Le 4 juin dernier, la cour d’appel de Rennes a condamné Xavier Marabout à verser 20 000 euros aux ayants droits d’Hergé. L’artiste breton a représenté le plus célèbre des reporters dans des tableaux inspirés du peintre américain Hopper. Une façon d’interroger sur le monde sur la sexualité et de faire naitre des sourires. Aujourd’hui, il fait la grimace.
Sur la toile, "Matin ensoleillé", parodie de "Morning sun" d’Edward Hopper, Tintin, assis sur un lit, torse nu, regarde par la fenêtre. Un soutien-gorge posé près de lui.
Sur une autre, "Baiser sous le pont de Queenboro", parodie de "Queensborough Bridge", Tintin, de trois quarts dos au volant d’une voiture, embrasse une femme.
Tintin au pays des pin-up
Xavier Marabout voulait à la fois faire naître des sourires sur le visage des spectateurs de ses toiles et les interroger : "est-ce que Tintin peut tomber amoureux ?"
Sur ses peintures, Tintin et tous ses acolytes, le Capitaine Haddock, Milou, les Dupont et Dupond, croisent des pin-up qui dévoilent leurs jarretelles. Des femmes qui laissent entrevoir leurs décolletés voluptueux ou leurs jambes court-vêtues.
L’artiste souhaitait rendre hommage au petit personnage d’Hergé. "Quand on est artiste, on cherche avant tout à provoquer l’émotion, à questionner sur le monde, la vie d’adulte de Tintin, confronté aux sentiments, à la difficulté de la vie, à la sexualité et aux failles de la condition humaine", mais les ayants droit du dessinateur ne l’entendent pas ainsi.
Les mésaventures de Tintin au tribunal
En 2021, le peintre se retrouve une première fois devant le tribunal. La justice avait alors reconnu l’exception de parodie, notion destinée à garantir la liberté d’expression des artistes. Le tribunal avait constaté qu’il ne pouvait y avoir de confusion, puisque l’œuvre parodiée se distinguait clairement de l’œuvre originale. La justice avait retenu l’intention humoristique et l’absence d’éléments dénigrants ou avilissants l’œuvre d’Hergé. La société Moulinsart, titulaire exclusive dans le monde entier des droits d’exploitation de l’œuvre d’Hergé, avait été déboutée. Elle avait fait appel.
Cette fois, la cour ne voit pas de parodie dans un Tintin qui boit une bière, fume ou arbore des tatouages.
L’artiste ne comprend pas, "il y a énormément de choses qui m’étonnent", soupire-t-il. "Je n’arrive pas à comprendre que je puisse faire sourire les gens et que l’on ne me reconnaisse pas cette intention de faire sourire. Je m’interroge sur cette notion de parodie et sur l’interprétation qu’en fait la Cour d’appel de Rennes."
"Dans la parodie, plaide-t-il, toute la difficulté, c’est de trouver le bon équilibre entre l’excès et le respect. Je pensais que j’étais bien dans cet équilibre." Dans les expositions, il a croisé des milliers de personnes qui ont souri.
Xavier Marabout s’interroge. Depuis ses débuts, il se plaît à mélanger les univers. Il a fait entrer le personnage de Batman dans l’univers de Klimt, revisité la notion d’idoles en totemisant façon art premier les Beatles ou les Rolling Stones et placé des personnages de Tex Avery dans des toiles de Picasso. Mon ambition c’est de faire sourire et de faire réfléchir. Je n’ai jamais eu aucun souci avec personne, et là…
Tintintamarre
Dans son jugement, la cour d’appel note que "le critère de l’absence de risque de confusion avec l’œuvre empruntée est manifestement rempli par les œuvres de M. Marabout qui fusionnent deux univers radicalement opposés : celui, austère et posé, d’Edward Hopper, et celui, joyeux et dynamique, de Tintin. Le décor principal est celui d’Hopper et les personnages de Tintin y sont installés, tels des intrus, dans des postures suffisamment différentes de celles de la bande dessinée pour permettre au spectateur d’identifier immédiatement qu’il ne se trouve plus dans une œuvre d’Hergé" mais ajoute aussitôt, "Il est évident que, si une personne est intéressée par une toile de M. Marabout, c’est d’abord et avant tout parce qu’elle contient des ingrédients de l’univers de Tintin. Sans préjuger de sa qualité d’artiste-peintre, son succès n’aurait pas été le même s’il avait utilisé des inspirateurs moins célèbres. En surfant sur la notoriété d’Hergé de façon parfois massive, en tout cas répétée, voire systématique, pour accéder à la sienne, il a commis des actes de parasitisme qui doivent donner lieu à dédommagement."
"La cour me dit que j’aurais dû demander l’autorisation aux ayants-droit", s’agace Xavier Marabout. Mon positionnement de parodiste implique que je n’ai pas à le faire, que je n’ai pas à demander cela.
On me reproche de surfer sur la notoriété de Hopper et de Hergé. Dans l’art contemporain, énormément d’artistes de la pop culture ont revisité les œuvres. Si on me condamne pour cela, on condamne tout un courant de l’art contemporain."
Xavier MaraboutArtiste
L’artiste envisage de se pourvoir en cassation, mais ce n’est pas suspensif, cela veut dire qu’il faudrait que je paie l’amende et que j’engage les frais de justice. Je n’ai pas la capacité financière de le faire. Il envisage de créer une cagnotte en ligne pour défendre la liberté d’expression et cette notion de parodie.