Le baiser, ce qu'il raconte de nos relations et de nos sociétés

Analyste des mouvements intimes de notre société, le sociologue breton Jean-Claude Kaufmann a choisi le baiser comme fil rouge de son dernier ouvrage. Pauvre baiser, malvenu autant qu'indispensable par les temps qui courent.

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Le baiser, menace de mort

"Arrêtez les embrassades". C'est cette injonction un peu surréaliste, née d'un virus envahissant, qui a décidé le micro-sociologue breton Jean-Claude Kaufmann à prendre le baiser comme fil d'analyse très concret de l'évolution des relations humaines. Son dernier ouvrage, Ce qu'embrassez veut dire, déroule ce fil à travers le temps et les cultures.

On ne peut pas se priver de baisers de manière interminable

J.C.Kaufmann

Centré sur les lèvres, le baiser s'intègre dans un mouvement d'ensemble des corps, une embrassade, désirante ou réconfortante. Intrusion du politique dans l'intime, son interdiction siège au bilan des dégâts psychologiques importants occasionnés par "les gestes barrières".

"Les gens sont placés dans une obligation d'insurrection quand l'envie d'embrasser est trop forte" constate-t-il. "On ne peut pas se priver de baisers de manière interminable. Le baiser intervient dans toutes les scènes d'émotion intense, qu'elle soit joyeuse ou triste."

Baiser vertical, baiser horizontal

Le baiser n'a pas toujours été symbole d'affection ou d'érotisme. Les premiers baisers chrétiens étaient empreints de spiritualité, puis pendant tout le Moyen-Âge et jusqu'au siècle des Lumières, ils furent un instrument permettant de structurer la hiérarchie sociale, générant soumission plutôt qu'affection.

Baiser de fraternité échangé par les chevaliers, il scellait les liens horizontaux de la communauté.

Appliqué sur la bouche des femmes par les seigneurs ou par les cardinaux "pour mal plaisants qu'ils soient" (Montaigne), il était alors la marque d'une hiérarchie verticale.

"Au Moyen-Âge dans le Dauphiné, les nobles baisent le seigneur sur la bouche, les bourgeois sur le dos de la main, et les vilains sur le pouce. " rapporte Jean-Claude Kaufmann dans son ouvrage.

Baiser intime

C'est la modernité des Lumières, fondée sur la rationalité et l'autonomie individuelle, qui a fait basculé le baiser dans la sphère intime. Et même là, il n'est pas forcément symbole d'un désir partagé et échangé.

"Jusqu'à la fin du XIXème siècle, un couple sur deux n'échangeait pas un seul baiser de toute son existence" raconte le sociologue.

Et il consigne dans son livre des pratiques pour le moins étonnantes, et pas si lointaines : "Au début du XXème siècle dans les campagnes d'Ille-et-Vilaine, le message d'amour se transmettait en se crachant dans la bouche."

Baisers d'ailleurs

Jean-Claude Kaufmann nous emmène aussi dans un tour du monde des baisers, où l'on découvre que si l'uniformisation à l’œuvre avec la mondialisation touche aussi les embrassades, des pratiques fort différentes ont longtemps existé.

"Au Québec jusque dans les années 50, tout le monde s'embrassait sur la bouche. S'embrasser sur la joue c'était comme une insulte", rappelle-t-il.

Et il souligne aussi que le baiser, répugnant pour les Chinois, n'a pas de place non plus dans la littérature japonaise.

Renifle-moi

Beaucoup plus répandu que le baiser tactile, le baiser olfactif se pratique à la fois en Laponie, en Sibérie, en Polynésie, à Bornéo, chez les Amérindiens et les Swahilis. "Le nez est appliqué sur la joue pendant la salutation, avec une forte inhalation. Au lieu de dire embrasse-moi, on dit renifle-moi."

L'avenir du baiser

Comme le laisse deviner son sourire pétillant derrière ses bacchantes, Jean-Claude Kaufmann est un homme d'optimisme, et d'amour ! Selon lui, le baiser survivra à l'ordre de disparaître, parce qu'il est indispensable : "On meurt de cette injonction. Cet évènement n'a fait qu'accentuer un phénomène déjà à l'oeuvre. Mais face à une société tellement exigeante et destructrice, les baisers sont de plus en plus nécessaires pour se restaurer et s'envelopper".

Selon lui le baiser est le symbole d'une philosophie de l'existence qui nous permet d'aller vers un monde meilleur.

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