Des affrontements entre forces de l'ordre et manifestants ont émaillé la mobilisation contre la réforme des retraites, ce samedi 11 février 2023, à Rennes. D'un côté, des jeunes témoignent des violences policières. De l'autre, la préfecture condamne les violences commises contre les policiers. Une enquête criminelle est ouverte pour "tentative d'homicide volontaire" sur des CRS.
En marge de la mobilisation contre la réforme des retraites, ce samedi 11 février 2023 à Rennes, des heurts ont éclaté entre les forces de l'ordre et quelques dizaines de manifestants, vers 17h.
23 interpellations
23 personnes ont été interpellées, indique la préfecture d'Ille-et-Vilaine. 11 ont été placées en garde à vue, 5 seront déférées devant le parquet ce lundi 13 février, selon le procureur de la République de Rennes.
Le magistrat a également ouvert une enquête criminelle pour "tentative d'homicide volontaire sur personnes dépositaires de l'autorité publique", après que le jet d'un cocktail molotov a blessé trois CRS "dont un sérieusement à la suite de l'inflammation de sa tenue" précise Philippe Astruc.
Coups, insultes et humiliations
Gautier, étudiant en droit à Rennes, a participé à la manifestation où il assurait le service d'ordre des étudiants et lycéens. Quand l'immense cortège s'est dispersé, lui et ses amis ont décidé d'aller boire un verre place Sainte-Anne. C'est à partir de là, selon Gautier, que les choses ont dérapé.
"La police est arrivée place Sainte-Anne où les terrasses étaient pleines, raconte l'étudiant. Nous avons été obligés de bouger et nous nous sommes retrouvés bloqués dans la rue de la salle de la cité. Les CRS ont ensuite lancé plein de bombes lacrymogènes. Les policiers ont chargé alors que nous n’avions aucun moyen de nous enfuir".
Gautier réussit à rentrer dans un immeuble où il est suivi par une vingtaine d’autres personnes. Ils ressortent par la porte de derrière et se retrouvent dans une cour.
"C’est là que des policiers arrivent en hurlant. Directement ils se déchaînent et tabassent un mec à côté de moi. Ils lui ont mis au moins une vingtaine de coups dans le ventre" témoigne le jeune homme.
Lui aussi reçoit un coup de matraque télescopique. Gautier a essayé de filmer la scène mais a dû rapidement ranger son téléphone sous peine de le perdre.
Au lendemain des faits, le jeune homme se dit avant tout choqué par le déferlement d’insultes qui accompagne les coups. "Pendant 10 minutes ils nous ont traités de tous les noms, résume Gautier. 'Bande de pédés, niquez bien vos mères, bande de putes', voilà ce que l'on a entendu. Les policiers ont demandé ensuite à ceux qui travaillent de lever la main puis se sont adressés aux autres en disant : 'Vous n’êtes que des profiteurs, vous voulez juste vivre du RSA, vous servez à rien, bande de merdes' " relate l'étudiant de 19 ans.
Un policier s’est amusé à serrer le nœud de ma cravate au maximum pour m’étouffer
Gautier
Gautier explique que les policiers les ont, ensuite, fait mettre à genoux, les mains sur la tête, avant d’être sortis un par un par une coursive, où les violences se sont poursuivies. "Le mec devant moi avait un mégaphone, détaille Gautier. Il s’est fait traîner par la barbe, baffer, frapper dans les genoux. Moi j’avais une cravate et un policier s’est amusé à serrer le nœud au maximum, j'étouffais. Après il m’a traîné par la cravate comme un chien en s’exclamant 'regardez mon petit chien', devant ses collègues hilares".
Le jeune homme précise encore que les personnes qui se sont retrouvées avec lui n’avaient pas forcément participé à la manifestation et étaient là "par hasard". Il se dit "indigné" par les humiliations subies.
Les images de la voisine
Une voisine a été témoin de la scène. La jeune femme, étudiante, raconte. "J’étais chez moi à faire une fiche de lecture quand j’ai entendu des cris et du bruit. J’ai vu des gens qui couraient après d’autres personnes, puis j’ai entendu des cris, des coups et des insultes comme « petite pétasse » « tafiole ». Ca hurlait et les policiers leur criaient de se mettre à genoux".
La jeune femme a le réflexe de prendre son téléphone. "J'étais inquiète, dit-elle, mais je ne savais pas quoi faire à part prendre mon téléphone". Dans la précipitation, elle ne pense pas à enlever un filtre audio qui rend les paroles inintelligibles.
Policiers blessés
De son côté, le préfet d'Ille-et-Vilaine "condamne fermement les violences inacceptables commises ce samedi à Rennes en marge et à l'issue de la manifestation" contre les forces de l'ordre. "Jusqu'à 21h, souligne Emmanuel Berthier, les policiers de la direction départementale de la sécurité publique et les CRS ont dû faire face à quelques centaines d'individus, déterminés à dégrader volontairement le mobilier urbain et à s'en prendre violemment aux forces de l'ordre".
Le préfet apporte son soutien aux policiers blessés. "Après le rétablissement de l'ordre par les CRS, les violences ont décuplé à leur encontre, écrit-il dans un communiqué. Aux projectiles multiples envoyés, s'est ajouté un cocktail molotov qui s'est abattu sur certains d'entre eux. Le mélange inflammable a heurté le bouclier d'un CRS et s'est répandu sur ce dernier éclaboussant au passage deux de ses collègues".
L'un d'eux souffre de brûlures au second degré, les deux autres de brûlures au premier degré. Ils ont été transportés à l'hôpital de Rennes.