"C'est une forme de mépris" : les agriculteurs bio manifestent "à poil" contre le plan du ministère de l'Agriculture

Après une campagne-photo en tenue d'Adam, les agriculteurs bio du Centre-Val de Loire se sont réunis avec leurs homologues de plusieurs régions à Paris, ce mercredi 2 juin, pour contester les nouveaux arbitrages du ministre de l'Agriculture.

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#Labioapoil. Derrière ce mot-clé amusant et des photos provocantes comme ci-dessous, les agriculteurs et agricultrices bio sont en fait en colère et manifestent d’ailleurs ce mercredi 2 juin à Paris.

Pourquoi à poil ? Le ministère de l’Agriculture a présenté le 21 mai dernier un “plan stratégique national”, dans le cadre de la réforme européenne de la politique agricole commune (PAC).

D'après la fédération nationale d'agriculture biologique, ce plan prévoit notamment une nouvelle aide de 70 € par hectare et par an pour les agriculteurs et agricultrices convertis à la bio. Or cette aide remplace deux dispositifs qui représentaient 202 € par hectare et par an. Soit une perte de 132 € par hectare et par an. De quoi mettre certains en difficulté financière, donc “à poil” …

20 000 € de revenus en moins

Philippe Doireau, céréalier en Champagne berrichonne, n’est pas à poil au sens propre, mais il se pose la question de ses futurs revenus. Il a déjà dû investir quand il a fait le choix de se convertir en bio en 2015. 

J’ai bénéficié d’aides à la conversion plafonnées : 300 € par hectare, avec un plafond de 25 000 €” précise-t-il. En clair, si l’agriculteur a plus de 83 hectares à convertir en bio d’un seul coup, il doit mettre la main à la poche. Ce qu’a fait Philippe, puisqu’il avait décidé de passer deux tiers de ses terres en bio dans un premier temps, soit 120 hectares. Il a ensuite totalement abandonné l’agriculture conventionnelle. 

Désormais, avec les nouveaux arbitrages du ministre de l’Agriculture et l’aide amputée de deux tiers, il estime qu’il aura “facilement entre 15 000 € et 20 000 € de revenus en moins par an”. 

Au final, c'est le consommateur qui paye

Dans ce cas, on essaye de faire des économies en renouvelant moins le matériel, en allant moins vite dans l’innovation”, prédit le céréalier. Ou en augmentant le prix de vente. Sa crainte est en effet que ce soit le consommateur qui trinque.

Si les produits bio sont plus chers, ce n’est pas pour engraisser le producteur, explique-t-il. Mais parce que les coûts de production sont plus élevés qu’en conventionnel. Or le défi qui nous est posé, c’est de rendre la bio accessible à un maximum de citoyens”.

D’où le choix - jusque-là - d’aides publiques aux exploitants bio pour qu’ils puissent baisser leurs prix de vente tout en rentrant dans leurs frais. En optant pour l'amputation de cette aide, le gouvernement fait donc “le choix d’une bio plus chère, accessible seulement à ceux qui pourront se la payer”, déplore Philippe.

1,7 milliard € à la bio

Pour Jean-François Vincent, président du réseau Bio Centre, le ministère de l’Agriculture enclenche aussi par ce choix un cercle vicieux : les agriculteurs “vont gagner moins d’argent en bio qu’en conventionnel” ; or si un exploitant "n’est pas sûr de gagner au moins autant d’argent en bio qu’en conventionnel, il ne se convertira pas". Et l’agriculture bio ne progressera donc pas.

Face à ces critiques, Julien Denormandie, le ministre de l’Agriculture, déclarait sur Europe 1 : "La nouvelle politique agricole commune consacrera 1,7 milliard d'euros à l'agriculture biologique. C'est 30% de plus."

 

Loin de l'objectif de 15% en bio

Encore faut-il que cette somme destinée à ceux qui veulent convertir en bio leur soit réellement donnée. Or ces derniers semblent moins nombreux que prévu.

Le président du réseau Bio Centre constate en effet un ralentissement du nombre de conversions depuis 2017 : “l’Etat a arrêté les aides au maintien en 2017. Cela a été repris en partie par les régions, mais à un petit niveau. C’est ce qui explique qu’on n’est pas arrivé à l’objectif des 15%.”

L’Etat s’était en effet fixé un objectif pour 2022 : celui d’atteindre 15% de surfaces agricoles cultivées en bio. On en était à 8,5% en 2019, à peine à 10% aujourd'hui.

Julien Denormandie se défend : "A la fin de ce quinquennat, nous aurons augmenté de 50% la surface de production de bio dans notre pays". 

En région, la situation est peu ou prou la même : aujourd’hui, environ 4% des surfaces sont passées en bio en Centre-Val de Loire, alors que “l’objectif de la région était de 7,5% en 2025 et de 15% en 2030. On en est loin”, souffle Jean-François Vincent.

"C'est du mépris"

Au-delà de la question financière, Philippe Doireau déplore aussi le signal envoyé par le ministère de l’Agriculture sur la prise en compte de l'environnement. Avec ces 70 € par hectare et par an, un agriculteur bio touchera la même aide qu’un agriculteur certifié HVE (Haute Valeur Environnementale).

“La démarche HV est intéressante car elle va dans une utilisation raisonnée des phytos, nuance le céréalier. Mais ça reste une agriculture conventionnelle qui utilise la phyto.”

Pour lui, mettre au même niveau la bio et la HVE revient à “balayer du revers de la main tous les efforts qui sont en bio, c’est une forme de mépris.

Bras de fer à Bruxelles

Julien Denormandie fait le choix de continuer le même système et de financer plus l’agriculture intensive que l’agriculture biologique, cela va à l’inverse de l’Histoire”, abonde Jean-François Vincent.

Mais les agriculteurs bio ne déséspèrent pas. “En fait, la PAC elle-même n’est pas bouclée à Bruxelles, explique le président de Bio Centre. Il y a un bras de fer entre le Parlement européen qui est pour une PAC ambitieuse au niveau de l’environnement, et les Etats membres qui ne veulent pas de changement.

Suivant les contours de cette future PAC, Julien Denormandie pourrait donc être amené à revoir sa copie.

 

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