Le juge des référés de la cour administrative d'appel de Nantes a temporairement ressuscité, ce jeudi 19 septembre 2024, l'autorisation préfectorale ayant permis à la ferme-usine de Priziac (Morbihan) de passer de 2772 à plus de 10.200 porcs, sur simples prescriptions complémentaires. L'exploitation peut donc poursuivre son activité jusqu'au jugement de l'affaire sur le fond, d'ici 12 à 18 mois.
Pour rappel, la Société civile d'exploitation agricole (SCEA) du Lichouët de Laurent Cosperec avait bénéficié du feu vert de la préfecture du Morbihan pour procéder à des "installations" et ainsi porter son cheptel précisément à 10.266 porcs.
Mais l'association de défense de l'environnement Ar Gaouenn avait saisi la justice administrative pour faire annuler cet arrêté préfectoral. Cet élevage de porcs a en effet connu une croissance exponentielle : il a débuté en 2001 avec 2.772 places d'élevage, avant de voir ce nombre porté à 3.490 en 2009, 8.264 en 2017 et 10.068 en 2019. La porcherie industrielle avait ainsi pu s'agrandir à coups de simples "prescriptions complémentaires" préfectorales, un cadre juridique moins contraignant que celui des "autorisations" environnementales.
"Eu égard à la nature et à l'ampleur des modifications apportées (...) le préfet du Morbihan comme le pétitionnaire ne sauraient se contenter de soutenir que cette nouvelle extension d'activité n'est pas susceptible d'avoir des incidences négatives substantielles sur l'environnement", avait finalement jugé le tribunal administratif de Rennes, en première instance, le 21 décembre 2023. Ni l'Etat ni la SCEA ne pouvaient non plus soutenir que "les moyens de surveillance mis en œuvre suffisent à éviter les risques que présente l'installation".
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Des modifications qui n'ont rien de "substantiel"
"Il appartenait au préfet (...) d'inviter l'exploitant à déposer une nouvelle demande d'autorisation", en concluaient les juges rennais. Ar Gaouenn était donc "fondée" à soutenir que l'arrêté était illégal en ce qu'il acte, par simples "prescriptions complémentaires" et "sans même procéder aux consultations préalables qui s'imposaient", les modifications apportées.
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L'État avait alors fait appel ; mais sans attendre le réexamen de la requête "au fond", c'est-à-dire généralement sous douze à dix-huit mois, l'administration avait demandé à la cour administrative d'appel de Nantes de prononcer un "sursis à l'exécution" du jugement de première instance.
"Les modifications envisagées par la SCEA (...) ne présentaient pas un caractère substantiel nécessitant une nouvelle demande d'autorisation", maintenait-elle. "L'augmentation de la capacité de l'élevage par rapport aux effectifs autorisés en 2017 puis en 2019 n'est pas substantielle, y compris s'agissant du volume de lisier. Le dispositif de traitement des effluents (...) contribue à une maîtrise efficace des émissions et rejets."
Dans ce contexte, il y avait donc urgence à geler les effets du jugement du tribunal administratif de Rennes : son exécution risque d'entraîner des "conséquences difficilement réparables" pour la SCEA du Lichouët, qui est empêchée de "poursuivre l'exploitation" de son élevage dans les conditions prévues.
Un "élevage exemplaire" pour l'administration
"Les moyens invoqués (...) tirés de ce que (...) les modifications envisagées (...) ne présentaient pas un caractère substantiel (...) paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux", confirme le juge des référés de la cour administrative d'appel de Nantes dans une ordonnance en date du 19 septembre 2024 qui vient d'être rendue publique. "Ils sont de nature à justifier, outre l'annulation du jugement du 21 décembre 2023 du tribunal administratif de Rennes, le rejet des conclusions [d'Ar Gaouenn]."
Le juge a donc prononcé dans l'immédiat un "sursis" dans l'exécution du jugement de première instance ; la cour administrative d'appel de Nantes se repenchera sur le fond de la requête d'ici douze à dix-huit mois.
Les services préfectoraux présents pour défendre l'éleveur absent
Pour rappel, chose assez rare, les fonctionnaires en charge du dossier avaient fait le déplacement à l'audience de première instance pour soutenir l'agriculteur, qui était pour sa part absent. Pour eux, la SCEA avait mis en place "les meilleures techniques disponibles" et fait en sorte "d'avoir des quantités d'azote largement inférieures à un élevage classique". "Ça serait un comble que d'empêcher quelqu'un d'améliorer sa station d'épuration", avait ainsi lancé l'agent qui considérait avoir affaire à un "élevage exemplaire".
Mais "le tribunal n'examine pas l'exemplarité d'un exploitant, il applique les textes", lui avait répondu la magistrate du tribunal administratif de Rennes en charge du dossier. Et le niveau d'ammoniaque de l'exploitation s'élève à "23,4 tonnes", avait rappelé le représentant de l'association Ar Gouenn.
GF et CB (PressPepper)