La terre, elle l'aime, mais manque d'expérience pour la cultiver. Marthe Mosset, ingénieure agronome, décide alors un été, au lieu de partir en vacances, d'apprendre à faire du pain. Sa formation, au contact de paysans boulangers va être une vraie révélation. Elle raconte.
Depuis son enfance, Marthe Mosset se souvient qu'elle a toujours aimé se saisir de la moindre occasion d'aider à la ferme chez ses ami(e)s enfants d'agriculteurs et d'agricultrices. Tout l'intéresse."Je me sens attirée par la terre, liée au monde agricole" rapporte-t-elle."J'ai toujours été sensible à la protection de l'environnement et à de nombreuses causes écologiques."
Dans un coin de sa tête, elle a toujours rêvé de devenir agricultrice, de cultiver une terre tranquille et nourricière, rattachée à des valeurs familiales et à une tradition morale. Un idéal de vie qu'elle façonne dans son attachement à la figure paysanne. Son éthique et sa sensibilité écologique guident ses choix de vie. Elle cesse d'acheter des vêtements neufs, privilégie ses achats en circuit court...et obtient le diplôme d'ingénieure agronome pour comprendre le sol et agir sur l'environnement. Pour tenir une exploitation, il lui manque encore néanmoins des connaissances pratiques. Du haut de ses 1,70m la jeune femme volontaire au teint mat décide alors de mettre la main à la pâte en apprenant à faire du pain dans une petite ferme biologique.
La valeur éthique du pain
Un des agriculteurs du domaine lui confie son histoire. "Faire du pain, c'est pour moi entretenir la vision de mon père qui l'apporte sur la table, le brise et le distribue à tout le monde. C'est ça que je veux faire. Nourrir la population tout en prenant soin de la planète. Pour moi, le pain est chargé de valeurs et d'émotions. Il est sacré. C'est la pièce maîtresse des repas."
Au final, j'ai autant appris des raisonnements de vie que des savoirs-faire.
Marthe Mosset
Marthe explique : "Nous échangeons beaucoup. Les trois associés du moulin me parlent de leurs diverses expériences. Les producteurs sont à la recherche de techniques pour trouver les meilleurs compromis entre un rendement optimal et un impact minimal sur l'environnement (travail du sol simplifié, couverture du sol, création et développement de leurs semences...) Les dilemmes sont nombreux et difficiles à résoudre. Sans cesse, ils se remettent en question pour ne pas détruire la vie du sol et produire une alimentation suffisante, saine, sûre et durable".
Pain et partage
Les paysans boulangers échangent leurs parcelles avec une exploitation bovine située sur la même commune. Les déjections des bêtes enrichissent à tour de rôle chaque champ. Cette rotation des cultures rend la terre plus fertile, optimise le rendement et la qualité des céréales et de l'herbe. Leur entente leur fait faire des économies de temps et d'argent. L'éleveur de bovins ne dépense ni une minute ni le coût d'un outil dans la production de blé. "La formule est rare" explique Marthe, "ils troquent du fumier contre de la paille, trouvent continuellement de nouvelles idées pour gagner à plusieurs. Quand on s'entend bien socialement, tout le monde est gagnant. Ce cercle vertueux créé du bonheur au travail et par conséquent de meilleurs produits".
Dans cette petite boule à l'allure si simple, il y a toute une économie à la fois écologique, locale et solidaire.
Marthe Mosset
Installée sur le site, Marthe donne son temps en échange de pain, de légumes, d'œufs et bien sûr d'expériences.
Je vais dans le jardin et là c'est trop bien, il y a toujours une idée de repas.
Marthe Mosset
Elle aime cette vie simple et chaleureuse.
Ces boulangers souhaitent nourrir le plus grand nombre. Ils décident de fixer au plus bas le prix du pain basique et de majorer le tarif des pains spéciaux. "C'est l'idée d'une économie solidaire" explique Marthe.
À LIRE : Économie sociale et solidaire. Pourquoi la Bretagne championne de France.
Mettre la main à la pâte
À 23 ans, Marthe Mosset respire l'énergie de la jeunesse. Son allure est vive, le timbre de sa voix et ses grands yeux noirs bien déterminés. C'est facilement qu'elle se met au travail. "Ils ont fait le choix du tout manuel. Le travail est physique, j'ai adoré. Il n'y a jamais un moment pour s'asseoir. C'est gratifiant dans une ferme de réaliser un produit fini en une journée, de passer de la graine au pain."
La journée commence à quatre heures du matin pour les agriculteurs. Elle les rejoint vers sept heures. Deux cycles identiques de six heures sont nécessaires pour pétrir à la main deux cents kilos de pains bio. Chaque pétrissage dure vingt minutes et engloutit à chaque fois cent kilos de pâte divisée en cinq bassines.
Tout ce travail nécessite un ressenti particulier. Il n'y a pas de recette sur leurs sacs. "Ils ressentent cette matière : une "patouille" qui colle aux doigts, faite comme avec de l'eau et un sable léger. Ils savent la manipuler."
Leur technique est belle et fluide. Naît une danse entre leurs mains et la matière.
Marthe Mosset
Quatre ingrédients : farine, levain, sel, eau suffisent aux recettes. Mais la pâte n'est jamais la même. De nombreux paramètres modifient sa texture. "En fait, c'est compliqué" souligne-t-elle. Au bout d'un mois et demi, elle a encore à apprendre. "Tout se fait à l'œil et au toucher. Si la pâte est trop sèche ou trop élastique, les paysans boulangers savent la rattraper. Ils connaissent la température du four au ressenti de sa chaleur sur leur visage. S'il est trop chaud, ils y jettent de l'eau. Ils ont un thermomètre infrarouge à visée laser, mais s'en servent peu" s'étonne-t-elle encore.
C'est long et difficile de ressentir tous ces gestes, de s'approprier tout ce savoir-faire.
Marthe Mosset
La farine signe l'identité du pain, lui donne son caractère, son odeur et sa saveur locale. Chaque recette est unique. Le secret ? La proportion en farine. Elle n'est jamais la même. Chaque paysan boulanger la définit. "Elle est liée au fonctionnement de son moulin et à sa manière de travailler", explique Marthe Mosset.
Le blé est comme un cépage. "Rouge de bordeaux", "Torka"... un mélange de variétés anciennes et modernes de céréales pousse sur leur terre. Chaque année, l'objectif est le même, obtenir un bon cru. Faire du pain n’est pas une science exacte, il faut tester, observer, etc. La patience est donc nécessaire.
"Durant le mois et demi où j'étais là, ils n'ont jamais raté une seule fournée. Pas d'horloge ni de minuterie. Rien qu'à l'odeur ou à la couleur du pain, ils savent quand il est cuit", explique Marthe.
Ils tapent sur la croûte. Si ça sonne creux, c'est que c'est cuit. Ce bruit est leur plus grand indicateur de cuisson.
Marthe Mosset
À la fin de chaque vente à la ferme ou au marché, il ne reste jamais une miette. La production des belles boules dorées à la croûte épaisse s'écoule en circuit de distribution court, sans intermédiaire ni le passage par une enseigne de distribution.
Le pain, un produit du futur
Marthe ne sait pas exactement quel métier elle souhaite exercer. "Peut-être paysanne boulangère" nous confie-t-elle. Cette première expérience lui en a en tout cas donné envie. Cette profession demande toutefois de gros investissements de temps et l'enjeu financier peut impressionner."Je ne me lancerai pas toute seule. J'aimerais vivre dans une petite exploitation respectueuse de l'environnement. J'attends d'avoir une opportunité" souligne-t-elle.
"Je ne vois pas l'avenir autrement. Notre génération sait peu de choses du monde agricole. On est complètement déconnectés de la terre. Pourtant, dans mon entourage, de plus en plus de personnes non issues du milieu agricole souhaitent s'installer dans des systèmes plus résilients et autonomes" relate-t-elle.
"Je ne me considère pas en retard ou décalée avec mon époque, je vois juste les choses différemment. Il faut revenir à des choses plus simples, à plus de contact avec la terre, ça rend heureux" conclut-elle dans un sourire.