courriers qui restent sans réponses... L'an passé, le Défenseur des droits a constaté une hausse des réclamations d'usagers, souvent perdus face à la dématérialisation dans les services publics. Illustration à Saint-Malo dans le bureau d'une déléguée en région, qui aide les citoyens perdus à sortir d'un mauvais labyrinthe.
C’est un petit bureau au rez-de-chaussée de l’Espace Bougainville dans le quartier de la Découverte à Saint-Malo. Dans le couloir, quelques chaises pour patienter, où se succèdent des usagers perdus dans un labyrinthe administratif. Ils viennent là comme pour saisir une dernière chance. Et c'est Annie Lefort qui les accueille.
Elle est l’une des 570 délégués du Défenseur des droits en France. Créée en 2011, cette institution indépendante de l’Etat, s'est vue confier deux missions : défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés, et permettre l'égalité de tous et toutes dans l'accès aux droits.
"Toute personne physique ou morale (société, association…) peut la saisir directement et gratuitement lorsqu'elle
-constate qu'un représentant de l'ordre public ou privé n'a pas respecté les règles de bonne conduite
-estime que les droits d'un enfant ne sont pas respectés
-a des difficultés dans ses relations avec un service public (Caisse d'Allocations Familiales, Pôle Emploi, retraite, etc)"
Des réclamations en augmentation
En France, le nombre de réclamations auprès du Défenseur des droits a augmenté de 9% en 2022, pour dépasser les 125 000. En Ille-et-Vilaine par exemple, la hausse est même de 15%. Et parmi les 5 domaines de compétence, ce sont les relations parfois compliquées entre les usagers et les services publics, qui monopolisent la quasi-totalité des dossiers.
"Je veux savoir pourquoi j'ai perdu mon allocation. Je veux une réponse !"
Pour Annie Lefort à Saint-Malo, les relations compliquées entre usagers et services publics représentent 95% de l'activité, environ 150 dossiers l'an passé.
Ce matin-là, à sa permanence, Elisabeth a pris rendez-vous. C’est une ancienne commerçante de 65 ans, un peu désespérée, qui a dû quitter son appartement quand la CAF lui a retiré une allocation logement à laquelle elle estime avoir droit. Elle ne comprend pas pourquoi, et elle n'a pas de réponse.
"Mes courriers, même en recommandé, sont restés lettres mortes. Et Internet, c’est compliqué… Sans cette allocation logement, avec de trop petits revenus, j’ai dû retourner vivre chez mes enfants. A 65 ans, ne plus pouvoir s’assumer, vous imaginez ? C’est injuste. Je veux savoir pourquoi. S’ils ont le droit de leur côté, je l’accepterai, mais je n’ai pas de réponse. C’est insupportable.
Elisabeth, en conflit avec la CAF
Une dématérialisation qui pose problème
Pour Annie Lefort, la déléguée malouine du Défenseur des droits, la dématérialisation croissante est trop souvent la cause du problème.
"Les gens n’ont plus d’interlocuteur privilégié qui suit leur dossier. Sur internet, les procédures sont complexes, et les usagers pas toujours armés pour s’y retrouver. Ce sont souvent des personnes seules ou bien d’un certain âge, qui se retrouvent démunies".
Annie Lefort, déléguée du Défenseur des droits
"Les usagers ne comprennent pas pourquoi on leur retire telle ou telle allocation, pourquoi leur dossier de retraite est en panne, pourquoi elles n’arrivent pas à rencontrer quelqu’un, en face, pour faire valoir ce qu’elles estiment être leurs droits."
Le délégué du Défenseur des droits obtiendra une réponse
En fonction de la nature des dossiers, la déléguée du Défenseur des droits peut alors délivrer une simple information, proposer une autre orientation, ou s’investir, si c’est de son ressort, dans une médiation avec l’administration concernée.
C’est l’option qu’elle va prendre pour Elisabeth. "Dans chaque service public", explique Annie Lefort, "nous avons des interlocuteurs qui se doivent de nous apporter une réponse. Ce qui ne veut pas dire que la réponse va forcément satisfaire l’usager. Mais au moins, il sera fixé. Et c’est beaucoup".
"Le problème, c’est trop souvent la non-réponse. J’ai vu des dossiers avec des usagers ayant reçu le même jour deux courriers de la même administration parfaitement contradictoires. Alors les gens relancent, mais ils n'ont pas de réponse. Et ils sont paumés, fragilisés. Certains peuvent carrément renoncer à leurs droits potentiels."
"Les gens ont besoin d'écoute"
Si Annie Lefort fait preuve d’agilité pour traiter les dossiers, c’est que dans une vie antérieure, elle a longtemps piloté un office HLM, ça aide. Depuis 10 ans, la voilà donc déléguée du Défenseur des Droits. Bénévolement. Avec juste une indemnité pour ses frais de déplacement.
Pourquoi fait-elle çà ? "Bonne question", dit-elle. "J'ai un intérêt pour les autres. Ma vie professionnelle dans les services sociaux est sans doute passée par là. Les gens ont un besoin d’écoute. J’aime les aider à résoudre les problèmes, parfois leur annoncer une bonne nouvelle, mais ce n'est pas toujours le cas. Et puis je peux les guider aussi, pour leur permettre quand ils se croient perdus, de passer à autre chose, de rebondir, de regarder devant".
Réponse sous un mois
Elisabeth, en panne d'allocation logement, devrait être fixée sur son sort sous un mois. Des coups de main comme celui-ci, les délégués en région en donnent chaque semaine des centaines en France.
Pendant ce temps-là au siège du Défenseur des Droits à Paris, on traite le problème sous un autre angle. Par le haut. En adressant des recommandations aux Services Publics, aux Ministères concernés, pour qu’ils débloquent des moyens et facilitent la vie de leurs usagers.