Confinement : "Ici, nous sommes au cœur de l'humain", Bénédicte, agent social de l'Ehpad de l'Île-aux-Moines

Solidarité plus que jamais sur l’île-aux-Moines dans le Morbihan pour lutter contre le coronavirus. Chronique d’une îloise, agent social de l’Ehpad Léon Vinet. Entre mesures barrières renforcées pour protéger nos anciens et horizon infini de la mer pour parer au vague à l’âme

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Lever du soleil, Bénédicte, autorisation de sortie en poche, sort de sa petite maison surplombant le port de l’Île-aux- Moines.

Grand silence, pas de petite voile blanche sur l’eau, pas de Sinagot. Le premier bateau de liaison entre l’île et le continent était à 7h30. Trafic réduit depuis le confinement, quatre passages dans la journée au lieu d’un toutes les demi-heures, " les poissons respirent ! " songe Bénédicte.

Personne au port, l’office de tourisme, les locations de vélos, les volets des maisons à louer, les cafés restent clos toute la journée.
 


Agent social de jour à L’Ehpad Léon Vinet, cette îloise est à cinq minutes à vélo de la maison de retraite. Juste le temps de couper par les petites ruelles fleuries. Un chemin rien que pour elle, dans la lumière du petit matin.

 

Incroyable comme nous sommes soutenus depuis cette pandémie, c’est une belle reconnaissance de notre métier, un grand soutien qui nous porte aujourd’hui !

Arrivée devant l’Ehpad, telle n’est pas sa surprise de voir un panneau sur lequel est écrit haut et fort: "Bravo à tous ! ".  Depuis la pandémie, les petites intentions des habitants de l'Île aux Moines se multiplient pour le personnel de l'Ehpad: des chocolats déposés dans la supérette, des petits mots et des dessins envoyés par le groupe d'enfants gardé par un instituteur à la retraite, ou encore des gâteaux fabriqués maisons.

Tout le monde s’investit, joue le jeu pour aider les soignants s'enthousiasme Bénédicte.


Vingt-et-un résidents séjournent dans cette petite structure familiale située coté Est de l’île, face à la mer. La majorité a plus de quatre-vingt ans. Quatre hommes sur dix-sept femmes dont la plupart est rattachée à L’ENIM, caisse des marins de commerce, de la pêche et de la plaisance. Ce sont des pensionnaires souvent originaires de l’Ile-aux-Moines. Andrée, la doyenne, va avoir cent ans le 14 mai prochain. 
 

 


Plus un chat ou presque dans les couloirs 


Les résidents sont désormais confinés dans leur chambre. Une épreuve pour les anciens encore plus isolés.
Plus un chat dans les couloirs, à l'exception de leur mascotte, ce félin noir et blanc qui n'a pas vraiment de nom, unique et fidèle présence animale !

Nous sommes au cœur de l’humain, c’est frustrant de freiner les gestes de tendresse !

7h50, après le contrôle de sa température effectuée par Marina, l'une de ses collègues, "On se surveille aussi entre nous, on est attentif au moindre de nos symptômes, il ne faut surtout pas que le virus rentre !" Bénédicte, après un lavage de main au gel alcoolique, "On a la peau usée !", munie d’un masque, de chaussures d’intérieur et d’une blouse, pousse la porte des chambres.

C’est l’heure du petit déjeuner, de raconter les rêves de la nuit, de refaire les lits. Le réveil est tranquille, chacun son rythme. "Chaque moment est important dans le respect de la personne".

Louis, en quarantaine suite à un séjour à l'hôpital en raison d'un bras cassé, n’est pas sorti de sa chambre depuis dix jours. Bénédicte répond à son salut. Pas facile de deviner un sourire derrière le masque, de se faire entendre, et de garder la distance d’un mètre. 
 


12h00, c’est l’heure du repas préparé par Eric, le cuisinier qui mitonne de bons desserts. Chaque fonction a son importance dans la maison de retraite, un investissement de chacun. "L’essentiel est le bien-être des personnes âgées" souligne Bénédicte en montant les plateaux.

Certains résidents à la mémoire capricieuse s’apprêtent à descendre pour partager dans la salle à manger ce moment collectif. Rituel si important dans leur quotidien. L’équipe les informe régulièrement de la situation, "On leur dit la vérité pour que ce soit plus léger". Il faut alors leur expliquer à nouveau la raison de cette nouvelle interdiction et les convaincre de retourner dans leur chambre.

 

C’est pour ça que ça me tue, quand on ne respecte pas le confinement ! Les personnes âgées ont double peine. Vieillir est déjà un enfermement, alors si le confinement se prolonge, il va falloir qu’elles tiennent ! 

 

 


Pas facile non plus de garder l’appétit quand on se retrouve seul face à son assiette. Bénédicte prend soin de placer la table devant la fenêtre donnant sur le jardin, où les lilas et les arums fleurissent, avec la mer, parfois au loin.  

Une petite entorse à la règle, Madeleine et Christiane se retrouvent le midi. Pas de raison d’éloigner ces inséparables qui restent confinées dans le centre et ne portent pour l’heure aucun symptôme du virus.

A 13h30, c’est l’heure du point avec l’équipe dans le bureau de transmission. Plus que jamais, depuis le durcissement du confinement, le personnel médical de l'Ehpad a besoin d’échanger. Les mesures constamment réactualisées sont affichées au tableau. Le protocole de prévention des risques s’alourdit de jour en jour.
Comment répondre aux situations, anticiper au maximum, s’adapter et accompagner les résidents toujours avec la même qualité ? Bénédicte apprécie ce moment.

 

On se sent si utile, surtout aujourd’hui ! 

 


Transparence de rigueur avec les familles, le personnel soignant leurs fait aussi des points régulièrement. Chaque décision est communiquée par mail.

"C’est important de raconter le quotidien aux familles. L’équipe reçoit des messages incroyables pour leur donner de la force ! souligne Carine Capitaine, directrice de l'Ehpad, les familles leurs font confiance."

Le rôle de la direction est aussi de protéger les salariés. Des numéros verts pour des soutiens psychologiques sont affichés dans le local, " Nul besoin pour l'heure grâce à notre équipe soudée ! " déclare Bénédicte.

 


"Allons voir la mer !"


15h30, c'est l'heure de la détente. Léger assouplissement des règles, les personnes âgées qui seront les dernières à sortir du confinement peuvent descendre par petits groupes de quatre l'après midi. C'est l'heure de prendre le thé, de bavarder, de chanter au son de l'accordéon, de faire une partie de jeu de société.

" Nos résidents sont déjà un peu perturbés par la situation. Plus ça va, plus on réduit leur liberté pour les protégeralors on continue à faire tous notre possible pour que ce soit gai " observe Bénédicte.
 


Gare à l'entrée du virus mais aussi au "syndrôme de glissement", à cette tristesse profonde qui ne donne plus de goût à rien. Alors quand le cafard s'installe, Bénédicte propose un petit tour sur la terrasse pour regarder la mer. " La mer, un cadeau, elle nous aide ! "
 


On maintient la cadence, dès que l’on sent la moindre faille ! " souligne Carine Capitaine. Un privilège dans cet Ehpad, "On a le temps d’être à l’écoute ! "

Les résidents gardent le contact avec leur famille grâce aux réseaux sociaux. Ils se familiarisent à ces pratiques nouvelles, comme WhatsApp, ou Skype, moment de partage complice, de rire aussi : Non ! leur famille ne passe pas à la télé quand elle est à l'écran !

 


"Il faut rester concentrer, ne rien lâcher !"


A l’heure du prolongement du confinement, au-delà du 11 mai pour les personnes âgées, l’équipe reste très attentive au repérage du Covid, en veille permanente; " Il  faut surtout ne pas rentrer dans la routine " insiste la directrice. 

Les pompiers ont emmené d’urgence Nicole à l’hôpital de Vannes suite à une chute. A son retour, cette résidente est placée en quarantaine pour éviter tout risque de contagion. "C’est très contrariant, souligne Bénédicte, Nicole va être isolée pendant 15 jours, ça déséquilibre la mise en place ". L’équipe est alors plus que jamais vigilante. Ce n’est pas encore l’heure de parler de l’après-confinement.  
 

 

 

La journée se termine, un jour de plus contre le coronavirus.  


Fin de la journée, les résidents regagnent leur chambre. Bénédicte leur sert le repas du soir, deux aides-soignantes s'apprêtent à prendre le relai.

19h30, retour à vélo en passant devant la plage du port Miquel. Une journée intense, certes fatigante, mais "mission accomplie pour aujourd’hui, une journée de gagnée contre ce virus !" se dit Bénédicte en contemplant la mer étale, si limpide.

Le soleil va bientôt se coucher, personne sur le chemin côtier. Cette îloise qui aime tant son "caillou" profite de ce silence inédit, "Tu sens la mer, tu sens le printemps, le genêt et son odeur de noix de coco, l’herbe coupée".   
Au loin le son de l'organeau, c'est le départ du dernier bateau.
 

 

NOS VIEUX

Ils ont à nouveau l’enfance dans leurs yeux
l’enfance dans leurs jeux
l’enfance dans leurs disputes…

Ils râlent, rient, soupirent, se mettent en colère, ou s’émerveillent..
merveille de la candeur sénile…
Un sourire peint sur leurs visages...

Leur confiance nous est donnée,
donnée sans compter...
et parfois ils racontent...
Une histoire, celle d’un passé
qui surgit dans la lumière
et se lit dans l’émotion.
Les mains se réveillent, s’animent
cherchent des photos.

Ce peut-être nos parents,
nos grands-parents...
Ils ferment parfois la porte des souvenirs
et s’enferment alors dans un silence qui nous isole...
On se questionne...

On frappe à leur porte
on entend cette petite voix...Maman ?
Je ne peux m’empêcher de sourire, de rire aussi
L’émotion est là, toujours
Chancelante et forte à la fois.

Ces vieux (le mot n’est pas péjoratif)
ces vieux sont un passé qui peu à peu disparait avec eux..
et pourtant,
Un passé de passions, de rires, d’amour, désamour, de recherches , de travail…
Un passé riche !
souvent de plus de 90 années!

Je m’attarde, je n’ose pas toujours leur prendre la main
C’est eux qui l’osent pour moi...
leur sourire est un cadeau
plus précieux que beaucoup d’autres...
leur tristesse se lit parfois dans leur attitude
Repliée comme un vêtement rangé
au fond d’une armoire
au goût de naphtaline…
Alors il faut apprendre
à accepter cet éloignement
pour qu’ils se retrouvent à l’intérieur d’eux-mêmes..
Et s’ils sombrent trop
les relever avec douceur
comme si leur âme pouvait se briser en éclats...

Je les regarde et ils me touchent
du plus profond du coeur...
Le confinement en chambre est difficile
mais nous le surmonterons !
Il faut savoir trouver les mots
panser les maux
cueillir des fleurs
écouter les oiseaux...
Et regarder la mer...(nous avons cette chance immense de pouvoir le faire ! )
Les réponses sont toutes là...
Ou presque…

Bénédicte Robert-Bancharelle

 

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