"Posons nos écrans, une heure par jour !" C'est le défi lancé par Yannick Guillodo, médecin du sport au CHU de Brest. Il constate que les trois piliers de notre bonne santé que sont " plus bouger, mieux manger et bien dormir " sont attaqués par l'usage abusif des écrans de loisirs. Inquiet de l'inaction politique, du manque de prévention, le médecin signale l'urgence à se mobiliser.
Fort des résultats d'une étude allemande prouvant scientifiquement que diminuer sa consommation d'écran d'une heure seulement par jour était bénéfique pour la santé, le Docteur Yannick Guillodo lance une action semblable à Brest. Son expérimentation montée avec l'ARS et des partenaires de poids (CHU, mairies de la métropole, groupe naval...) sonde un large échantillon de la population. L'étude analyse tous les milieux socio-économiques, tous les âges.
Elle mesure les répercussions médico-sociales, l'impact sur l'activité physique et le sommeil. Les participants ayant réussi à poser leur écran une heure par jour ont tout d'abord été surpris du temps qu'ils y consacraient, ils le sous-estimaient. Ce simple challenge se révèle aussi plus difficile que prévu, changer ses habitudes prend du temps. Les premières statistiques sont encourageantes, elles démontrent une corrélation positive entre la réduction de l'utilisation quotidienne du smartphone et l'augmentation de l'activité physique. Par exemple, en moyenne quotidienne, 750 pas seraient gagnés.
Danger n°1 " ne plus bouger "
Nous devenons pratiquement tous sédentaires. Par jour, nous restons en moyenne 6 à 7h assis, et marchons moins de 30 minutes, déclare le docteur Guillodo. Selon l'Insee*, les adolescents passent en moyenne plus de 7h par jour sur leur téléphone portable. En 50 ans, les enfants ont perdu 25% de leur capacité cardio-vasculaire. Ils courent moins vite et moins longtemps qu’avant. En 1971, un enfant courait en moyenne 800 mètres en 3 minutes. Aujourd’hui, pour parcourir cette même distance, il met 1 minute de plus ! Ce constat est d’autant plus inquiétant quand on sait que bouger dès l’enfance permet de se constituer un « capital santé » qui permettra d’éviter plus tard le surpoids, l’hypertension, le cholestérol ou le diabète. C'est prouvé, la perte d’endurance est proportionnelle à l’augmentation du poids et de la masse graisseuse, c’est un cercle vicieux. Bouger concerne aussi notre santé morale. L'activité physique défoule et libère des endorphines permettant de ressentir de la joie, de retrouver concentration et confiance en soi et d'évacuer du stress.
" la sédentarité tue plus que le tabac ."
Yannick Guillodo, médecin du sport au CHU de Brest
Un simple conseil de bon sens : le médecin recommande fortement, faute de poser complètement le téléphone, de converser debout, de marcher avec notre téléphone mobile dès que possible, et surtout de systématiser ce bon réflexe.
Danger n°2 " mal manger "
" Le marketing alimentaire est très incisif sur l'alimentation industrielle et cible particulièrement des produits défavorables pour notre santé " s'indigne le docteur. " Nous commandons et nous nous faisons livrer nos courses pour rester plus longtemps sur nos écrans. Manger devant la télévision, une tablette, un téléphone modifie nos habitudes alimentaires. Manger un paquet de chips est plus évident que de décortiquer un crabe" ironise le médecin. Il souligne également que regarder les écrans diminue le niveau de satiété, car le cerveau trop accaparé ne donne plus l'information d'avoir assez mangé. "La moitié des Français sont en surpoids", précise le médecin.
Il déplore le manque de sanctions sur le marketing et est affligé de voir encore des publicités où un robot tond la pelouse pendant qu'un homme consulte son portable dans un hamac. Il s'insurge face à ce message subliminal qu'il juge dramatique. Lui aurait réécrit le scénario en montrant ce monsieur qui, grâce au temps gagné par le robot, joue par exemple avec son fils au ballon dans ce même décor. Il espère une réglementation publicitaire plus sévère et aimerait la mise en place d'un message sanitaire préventif au même titre que celui sur l'abus d'alcool ou du tabac avec la création d'un pictogramme dédié.
Danger n°3 " mal dormir "
L'usage abusif des écrans en soirée a des conséquences sur la quantité et la qualité du sommeil. Les Français dorment 1 h 30 de moins qu'en 1990. Des études récentes démontrent qu'en France, en 25 ans, les adolescents ont perdu 50 minutes de sommeil par jour. Le temps passé en soirée sur les écrans retarde l'endormissement de 30 à 40 minutes. Le médecin alerte que la lumière bleue des écrans empêche une bonne sécrétion de mélatonine, hormone naturelle qui favorise l'endormissement. L'horloge interne déréglée, le sommeil se dégrade. Conséquences, 8% des jeunes déclarent avoir envie de dormir en plein milieu de journée.
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Une addiction qui coupe la communication
Frédérique Bertin est psychologue à Rennes. Elle reçoit des parents et adolescents en conflit. Elle constate que l'addiction à l'écran coupe la communication, isole les jeunes. Ils ne trouvent plus de temps ni pour leurs proches ni pour des activités. Scotchés une partie de la nuit au téléphone, ils s'épuisent, et les notes chutent. La concentration diminue, à fleur de peau, ils deviennent irritables, anxieux et perdent confiance. Cet enfermement mental peut à terme aboutir à une désociabilisation.
Les enseignants tirent parfois des sonnettes d'alarmes. Carole Martin** enseignante en collège et en lycée en Ille-et-Vilaine, constate qu'en 20 ans de carrière la capacité de concentration des élèves a fortement chuté, que l'attention est désormais souvent courte et volatile.
Les jeunes n'ont plus d'attention soutenue, ils scrollent, ils commutent comme sur leur téléphone et gèrent moins bien leurs émotions. Plus agressifs, plus impulsifs, ils ont aussi moins d'empathie.
Carole Martin, enseignante au collège et lycée à Vern-sur-Seiche en Ille-et-Vilaine
Au lycée, dans la cour, Carole Martin est témoin d'une réalité qui la consterne : les jeunes ne se parlent presque plus, chacun dans leur coin, ils conversent avec leur écran. Elle se sent parfois démunie face à ce phénomène.
Pour notre psychologue Frédérique Bertin, difficile d'interdire, de supprimer le smartphone, mais le simple fait de dire aux parents d'arrêter de payer l'abonnement, déclenche souvent un effet électrochoc. L'adolescent jusque là dans le déni par le biais d'une tierce personne prend conscience des effets négatifs et accepte de se remettre en question. Ainsi, parents et enfant définissent des heures de coupure " un couvre-feu digital ". Le climat s'apaise. La lecture, du sport, des activités communes, des sorties programmées réinstallent du dialogue, se réjouit notre psychologue.
Le smartphone modifie notre "ADN social "
Au cours de l'histoire, de nombreuses révolutions ont modifié la manière de vivre des hommes. " La révolution numérique a pour différence sa brutalité, sa violence, sa vitesse de propagation " précise le docteur Guillodo. Il cite fréquemment cette comparaison qu'il trouve effrayante : la radio a mis 34 ans pour entrer dans le quotidien des Américains, la télévision 15 ans, et l'utilisation des smartphones 90 jours. La question que l'on se pose au niveau médical aujourd'hui est de savoir si la violence de cette surconsommation et pression numérique va engendrer une mutation génétique. Cela lui semble fortement probable.
"Je pense qu'une ou deux générations trop connectées, surchargées d'informations seront totalement bousculées au niveau sanitaire."
Docteur Yannick Guillodo
S'attaquer à la racine du mal
"Tout est dans le dosage, il faut éduquer à la maitrise de l'outil, apprendre à faire des sas de déconnexions", déclare Phil Marso, auteur et inventeur de la journée mondiale sans téléphone portable. Il fête modestement les 22 ans de son initiative. Les jeunes qu'il rencontre dans les écoles sont de plus en plus nombreux à lui exprimer l'impact négatif que provoque l'usage immodéré des écrans sur leurs études, leur vie sociale. Ces moments d'échanges leur permettent de réfléchir au bon usage du téléphone portable.
Selon les résultats de l'étude du docteur Guillodo, l'ARS (Agence Régionale de Santé) de Bretagne pourrait développer l'opération "1 heure d'écran en moins par jour" au niveau régional.
En attendant, voici quelques astuces pour apprendre à se passer de son téléphone :
*INSEE Sondage réalisé entre le 8 et le 31 janvier 2022 auprès de 500 jeunes représentatifs de la population des 15-25 ans en France selon les quotas de l'INSEE. Les questions ont été posées à travers Jam, le média discutant avec 600 00 jeunes en France via Messenger. Les jeunes interrogés pouvaient répondre en choisissant un des items proposés ou en réponse libre pour les questions ouvertes.
**Carole Martin: l'identité a été modifiée