Dix-huit médecins du Morbihan sont invités par la CPAM à venir s’expliquer sur le nombre d’arrêts de travail qu’ils ont accordés. En France, 8,8 millions d’arrêts ont été délivrés en 2022 contre 6,4 millions dix ans plus tôt. Une hausse de 30% qui n’est pas du goût du ministre des finances. Il souhaite réaliser une économie de 10 milliards d’euros. Les médecins parlent de chasse aux sorcières et sont vent debout contre cette intrusion dans leurs cabinets.
Les lettres avec accusé de réception sont arrivées dans le courant du mois de juin dans les cabinets de plusieurs médecins généralistes du Morbihan. Ils sont invités à un "entretien confraternel "avec la direction de la CPAM au sujet du nombre d’arrêts de travail qu’ils ont prescrits.
"Ils sont 18 dans le département, ils seraient un millier en France," explique Nicolas Ambroselli du Collectif Médecins du Morbihan. "Nous sommes choqués, humiliés. Nous faisons tous notre travail le mieux possible et on lance une chasse aux sorcières. "
10 milliards d'euros d'économie
Il y a quelques jours, le ministère de l’économie a annoncé qu’il allait faire la chasse aux arrêts maladie de complaisance. La sécurité sociale a aussitôt débuté une vague de contrôles pour lutter contre les dérives de certains médecins accusés de prescrire trop d’arrêts. "Certains en accordent deux, trois ou quatre fois plus que la moyenne" expliquait alors le directeur de l’Assurance maladie, Thomas Fatome.
En France, 8,8 millions d’arrêts ont été délivrés en 2022 contre 6,4 millions dix ans plus tôt. Une hausse de 30% qui n’est pas du goût du ministre des finances. Il souhaite réaliser une économie de 10 milliards d’euros.
Chasse aux sorcières
Les médecins sont très très en colère. "Nous ne savons même pas comment les calculs sont faits, déplore Nicolas Ambroselli. C’est un délit statistique."
Et le médecin détaille : "Nous n’avons pas tous la même patientèle. Suivant le lieu où vous exercez, l’âge de vos malades, vous n’avez pas les mêmes pathologies, certaines nécessitent des interruptions de travail plus longues. Si vous avez beaucoup d’enfants ou de retraités, c’est logique, vous ferez beaucoup moins d’arrêts de travail. Si vous acceptez de recevoir des urgences, vous en ferez davantage. Tout cela joue, mais les médecins ne sont pas responsables de la démographie."
Et puis, constate le médecin, "le monde du travail est en souffrance. Les gens ne sont donc pas bien et ont besoin d’arrêts. Ce n’est pas de notre faute, nous n’y sommes pour rien dans ce malaise-là. A la limite, on pourrait regarder quelles sont les entreprises qui ont le plus d’arrêts pour travailler sur les causes et diminuer leur nombre, mais pas s’en prendre à nous. "
Enfin, le médecin le reconnait volontiers, la médecine est malade. Les clients ne trouvent plus de rendez-vous, ni pour faire une radio, ni pour passer un examen, ou voir un spécialiste. "Ils ne sont donc pas soignés, parfois leur état se dégrade et nous devons prolonger leurs arrêts."
"Nous ne sommes pas coupables"
Depuis 10 ans, avec la rémunération sur objectif, les médecins se voient attribuer des primes sur le nombre d’arrêts de travail, le nombre de bons de transports en ambulance, sur le nombre de médicaments génériques, sur les chiffres de diabète ou de cholestérol. "Mais je ne suis pas derrière le pot de Nutella ou la bolée de cidre de mes patients, grince Nicolas Ambroselli. Nous, nous sommes là pour soigner les gens, pas pour répondre à des objectifs."
Nous, nous sommes là pour soigner les gens, pas pour répondre à des objectifs
Nicolas Ambroselli, collectif Médecins du Morbihan
Avec ce contrôle des arrêts de travail, il craint de voir l’Assurance maladie s’introduire dans la relation patient/ médecin. "Cela peut semer le doute dans la tête des malades. On est en novembre, est ce que le docteur X a déjà distribué son quota d’arrêt ? Est-ce que je peux aller le voir ? C 'est la relation de confiance avec nos clients qui est mise à mal. "
"Nous ne sommes pas là pour nous immiscer dans la raltion entre le médecin et le malade, répond Françoise Le Fur, directrice de la CPAM du Morbihan. Nous sommes là pour faire diminuer le nombre d'arrêts de travail en concertation avec les médecins, c'est un accompagnement."
"L'an dernier, précise-t-elle, nous avons reçu une douzaine de médecins, nous avons échangé, discuté, et leurs prescriptions d'arrêts de travail ont diminué de manière significative."
Objectif, réduire le nombre de jours d'arrêt
La Sécurité sociale a prévu deux solutions pour les médecins qui dépassent. Soit ils acceptent une mise sous objectif. "Et si le praticien redevient un bon professionnel qui n’écoute pas ses patients mais la Sécu, tout rentrera dans l’ordre", ironise le médecin. "Si ce n’est pas le cas, il pourrait se voir infliger une amende de l’ordre de 7 000 euros."
Soit il y a mise sous accord préalable et dans ce cas-là, précise Nicolas Ambroselli, "le médecin devra demander l’accord du médecin conseil de la sécurité sociale pour chaque arrêt. On en fait parfois 10 ou 15 par jour, il faudra à chaque fois, joindre le médecin conseil, lui expliquer la situation et qu’il prenne vite une décision parce que pendant ce temps-là, le patient est toujours là. C’est infantilisant, décrédibilisant…"
"On nous met sur le banc des accusés, conclut Nicolas Ambroselli, mais quand on est médecin, la seule question qui compte c’est : de combien de temps monsieur X ou madame Y aura besoin pour guérir."