Dans les salles d’attente, dans les cabinets médicaux, les affiches s’étalent et annoncent un Décembre noir. Depuis ce 2 décembre 2024, pendant que l’Assemblée nationale examine le projet de budget de la Sécurité sociale, les médecins généralistes se mobilisent et dénoncent des lourdes menaces contre leur profession.
Le cabinet est ouvert, le docteur Mélanie Rica-Henry reçoit les malades de l’hiver. Les bronchiolites des tout-petits, les bronchites et les angines des autres… Elle ausculte, examine, écoute… Mais depuis ce matin, elle fait toutes ses consultations avec un brassard noir accroché au bras. Elle est aussi présidente de l’association "Médecins Pour Demain" et dénonce en bloc le secret médical menacé, les obligations d'installation, le mépris, les violences pour les praticiens.
Un budget "disette"
Le budget de la Sécurité sociale est actuellement en débat à l’Assemblée nationale et plusieurs lignes du projet inquiètent terriblement les médecins.
Un article notamment qui demande aux médecins de justifier certains de leurs actes. "On remet en cause notre indépendance, s’agace Mélanie Rica-Henry. Il faudra que l’on motive certaines de nos prescriptions d’examens et certains bons de transport. Cela revient à bafouer le secret médical ! "
La mesure a déjà été envisagée pour des médicaments et pourrait être prochainement appliquée, notamment pour des traitements que la sécurité sociale juge trop onéreux. "Il nous faudra faire un papier en plus de l’ordonnance qui justifie notre prescription, s’emporte Mélanie Rica-Henry. Le patient devra présenter ce document à la pharmacie." La liste des médicaments visés doit être promulguée par décret, les médecins ignorent donc encore quels sont ceux qui seront concernés, mais en ces temps de disette de budget, ils redoutent le pire.
"Si un patient ne rentre pas dans les critères de recommandations pour un traitement, il pourrait ne pas avoir son médicament. Et nous médecins, nous serons face à un dilemme: soit on le soigne au mieux avec le remède le plus adapté mais il n’est pas remboursé, soit on ne lui permet pas d’avoir une prise en charge optimale. Nous sommes pris entre deux injonctions contradictoires. Si le texte passe, bientôt, on ne sera plus libres de nos actes!"
Lire : Pénurie de médecins. Une situation inquiétante pour les usagers de la santé
Des médecins en souffrance
En 2024, l’Atlas de la démographie médicale a recensé 199 089 médecins en France. Un chiffre en légère hausse. En Bretagne on compte ainsi 135 médecins généralistes pour 100 000 habitants (un chiffre en hausse de 3,2% depuis 2010), dans les Côtes d’Armor, 116 médecins pour 100 000 habitants (en baisse de 12,6% depuis 2010). Dans le Finistère, 156 médecins pour 100 000 habitants (+6,9% depuis 2010) et dans le Morbihan, 152 praticiens pour 100 000 habitants (+ 13,8%).
On n’a pas fait médecine pour laisser des gens au bord de la route !
Mélanie Rica-Henry, présidente de l'association "Médecins pour demain"
"On sait que nous ne sommes pas assez, constate tous les jours Mélanie Rica-Henry, et là, encore, les médecins doivent faire face à un choix cornélien. Soit on prend des nouveaux patients, mais on risque d’être noyés par la masse, de faire des heures et des heures et finalement de s’épuiser. Soit on refuse des malades qui auraient besoin de nous. Mais on n’a pas fait médecine pour laisser des gens au bord de la route!"
Le 2 décembre 2024
— Médecins Pour Demain (@MedPourDemain) November 24, 2024
Tous avec un brassard noir
Pour protester contre la destruction programmée de la médecine libérale ,
pour conserver la médecine libérale,
la médecine de famille,
la médecine de proximité,
la médecine à la française accessible et humaine.@MichelBarnier pic.twitter.com/cbfXGAViAq
Aujourd’hui, la population médicale est en souffrance : Selon une étude Medscape de 2020, 51% des médecins présentent des symptômes de burn-out. Un chiffre en constante augmentation, avec une hausse de près de 20% en 4 ans. Les plus touchés sont les généralistes: ils représentent 19% des praticiens en souffrance.
Pour Santé Publique France, le secteur de la santé ( et celui de l'action sociale ) est l’un de ceux qui présentent le taux de mortalité par suicide le plus élevé (34,3/100 000).
"On paye aujourd’hui les décisions catastrophiques sur le numerus clausus qui ont été prises il y a trente ans et on est prêt à recommencer le même genre d’erreurs" regrette la médecin.
Lire : Désert médical. Dans cette ville, "20% de la population n’a pas de médecin traitant"
Une solution d’apparatchik
En plus des inquiétudes liées au financement de la sécurité sociale, les médecins font face à une proposition de loi transpartisane qui propose de contraindre les jeunes médecins diplômés à s’installer dans les zones où la densité médicale est la plus faible.
"On va faire fuir les médecins installés, faire fuir ceux qui auraient peut-être un jour voulu s’installer. C’est une solution d’apparatchik, dénonce Mélanie Rica-Henry . C’est joli sur le papier, mais cela risque d’aggraver le problème."
Augmente le numerus clausus si tu veux.
— Vie De Carabin (@VieDeCarabin) November 30, 2024
1) Ça met 10 ans à former un médecin
2) Grosse vague de départ à la retraite dans les 10 prochaines années
3) Les médecins d’aujourd’hui travaillent en moyenne 10% de moins que leurs aînés
4) les capacités d’accueil de nos facultés sont… pic.twitter.com/2sxrYs1IVI
"Si on dit aux jeunes médecins, vous allez vous installer dans les zones blanches, là où on a décidé, ils ne s’installeront jamais. Ils se dirigeront vers le salariat, l’hôpital, une spécialité ou renonceront à soigner ! Nous avons déjà des collègues qui partent exercer à l’étranger poursuit la praticienne. Pour les jeunes qui viennent de faire dix années d’études particulièrement difficiles, cette obligation de s’installer dans une zone blanche, cela ressemble à une sanction. On va les dégoûter de ce métier."
La présidente de l’association "Médecins Pour Demain" souhaite interpeller les patients, les citoyens, les politiques. Elle compte garder son brassard noir toute la semaine et elle avertit : "Si tous ces textes passent, notre profession sera de moins en moins indépendante et les assurés de plus en plus mal soignés."