Les relevés réalisés sur le réseau d'eau potable montrent des doses trop élevées de pesticides à la sortie du robinet dans de nombreuses communes du Centre-Val de Loire. Des pesticides qui ne seraient, a priori, pas dangereux à petite dose. Mais dont la présence à répétition interroge.
Dans de nombreuses communes du Centre-Val de Loire, il n'est pas rare de trouver des pesticides dans l'eau du robinet. À des doses, certes, minimes, du moins du point de vue des normes. Officiellement, aucun danger pour la santé humaine, malgré des territoires où chaque contrôle montre un dépassement de la limite de qualité de l'eau. En tout, plus de 300 000 personnes consomment une eau régulièrement non-conforme en Centre-Val de Loire, selon Le Monde et Complément d'enquête.
Des dépassements des seuils de qualité sont par exemple constatés dans le cas de l'atrazine (herbicide) et de ses métabolites. Un métabolite, c'est le résultat de la dégradation par certains micro-organismes, notamment du sol, d'autres molécules. En l'occurrence, les seuils de qualité de l'atrazine sont régulièrement dépassés dans l'eau en Beauce (Eure-et-Loir), région très agricole, mais aussi dans le Cher, en Touraine... Bref, aucun territoire n'est réellement épargné.
(Légende : la commune s'affiche en rouge vif lorsque plus d'un prélèvement sur trois montre une non-conformité. En blanc : absence de données.)
Et certainement à juste titre : pendant longtemps, l'atrazine a été utilisée en tant qu'herbicide très efficace sur les cultures de maïs. Pas étonnant que des régions très agricoles comme la Beauce soient touchées. Des études diverses ont établi des corrélations entre l'atrazine et le développement anormal de cancers chez des animaux, en lien avec leur processus hormonal. Pas de quoi établir une telle corrélation chez l'homme, dont les hormones fonctionnent différemment.
Interdite depuis 2001 mais toujours dans les sols
L'agence internationale sur le cancer (IARC) a ainsi décidé de ne pas classer l'atrazine sur sa liste de potentiels cancérogènes. Néanmoins, la France a décidé de l'interdire sur son sol... en 2001. Plus de 20 ans plus tard, ses métabolites se retrouvent encore dans l'eau qui sort de nos robinets. Ce qu'explique Pascal Grossier, ingénieur au service santé et environnement à l'Agence régionale de santé du Centre-Val de Loire :
Ces polluants sont souvent stables, donc si ils atteignent les nappes d'eau, on va les retrouver au niveau du robinet. Il faut ensuite attendre un processus naturel, que les nappes se vidangent en quelque sorte. Et ça met énormément de temps.
Pascal Grossier, ARS Centre-Val de Loire
Pas étonnant, donc, à retrouver de l'atrazine 20 ans après. D'autant qu'il n'y a "rien à espérer au niveau des stations d'épuration", les processus de décontamination étant soit très complexes, soit très chers, soit les deux. L'ARS constate cependant "une décroissance des concentrations observées" : entre 2013 et 2022, le nombre de stations de captage en non-conformité est passé d'une centaine à une quarantaine, alimentant 50 000 personnes contre 110 000 en 2013 en Centre-Val de Loire.
Il est d'ailleurs à noter que, dans la région, jamais la quantité d'atrazine dans l'eau n'a atteint la valeur sanitaire maximale, au-delà de laquelle la consommation est interdite. Une valeur "bien supérieure à la limite de qualité réglementaire, ce qui fait que cette limite est très protectrice pour le consommateur", assure Pascal Grossier.
En moyenne, en 2021, 82,6% de la population française a consommé une eau a priori toujours conforme aux limites de qualité pour les pesticides, herbicides et nitrates. En Centre-Val de Loire, c'est dans le Cher que les chiffres sont les moins bons, avec moins de huit personnes sur dix ayant une eau toujours dans la norme.
Interdiction contre l'avis du gouvernement
Parmi les autres produits retrouvés dans l’eau du Centre-Val de Loire, se trouvent les métabolites du métolachlore, une des substances herbicides les plus utilisées dans l'Hexagone. La France ne classe pas ce produit comme cancérigène. Cependant, l'Allemagne, État membre de l'UE chargé du dossier de réévaluation de la dangerosité du métolachlore, a récemment recommandé son classement en catégorie R2 et C2. Soit potentiellement dangereux pour la reproduction et potentiellement cancérigène.
L'Anses, agence nationale de sécurité sanitaire, a ainsi décidé d'interdire la vente de l'herbicide en France à partir d'octobre 2023, contre l'avis du ministre de l'Agriculture Marc Fesneau. En attendant, l’ESA-metolachlore se retrouve malgré tout dans plus d’un tiers des prélèvements réalisés sur le réseau d’eau d’Argent-sur-Sauldre dans le Cher, par exemple.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, sur les 25 prélèvements réalisés en 2022 à Argent-sur-Sauldre, 18 montraient un dépassement du seuil qualité à cause d’une trop grande présence de nitrates. Les nitrates ne sont pas dangereux en soit, mais peuvent le devenir lorsqu’ils se désagrègent en nitrites, que ce soit dans le sol ou directement dans le corps humain. Les nitrites auraient pour effets connus de complexifier l’acheminement de l’oxygène par le sang, et de provoquer des cancers à plus ou moins long terme.
Des solutions possibles ?
Ce sont ces nitrites que certains parlementaires, dont le député MoDem du Loiret Richard Ramos, ont voulu faire interdire dans la charcuterie, où ils sont utilisés comme additifs. Dans les sols, les nitrates sont le résultat de l’activité de l’homme, en particulier de l’épandage d’engrais azotés.
En Beauce, dans presque chaque commune où des dépassements sont constatés, la présence de nitrates est en cause. À Treilles-en-Gâtinais, dans le Loiret, il a même été interdit de boire l'eau du robinet, où la concentration en nitrates dépasse les 100 microgrammes par litre, soit deux fois la limite de qualité réglementaire. Des travaux sont en cours pour rémédier à la situation.
De tels travaux peuvent prendre la forme de "mise en place d'une station de traitement, de changement de la zone de captage, ou d'interconnexion avec d'autres réseaux", détaille Pascal Grossier. Une solution fréquemment utilisée est ainsi de mélanger deux ressources en eau, l'une dépassant la limite de qualité, l'autre se situant largement en dessous. Pour équilibrer les doses.
Certains pesticides échappent aux contrôles
Ponctuellement, ce sont même directement des nitrites qui sont relevés, comme dans un tiers des 61 prélèvements réalisés sur le réseau de Montlouis-sur-Loire, en Indre-et-Loire. Si vous souhaitez savoir quels produits chimiques ont été constatés en trop grande quantité chez vous en Centre-Val de Loire, vous pouvez taper votre commune dans le moteur de recherche ci-dessous.
Il est d’ailleurs à noter que les services de l’État ne contrôlent pas toutes les substances chimiques potentiellement présentes dans l’eau, certaines pouvant passer sous les radars car simplement non-étudiées. L'Anses a ainsi publié en mars une synthèse sur sa campagne nationale mesurant la présence de composés chimiques habituellement "pas ou peu recherchés lors des contrôles réguliers". L'agence note ainsi des dépassements fréquents de la limite réglementaire de qualité pour le chlorothalonil, un fongicide interdit depuis 2020. En Centre-Val de Loire, ont également été constatés des dépassements sur le 1,4-dioxane, un solvant utilisé dans l'industrie phramaceutique, potentiellement cancérigène chez les rats.